Maison Lémonon-Chancel à Saint-Donat

Légende :

Les deux fenêtres cintrées sont celles de l’ancienne pharmacie de Jean Chancel.

Genre : Image

Type : Photo

Producteur : photo Jean Sauvageon

Source : © AERD Droits réservés

Détails techniques :

Photographie couleur.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Saint-Donat-sur-l’Herbasse

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Analyse média

La maison de la famille Lémonon est située au cœur du village de Saint-Donat-sur-l’Herbasse, rue Pasteur. Le gendre Jean Chancel est pharmacien. Son épouse Mady est la fille du docteur Lémonon.

Cette grande maison abrite, dans l’aile droite, le cabinet du docteur Lémonon, dans l’aile gauche, la pharmacie de Jean Chancel. Le reste de la maison est habité par la famille. Cette maison est un lieu de rendez-vous de la Résistance de la région. Louis Aragon et Elsa Triolet, habitant à quelques dizaines de mètres, y viennent presque tous les jours. Les passagers ayant sauté de leur avion en perdition, au-dessus de Saint-Avit, le 9 février 1944, se retrouvent dans cette maison, accueillis par Mady et Jean Chancel.

Voici ce que disait Jean Laville, un des faux préparateurs de la pharmacie : « … c'est une maison qui ne ressemblait pas du tout aux autres. La maison Chancel-Lemonon était une sorte de république, une communauté de personnalités exceptionnelles. Ce qui s'y passait vraiment, on ne le savait pas toujours. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'on avait affaire à des gens d'un courage exceptionnel. »

Tout le monde connaissait les opinions de la famille Lémonon. C'étaient des notables catholiques de cette petite bourgeoisie rurale ayant une influence certaine dans leur entourage, rendant des services reconnus à leurs patients. Ils n'étaient pas engagés dans une formation politique et manifestaient une grande indépendance. Leur connaissance de la réalité allemande les avait amenés à s'opposer, dès le début, aux occupants et à leurs valets de Vichy. La pharmacie est vite devenue le lieu où arrivaient les informations et où venaient tous ceux qui commençaient à envisager des activités résistantes ou qui se sentaient menacés.

Jean Chancel décède en 1952. La pharmacie est fermée quelques années plus tard.


Auteurs : Jean Sauvageon

Contexte historique

C'est dans la maison Chancel que furent rassemblés les aviateurs anglais et leurs passagers après la chute de leur avion, le 9 février 1944, avec parmi eux Francis Cammaerts, alias "Roger", du réseau SOE-Buckmaster (Special operation executive).

Un avion Halifax 275 LW, parti de l’aérodrome de Tempsford en Grande-Bretagne survole la vallée du Rhône pour une mission de parachutage de matériel et de personnels dans la région de Castellane, dans les Basses-Alpes (Alpes de Haute-Provence). Le mauvais temps oblige l’équipage à faire demi-tour. Peu après avoir survolé Romans-sur-Isère, un des moteurs (sur trois) prend feu. Chargé à bloc, l’avion perd de l’altitude. On largue d’abord les containers qui se perdent vers Charmes-sur-l’Herbasse, puis le commandant ordonne aux hommes de sauter en parachute. Parmi eux, se trouve Francis Cammaerts, dit "Roger", du SOE qui a déjà été largué une fois pour une mission dans le sud-est. L’avion, sans équipage, va s’écraser à 25 km au nord-ouest, à Mantailles, dans la commune d’Anneyron. Les huit hommes atterrissent sains et saufs de façon dispersée dans la région de Saint-Avit. Francis Cammaerts, en costume civil, frappe à la porte de la ferme Dumas où il est bien accueilli. Son parachute et son équipement sont camouflés rapidement. Il se couche et, au matin, part à vélo pour Beaurepaire où il était déjà allé lors de sa première mission, où il retrouvera des amis sûrs. Les autres tombent entre Châteauneuf-de-Galaure et Saint-Avit. Ernest Bell, co-pilote, est recueilli par Édouard Rebatet qui le conduit chez Paul Jacquet, instituteur en retraite ayant quelques responsabilités dans la Résistance. Il y passe deux nuits. Il est récupéré, le 12 février, par Jean Chancel et le Dr Lémonon. Robert Leslie Beattie est accueilli par madame Oriol et sa fille. Au matin, il se dirige vers Bren d’où il est accompagné vers Saint-Donat. Reginald William Lewis, navigateur, frappe à la maison de madame Girardin et de ses trois filles. Le lendemain matin, il part à bicyclette pour Saint-Donat. Les trois derniers membres de l’équipage ont été recueillis et cachés par Louis Clavel, résistant.

Ainsi, après avoir été accueillis, nourris, habillés par les paysans de la région, le 12 février, sept hommes se retrouvent dans la maison Lémonon-Chancel, à Saint-Donat, le Squadron Leader Thomas C. Cooke, pilote, les officiers Ernest Bell, Robert Leslie Beattie, Leonard Jonh Gornal, Reginald William Lewis, James Stanley Reed, Arthur Bruce Whitecombe. Le lendemain, Ils sont accompagnés par Jean Chancel, Aimé Chevelu, Jean Bonfils, Constant Perollier, Paul Baumann, résistants de la région de Saint-Donat, et André, garagiste à Clérieux qui a fourni le camion. Ils sont conduits chez Jacques Merle, entre Chabeuil et Valence, membre d’un réseau spécialisé dans l’évacuation des personnes « tombées du ciel » où ils sont hébergés et cachés quelques jours. De là, ils rejoignent la Grande-Bretagne via l'Espagne.

Cet exemple montre comment toute une chaîne de complicités a été nécessaire pour sauver ces huit hommes.

Ce ne sont pas les seuls exemples. Quand on connaît la pénurie et la valeur des pilotes durant la guerre, on saisit mieux l'importance de leur récupération lors de la destruction de leurs appareils. L'action de la population et de la Résistance dans ce domaine a été très importante. Elle a subtilisé les pilotes aux Allemands qui déclenchent rapidement les recherches quand un appareil allié est abattu. Les pilotes alliés sont soignés s'ils sont blessés dans leur appareil ou lors d'un atterrissage dur. Ils sont cachés, nourris, protégés par les gens du voisinage. La Résistance drômoise les remet ensuite à des filières d'évasion qui les font passer en Espagne. De là, ils peuvent rejoindre leurs unités.

Le 30 avril 1944, le lieutenant Frederick Glover, du 4e Fighter Group, sur P 51 Mustang, touché par la Flak (canon antiaérien) lors de l'attaque du terrain d'aviation de Valence-La Trésorerie, s'écrase à proximité de Beaumont-Monteux.

Le 15 juin 1944, en milieu de journée, lors de l'attaque du terrain d'aviation d'Orange-Plan de Dieu, le P 38 Lightning du14e Fighter Group, piloté par le lieutenant Mac Clain, est touché par la Flak. L'appareil fait un atterrissage forcé à Montbrison-sur-Lez.

Le 8 août 1944, le sous-lieutenant George Calder RNVR, sur Seafire, en reconnaissance pour un vol américain chargé de bombarder les ponts de Pont-Saint-Esprit est touché par les tirs de la Flak et fait un atterrissage forcé sur la commune de Clansayes. Il rejoint la Résistance avant de retrouver les troupes alliées.

Le 13 août 1944, le lieutenant Elwood L. Howard, du 82e Fighter Group, sur P 38 Lightning, lors de l'attaque du terrain d'aviation de Montélimar-Ancône est touché par les tirs de la Flak et fait un atterrissage forcé en limite sud de la commune de Montélimar, en début d'après-midi.

Le 15 août 1944, le B 17, du 463e Bomber Group, lors du bombardement du pont routier de Valence sur le Rhône, touché par la Flak, fait un atterrissage forcé à Saint-Marcel-lès-Valence. Parmi les dix membres d'équipage, huit sont récupérés par la Résistance et deux sont fait prisonniers. Le même jour, le B 17 G du 463e Bomber Group, touché par la Flak, s'écrase sur le Mont Miéry, à proximité d'Upie. Dix membres d'équipage sautent en parachute. Mc Carthy et Berger, blessés, sont soignés à l'hôpital de Crest avant d'être évacués. Williams, décédé en arrivant au sol, est enterré par les FFI (Forces françaises de l'intérieur) au cimetière de Crest, le 16 ou 17 août.

Le 28 août 1944, le P 47 Thunderbolt du 1st. Calvin Mosher, du 27e Fighter Group, lors d'une reconnaissance armée sur les convois allemands dans la vallée du Rhône, est touché par les tirs de la Flak et fait un atterrissage forcé au quartier de La Grange Vieille sur la commune de Roynac. Le 2nd. lieutenant Philip Bagian, du 79e Fighter Group, sur P 47 Thunderbolt, lors d'une reconnaissance armée sur les convois allemands dans la vallée du Rhône, est touché par les tirs de la Flak et fait un atterrissage forcé à proximité de la chapelle Saint-Andéol sur la commune de La Bâtie-Rolland. L'appareil du lieutenant Williams Ogden du 79 figther group touché par la Flak se pose en catastrophe au quartier de la Givardière à Loriol. Le pilote, aidé par la Résistance, rejoint les troupes alliées proches.

Le 29 août 1944, le 2nd. lieutenant Henry L.Nielsen, du 27e Fighter Group, lors d'une mission de reconnaissance armée sur les convois allemands dans la vallée du Rhône, a son P 47 Thunderbolt touché par les tirs de la Flak et fait un atterrissage forcé au quartier du Grand Choriol au sud-est de Claveyson.


Auteurs : Jean Sauvageon, Paul Mathevet et Alain Coustaury
Sources : Entretiens de Jean Sauvageon avec Mady Chancel. H Chosson, M. Desgranges, P. Lefort, Drôme Nord, terre d’asile et de révolte. Dvd-rom La Résistance dans la Drôme-Vercors, éditions AERI-AERD, février 2007.