Yvonne Oddon, résistante de la première heure
Légende :
Cette Drômoise est une des fondatrices du réseau du Musée de l'Homme à Paris.
Genre : Image
Type : Portrait
Source : © AERD, collection Robert Serre Droits réservés
Détails techniques :
Photographie noir et blanc.
Date document : sans date
Lieu : France - Ile-de-France - Paris
Analyse média
Cette photographie montée en médaillon montre Yvonne Oddon, une jeune personne d’une trentaine d’années. Le cliché a été pris avant-guerre.
Cette Dioise protestante est arrêtée dès février 1941 et déportée NN (le décret Nacht und Nebel permet à la police allemande d'arrêter une personne soupçonnée d'entretenir des contacts "avec l'ennemi").
Auteurs : Jean Sauvageon
Contexte historique
Yvonne Oddon, née à Gap le 18 juin 1902 dans une famille protestante originaire du Diois, dans la Drôme, fréquente le lycée de Gap, puis fait une première supérieure à Versailles, avant d'aller effectuer un séjour en Angleterre. Son père décède des suites des blessures reçues durant la Première Guerre mondiale. En 1924, elle entre à l'école franco-américaine de bibliothécaire à Paris. Puis, grâce à une bourse d'études, elle part pour deux ans aux États-Unis.
À son retour des États-Unis, Yvonne Oddon est nommée au musée d'ethnologie du Trocadéro, qui, en 1937, devient le Musée de l'Homme. Avec une amie, elle a l'idée d'amener le livre au lecteur avec un véhicule circulant à travers une région rurale. Le premier Bibliobus était né et l'idée fera son chemin ! À Paris, le palais de Chaillot, où sera installée la bibliothèque du Musée de l'Homme, est alors en construction. À son ouverture en 1939, Yvonne Oddon y est nommée bibliothécaire. Son dynamisme et ses idées novatrices dérangent un peu un milieu professionnel très masculin : elle ose faire classer les livres par sujet ou instaurer le prêt à l'extérieur. Elle donne la priorité au lecteur plutôt qu'au livre. Soucieuse de la formation des bibliothécaires, elle publie un guide qui fera longtemps autorité.
C’est avec le linguiste Boris Vildé et l'anthropologue Anatole Lewitsky, qu’ils crééent, à Paris, dès l'été 1940, d'un des tout premiers mouvements de Résistance en France, homologué après la guerre sous le nom de « réseau du Musée de l'Homme ». Cet embryon cherche immédiatement à nouer des contacts avec d’autres groupes naissants et parvient à tisser des liens avec des avocats et des pompiers parisiens, des patriotes bretons, un noyau de Béthune qui organise des filières d’évasion de prisonniers de guerre ou avec des intellectuels parisiens, « Les Français libres de France », autour de Jean Cassou notamment.
À l’automne 1940, grâce à ces multiples connexions, un « secteur » clandestin, qui comprend au moins 8 groupes distincts, s’est constitué. D’autres groupes s’y agrègent dont celui où se trouve Germaine Tillion, jeune ethnologue. Ils agissent de concert dans le domaine du renseignement. Boris Vildé s’impose comme le chef de cette organisation.
Le groupe recueille des renseignements qui sont transmis à Londres, organise des filières d'évasion, diffuse des tracts. Un journal est créé par « Les Français libres de France ». Le titre a été proposé par Yvonne, la huguenote, Résistance. Elle n'avait pas oublié l'inscription "Résister" gravée par Marie Durand dans la tour de Constance à Aigues-Mortes qui me paraissait si bien traduire leur état d’esprit.
Disposant de peu de moyens, ils ronéotent les numéros de ce bulletin sur une vieille machine transportée des caves du Musée de l'Homme vers un appartement inoccupé puis dans la chambre de Jean Paulhan. Le premier éditorial, du 15 décembre 1940, indique : « Résister, c’est déjà garder son cœur et son cerveau. Mais c’est surtout agir, faire quelque chose qui se traduise en faits positifs, en actes raisonnés et utiles ».
Le manque d’expérience de l’action clandestine permet à des agents doubles d’infiltrer ces groupes.
Une liaison sentimentale unit Yvonne Oddon à Anatole Lewitsky. Le 10 février 1941 à minuit, Anatole Lewitsky et Yvonne Oddon sont arrêtés au domicile d'Yvonne, pour propagande anti-national-socialiste et aide à l'ennemi. Yvonne est enfermée successivement à la prison du Cherche-Midi, à la Santé, puis à Fresnes, interrogée, mais pas brutalisée. Conservant un moral étonnant, elle occupe ses journées à composer des chansons humoristiques. La police allemande perquisitionne au musée et arrête de nombreux membres du personnel qui seront ensuite relâchés. Le lendemain, la Gestapo cerne le musée et arrête plusieurs dirigeants du réseau qui se trouve ainsi démantelé. Après ces arrestations, Germaine Tillon prend la tête du réseau jusqu'à ce qu'elle soit arrêtée à son tour en août 1942.
Le 7 février 1942, dix membres du réseau, dont Yvonne, sont condamnés à mort par la cour militaire allemande. Graciée comme les deux autres femmes, Yvonne Oddon est déportée en Allemagne. Le lundi 16 février, avec treize hommes et huit femmes, elle part de la gare de l'Est à Paris dans un wagon cellulaire de 3e classe grillagé. Le lendemain matin, elle est incarcérée à Karlsruhe, dans une prison d'application des travaux forcés pour les femmes NN (Nacht und Nebel, Nuit et Brouillard). Pendant ce temps, à Paris, le 23 février, Boris Vildé, arrêté deux mois après Yvonne, Anatole Lewitsky et cinq autres hommes du réseau sont fusillés au Mont-Valérien. Le 16 mars 1942, Yvonne est transférée dans la prison d'Anrath avec ses deux compagnes. "Le travail consistait à faire des broderies, coutures, tricot, vannerie, etc. Sans cela, j'aurais été envoyée dans une usine. Comme nourriture, autant dire rien. On nous donnait des épluchures, des mauvaises herbes ramassées dans les champs, parfois des produits synthétiques qui nous rendaient malades". Puis ce seront les prisons, toujours spécialisées pour les femmes NN, de Lübeck et de Cottbus. La procédure NN étant achevée, les prisonnières sont alors remises à la Gestapo qui ordonne leur transfert au Konzentrationslager, le camp de concentration. Le 20 novembre 1944, elle est envoyée à Ravensbrück. "J'ai vu commettre des atrocités à nos camarades. Tous les matins, il y avait l'appel qui consistait à faire sortir tout le monde, même les malades, pieds nus dans la neige. Il fallait rester là pendant des heures. Parmi nous étaient des malades agonisants que nous devions porter et soutenir pendant la durée de l'appel. J'ai vu mourir des centaines de femmes du typhus et de la dysenterie, faute de soins. Quelques-unes étaient transportées dans un local qui servait d'hôpital ou bien étaient achevées. Tous les jours, les soldats allemands venaient chercher 150 ou 200 femmes qui allaient soi-disant en transport. Mais on ne les revoyait jamais. Je suis certaine qu'elles étaient passées dans les wagons à gaz."
Yvonne Oddon est ensuite transférée à Mauthausen. "Pour effectuer le trajet, nous sommes restées cinq jours et six nuits entassées dans des wagons à bestiaux, avec des vivres pour deux jours. Avant d'entrer, nous sommes restées 16 heures sous une tempête de neige, attendant les formalités d'entrée. À Mauthausen, nous mangions des pommes de terre crues que des camarades qui travaillaient aux champs nous apportaient. Les derniers jours de ma captivité, j'ai vu enfermer des femmes dans la chambre à gaz."
"J'ai été libérée le 22 avril 1945 par la Croix-Rouge internationale". Des négociations entre Himmler et la Croix-Rouge suédoise ont abouti à un accord : 300 femmes françaises déportées sont échangées contre 500 femmes allemandes. Transportées en Suisse dans des camions de la Croix-Rouge, puis en train vers la France, elles arrivent en gare de Lyon à Paris le 14 avril. Parmi ces chanceuses, se trouvent les Drômoises Cécile Goldet et Yvonne Oddon.
Après la guerre et la Libération, Yvonne Oddon sera chargée de nombreuses missions, en particulier dans les pays du Tiers-Monde sous l'égide de l'Unesco. Dans le Diois où elle revient fréquemment, elle agit pour impulser la lecture, elle crée en 1946 l'association pour la lecture populaire du Diois-Vercors. Son souci était qu'en même temps qu'on reconstruisait les habitations et les équipements de ces régions victimes des incendies, pillages et massacres, le livre et les documents écrits qui, face à la barbarie nazie, étaient porteurs des valeurs humaines et de l'idée de Résistance, reprennent leur place.
En 1964, Yvonne Oddon prend sa retraite. Elle meurt en 1982 et repose, selon ses vœux et la tradition protestante, au milieu des vignes à Menglon, berceau de sa famille.
Auteurs : Robert Serre et Jean Sauvageon
Sources : Dvd-rom La Résistance dans la Drôme-Vercors, éditions AERI-AERD, février 2007. Robert Serre, De la Drôme aux camps de la mort. ADD, 2635. François Marcot (dir), Dictionnaire historique de la Résistance.