La Libération d'Albertville
Légende :
Témoignage du résistant Pierre Desroche enregistré par Eric Le Normand le 31 janvier 2011 à Chambéry.
Genre : Son
Type : Témoignage audio
Source : © Département AERI de la Fondation de la Résistance Droits réservés
Détails techniques :
Durée 9,12 minutes
Date document : 31 janvier 2011
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Savoie
Analyse média
Membre des Jeunes Gaullistes dès 1940 (groupe de lycéen mis en place par Pierre Dumas), Pierre Desroches rejoint le maquis d'Héry-sur-Ugine en juin 1944. Vers le 10 juillet, une colonne allemande s'engage dans les gorges de l'Arly afin d'intercepter les maquisards. Le groupement Gendron, dont Pierre, ses deux frères et André Pringolliet font partie, après un moment de panique, se reprend et parvient à replier son matériel vers La Giettaz. En position dans les gorges de l'Arly, le 1er aout, Pierre Desroche participe au minage du pont de Flon, qui se situe dans un embranchement en-dessous de Saint-Nicolas-la-Chapelle. Il s'agit de détruire les voies de communication menant vers le col des Saisies.
Le 21 août, Pierre Desroche se trouve avec une section d'une trentaine d'hommes, sous les ordres de Jacques Gendron, au pont des Roëngers, au nord-est d'Albertville, où il participe à l'encerclement de la ville. La section recueille la reddition d'une vingtaine de soldats polonais, qui, sous l'uniforme de la Wehrmacht, tenaient le pont des Adoubes. Les Allemands prennent pour cible l'unité dont fait partie Pierre Desroche, qui doit se replier, avec de l'artillerie. Le 23, l'armée allemande abandonne la ville et se replie, à travers la Tarentaise, vers le col du Petit Saint Bernard. Pierre Desroche, après un passage à l'école des cadres de Chambarand (Isère), s'engage, en qualité de sous-officier au 7ème bataillon de chasseurs alpins (BCA) comme le font ses trois autres frères. Pierre Desroche est titulaire de la Croix de Guerre 1939-1945 et de la Médaille de la Résistance française.
D'après Pierre Desroche et Eric Le Normand in DVD-ROM La Résistance en Savoie, AERI, 2012.
Contexte historique
Après la libération d'Annecy et la reddition de la garnison allemande le 19 août, le lieutenant-colonel Oronce De Galbert veut tenter la même démarche à Albertville. Il entre donc en contact avec Jean Bulle afin de lui annoncer l'envoi d'un officier allemand prisonnier qui sera envoyé dans la ville. Il portera une lettre destinée au commandant des troupes allemandes. Le major Egers de la Luftwaffe est désigné. Le 20, vers 19 heures, il est conduit à Albertville. Son retour est prévu pour 22 heures. A l'heure dite, il n'est pas revenu. Jean Bulle se rend au Pont des Adoubes où il demande des précisions mais la kommandantur refuse de répondre. Vers minuit, il engage directement la conversation et se voit accorder un libre passage aller et retour pour se rendre à l'Hôtel de l'Etoile en plein centre d'Albertville. Le 21 août dans la matinée, il n'est toujours pas de retour et l'inquiétude commence à régner au sein de son unité. Au même moment, il quitte la ville dans un convoi. Vers 16 heures, les Allemands décrètent l'état de siège. Tous les magasins et les habitations sont fermés, les patrouilles et les barrages renforcés et les cantonnements évacués à l'exception de l'Arsenal où se regroupent environ 500 soldats allemands. Ils appartiennent au 179e bataillon de grenadiers de réserve commandé par le capitaine Obser.
Le silence de la kommandantur concernant le sort de Jean Bulle entraîne une consternation générale au sein du bataillon des Forces françaises de l'intérieur (FFI) du Beaufortain. Dans l'après-midi, une vingtaine de soldats de la Wehrmacht, d'origine polonaise, en poste au pont des Adoubes, désertent et rejoignent les rangs de la compagnie d'Ugine de Jacques Gendron. Le lieutenant-colonel Oronce de Galbert, lors d'un conseil de guerre le soir même, met en place le dispositif visant à encercler Albertville. Sous les ordres du capitaine Eugène Lorin, le bataillon FFI du Beaufortain continue à investir progressivement la ville. Des éléments FFI de Haute-Savoie sont venus prêter main forte pour permettre un encerclement plus complet des lieux. Néanmoins, cette tâche s'avère difficile car les moyens de communication manquent. La pression des FFI se manifeste par de nombreux tirs d'armes automatiques et par quelques coups de main. Les soldats allemands sont nerveux et tirent facilement. Le 18 août, ils abattent Joseph Peddat à l'entrée de la ville. Ils procèdent aussi à plusieurs tirs d'artillerie, depuis l'Arsenal, sur les alentours d'Albertville.
Le 23, vers 1 heure du matin, une compagnie FFI de Faverges (Haute-Savoie), stationnée au col de Tamié, reçoit l'ordre de couper la route à des éléments ennemis venant de Montmélian et qui tentent de rejoindre la garnison d'Albertville. Entre six et sept heures du matin, les combats sont acharnés. Les Allemands, appuyés par de l'artillerie, parviennent à forcer la ligne de défense. L'unité FFI se replie vers le col de Tamié. Elle compte quatre morts, Maurice Ambroise, Raymond Guimaitre, Jean Metral-Charvet et Raymond Scoton ainsi que sept blessés.
Dans la journée du 23, alors que la pression des FFI qui encerclent la ville devient de plus en plus importante, les Allemands tentent de mettre à exécution leur plan de destruction. Ce dernier échoue grâce à l'arrivée des FFI qui oblige l'ennemi à prendre la fuite. Toutefois, peu de temps avant, ils utilisent des civils réquisitionnés pour diverses manutentions dont la charge d'armes et de munitions sur des camions et des voitures à chevaux. En fin de journée, le convoi prend la route du pont du chemin de fer et se replie facilement sur la Tarentaise par le chemin des Espagnols. Sur leur trajet, les Allemands abattent Jean Mongellaz dans la forêt de Rhonne. Le manque de moyens en armes lourdes et en communication permet à l'ennemi de rompre l'encerclement.
En fin d'après-midi, les drapeaux sortent dans les rues d'Albertville libérée. L'unité FFI d'Ugine sous les ordres du capitaine Jacques Gendron est la première à entrer dans la ville par le pont des Adoubes. Le lendemain, ce dernier est nommé Commandant d'armes de la place. Joseph Gaudin prend possession de la mairie. Le 24, le bataillon FFI du Beaufortain poursuit les Allemands et le jour même, vers 20 heures, Moûtiers est réoccupée. Toutefois, la nouvelle de la libération est très vite tempérée par la crainte du sort réservé à Jean Bulle. Le 26, Louis Bellet et Raymond Bertrand, à la demande de Jean Desroche, se rendent à Chambéry afin d'authentifier le corps d'un homme retrouvé à Chambéry-le-Vieux le 21 en fin d'après-midi. Il s'agit bien du capitaine Jean Bulle.
Le 20 au soir, après avoir lu la lettre apportée par le major Egers, le capitaine Obser, conscient du rapport de forces défavorable aux Allemands, s'estime néanmoins incompétent pour juger une telle affaire et en rapporte le contenu au colonel Schwehr. Celui-ci dirige toutes les troupes allemandes de la haute vallée de l'Isère et se trouve à Moûtiers où est installé son Poste de commandement (PC). Il interdit au major de rejoindre le capitaine Jean Bulle qui le lendemain matin se retrouve dans le même hôtel que lui. Ils se sentent piégés tous les deux. Selon les ordres du colonel Schwehr, l'officier français doit être fusillé immédiatement mais le capitaine Obser l'envoie sur Aix-les-Bains pour interrogatoire auprès du chef des renseignements rattaché à l'état-major de la 157e division de réserve. Après une dizaine de kilomètres, il est exécuté par l'adjudant Gerhardt Meissner sur le bord de la route. Dans l'impossibilité de rejoindre la ville, encerclée par les FFI, le convoi se dirige sur Chambéry où un barrage de pierres l'arrête au niveau de Chambéry-le-Vieux. C'est à ce moment-là que le corps de Jean Bulle est jeté sur le bas côté de la route.
Ainsi, la libération d'Albertville s'achève par un épisode tragique. La découverte du cadavre du capitaine Jean Bulle entraîne une indignation dans tout le bataillon et dans tout le département. L'unité porte désormais son nom et ce sentiment domine "Les Boches nous l'ont tué". Le 21 septembre, le Comité de Libération, sous la présidence du sous-préfet Joseph Gaudin, décide que la place de la Sous-Préfecture prendra le nom de Place Jean Bulle. Le 27, après le défilé des différentes compagnies du bataillon dans les rues d'Albertville, un hommage lui est rendu par l'aumônier du bataillon, l'abbé Romain Ploton, lors d'un office prononcé à l'église Saint-Jean-Baptiste.
Eric Le Normand et Pierre Desroche in DVD-ROM La Résistance en Savoie, AERI, 2012.