Camille Mahistre, infirmière de la Résistance

Genre : Image

Type : Portrait

Source : © AERD Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Nyons

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Analyse média

Le cliché est pris à l’école d’infirmières Rockefeller à Lyon. Camille Mahistre a alors 19 ans ; elle est assise sur son lit, les jambes en tailleur ; elle porte une grande capeline, comme toutes les élèves de l’école. On appelait les Rockefeller : « les Américaines ».

Au début de l’année 1944, Camille Mahistre a dû quitter l’école d’infirmières où elle étudiait, du fait du tour nouveau que prenait la Seconde Guerre mondiale, et regagner sa famille – sa mère artisan teinturière, blanchisseuse, à Nyons. 


Elle se souvient….

« Un jour, je passais devant l'actuel syndicat d'initiative, pas encore existant. Une traction avant était en stationnement ; des jeunes gens armés chantaient, à l'intérieur, et, sur les portières, des lettres énormes étaient peintes en blanc : FTPF (Franc-Tireur et partisan français). Très intriguée, mon regard s'attarda sur cette auto. Des coups de sifflets, des plaisanteries fusèrent bruyamment et je hâtai le pas. Mais le chauffeur, béret noir, petit foulard rouge autour du cou, vint à ma rencontre et la conversation s'engagea. Je fus amenée à lui parler de mes études d'infirmière interrompues par les événements. Alors, il s'écria : "Mais c'est une fille comme vous qu'il nous faut !". Les paroles de la directrice me revinrent à l'esprit et je compris que j'avais devant moi des partisans, des terroristes.

Un peu affolée, je répondis que je ne pouvais les suivre et quitter ma mère. Il me rétorqua : "conduisez moi auprès d'elle, je la convaincrai." Je le conduisis donc au magasin où maman, nous voyant entrer, me foudroya du regard. Elle avait pourtant l'habitude de recevoir mes copains ; il y en avait toujours un nouveau, mais celui-ci lui sembla quelque peu étrange. Il lui répliqua qu'un hôpital s'organisait dans l'arrière-pays et qu'il fallait des infirmières, car il y avait déjà des blessés. Maman, les larmes aux yeux, lui répondit :
"Eh bien, je vous la donne, mais je veux savoir où vous l'emmenez...
- Promis, répondit le jeune homme au foulard rouge ; je reviens dans deux heures. Préparez-vous." Maman n'y croyait guère et pourtant, lorsque cinq coups frappèrent à la cloche de l'église, la traction noire FTPF s'arrêta devant la porte. Nous partîmes, ma mère et moi, avec deux jeunes gens armés de mitraillette. Nous étions à l'arrière, toutes les deux. Maman me tenait par la main et arrivait à contenir son angoisse. Pour moi, c'était la joie secrète de l'aventure. »


Auteurs : Claude Seyve

Contexte historique

D’élève infirmière, à Lyon, Camille Mahistre se trouve dès lors plongée au cœur de la Résistance, dans les montagnes des Baronnies. Elle poursuit le récit de son engagement :

« Dans le plus grand silence, nous voilà arrivés dans la cour de l'hospice de Buis-les-Baronnies. Le jeune homme, qui nous avait conduits jusque-là, nous présenta, ma mère et moi. Souriant et courtois, l'officier nous souhaita la bienvenue. C'était le médecin capitaine Achiary, dit "Armand".

Son sourire bienveillant ne quitta jamais ma mémoire. Il fit signe à une religieuse, me confia à elle et maman repartit avec le mystérieux jeune homme. Je n'ai jamais su qui il était, d'où il venait. La religieuse, à qui le capitaine m'avait confiée, était soeur Léonce, plus tard responsable de la maternité de Nyons, où nous avons travaillé ensemble, étant moi-même devenue assistante sociale. Elle me conduisit aux cuisines où soeur Calixte, les bas roulés sur ses chaussures, s'affairait devant ses grandes marmites. Puis nous montâmes à l'étage, où soeur Thérèse d'Avila vint vers nous, toute souriante ; elle avait quitté son voile parce qu'elle avait trop chaud. Elle était mexicaine et son accent m'enchantait ; elle me prit tout de suite sous son aile, car nous allions travailler ensemble à l'étage. Plus tard, elle sauva le commandant "Paris" par sa présence d'esprit et son sang-froid.

Le jour du départ arriva, en septembre [1944]. Le médecin capitaine me remit un certificat, attestant que j'avais servi dans le service de Santé, à ses côtés, avec dévouement, sérieux et compétence. Il me dit : "Garde le bien, il peut être précieux". Oui ! Il fut précieux et combien ! Le capitaine Achiary fut prévoyant, perspicace, bienveillant. En ce premier temps, ce petit papier me permit de percevoir un pécule. Quelle joie, mon premier argent ! Combien il allait me rendre service, pour retourner à l'École. Mais le deuxième temps fut magnifique : lorsque je le présentais à la directrice de Rockefeller, Mademoiselle Lucas, qui fut une grande résistante, elle me serra dans ses bras, me félicita et me fit connaître que je gagnerai deux mois de stage de chirurgie. Quelle chance ! Je finissais trois mois avant les autres ! Quarante ans plus tard, je retrouvais le docteur Achiary, avec mon petit papier, ce qui permit de m'en établir de plus grands pour ma retraite. J'ai été heureuse de le revoir, dans sa propriété de Cairanne, avec son épouse Odette, qui avait grandement participé à la tenue ingrate et difficile du secrétariat de l'hôpital... ! »


À travers ce témoignage singulier, on devine à quel point la Résistance a été un creuset étonnant, capable d’accueillir une étudiante infirmière de 20 ans et, pilotée par un médecin combattant volontaire, d’en faire une professionnelle accomplie, en quelques semaines. De ce creuset est sortie une société nouvelle : jeune fille libérée, femme au travail dans des professions émergentes, sentiment national offensif et vivace.


Auteurs : Claude Seyve
Sources : Mémoires de Camille Mahistre.