Conscrits d’Épinouze en fête en 1942
Légende :
Onze conscrits de la classe 42, rassemblés dans une ferme, au cours de leur tournée festive.
Genre : Image
Type : Photo
Producteur : Inconnu
Source : © AERD Droits réservés
Détails techniques :
Photographie argentique noir et blanc.
Date document : Probablement janvier 1942
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Epinouze
Analyse média
Onze conscrits de la classe 1942, passant de ferme en ferme, sont photographiés dans la cour de l’une d’elles, en présence des propriétaires ou fermiers, Mme et M. Artaud, parents de l’un d’eux (Roger Artaud), et chez qui ils sont invités à manger.
Onze conscrits de la classe 1942, passant de ferme en ferme, sont photographiés dans la cour de l’une d’elles, en présence des propriétaires ou fermiers, Mme et M. Artaud, parents de l’un d’eux (Roger Artaud), et chez qui ils sont invités à manger.
L’agriculteur est présent, ainsi que deux femmes, dont son épouse ; parmi ceux qui ne sont pas « de la classe », deux sont manifestement en tenue de travail, l’arrivée des conscrits se faisant, selon la coutume, d’une façon impromptue, bien qu’étant attendue, à la bonne franquette. Madame Artaud, à droite sur le cliché, est en habits soignés ; le conscrit, son voisin, Marcel Reynaud, la tient par l’épaule, tous deux arborant un sourire de bonheur.
La plupart de ces jeunes, à leur visage détendu et souriant, semblent tout au plaisir de la semaine de fête – pour eux exceptionnelle – qu’ils sont en train de vivre, et le manifestent sans détour devant l’objectif. Qui tient l’appareil ?... Quelques visages sérieux pourraient cependant suggérer la préoccupation quant à l’avenir, après la défaite de 1940 et la politique du gouvernement de Vichy, dont ils dépendent, en zone dite libre...
Quoiqu’il en soit, la guerre est une toile de fond lourde que la fête tend pourtant à oblitérer en partie. Tenue de sortie en cravate et costume, décoration et cocarde symbolisant la nouvelle classe – au revers de la veste, à la boutonnière ou à l’épaulette – larges bérets multicolores ou calots avec ou sans pompon, portés souvent avec désinvolture, cigarette ou pipe aux lèvres, sont, bien sûr, ce que l’œil retient en premier lieu. Les mains sur les épaules signent une marque de solidarité chaleureuse, dans le plaisir comme dans l’incertitude du lendemain.
Au premier plan, nous avons pu identifier :
Debout, de gauche à droite : le père d’un conscrit, M. Artaud, Émile Framboschi , Roger Artaud, Mme ? , Albert Gaillard, Paul Paillet, Marcel Reynaud (domicilié à Saint-Sorlin, mais qui s’est joint au groupe), Mme Artaud.
Accroupis de gauche à droite : Fernand Demeure, Roger Montluet, Pierre Courioux, Henri Clémaron, Louis Genthon, Louis Martin.
L’observation du cliché ne nous autorise pas à affirmer des hypothèses concernant la conscience politique de leur situation personnelle, après un peu plus de deux ans de guerre. Ce que nous savons de quelques-uns d’entre eux nous permet toutefois d’être certain que déjà commençaient à se poser pour eux des questions touchant directement la poursuite ou non du travail qu’ils pratiquaient jusque-là dans leur pays natal, tout simplement parfois, dans leur famille même.
La « paillère » (pailler), en second plan, réserve de foin en plein air, situe l’agriculture traditionnelle de la Valloire à l’époque, résistant encore à l’élan de la culture fruitière, datée, à ses débuts, de l’entre-deux-guerres.
C’est par Louis Genthon, l’un des jeunes conscrits de la classe 42, que le cliché nous est parvenu. Il a conservé également d’autres documents de cette époque – notamment relatifs à son stage accompli ultérieurement dans les chantiers de jeunesse ; certains sont exposés dans ce musée.
Précisons que, sur les 11 conscrits du village, Dussaillant est absent (habitant la commune mais Lyonnais d’origine) et que nous avons déjà remarqué que l’un d’eux n’est pas domicilié à Épinouze mais vient d’une commune voisine.
En outre, les 11 conscrits de la commune accomplissent semble-t-il leur stage dans les Chantiers de jeunesse, sont ensuite convoqués au STO (Service du travail obligatoire). Deux seulement partent travailler en Allemagne ; les autres, pour la plupart, se cachent dans des fermes de la région, comme F. Demeure et L. Genthon, le premier obtenant une carte de réfractaire exposée dans ce Musée.
Auteurs : Michel Seyve
Contexte historique
Le document ne suggère pas une situation de guerre ; au contraire, il évoque la paix, la joie, la liesse même ; peut-être aussi, selon les personnages ou les groupes, une émotion chaleureuse liée à un vécu fort que l’on voudrait ne pas laisser échapper.
Le document ne suggère pas une situation de guerre ; au contraire, il évoque la paix, la joie, la liesse même ; peut-être aussi, selon les personnages ou les groupes, une émotion chaleureuse liée à un vécu fort que l’on voudrait ne pas laisser échapper.
Pour les jeunes hommes, à cette époque, en Dauphiné, avoir vingt ans signifiait franchir définitivement les derniers pas de l’enfance, l’entrée de plain-pied dans la vie d’adulte et dans l’étape de la citoyenneté responsable. Celle-ci est consacrée traditionnellement, depuis la Révolution française, par le service militaire – les Chantiers de la jeunesse sous le régime de Vichy s’efforçant d’y suppléer –. Elle affirme définitivement le soldat dans un aspect essentiel de sa personnalité même de citoyen.
Pourtant, même en zone libre, les restrictions, les soldats prisonniers au travail en Allemagne affaiblissant les fermes et les entreprises, l’impression pénible d’un pays vaincu, sont plus ou moins dans tous les esprits. Bref, l’angoisse d’un avenir incertain et dangereux, enveloppe vraisemblablement l’avant et l’après fête.
Les fêtes des conscrits se situant traditionnellement en fin d’année, et, davantage au tout début de l’an nouveau, la photo évoquant plutôt la période hivernale, ces jeunes ne peuvent encore avoir connaissance du discours de Pierre Laval du 22 juin 1942 : le ministre du Maréchal Pétain annonçait la Relève (échange de prisonniers de guerre français détenus en Allemagne contre des travailleurs français réquisitionnés pour le travail outre Rhin), ni la loi du 4 septembre 1942 autorisant l’envoi forcé de travailleurs en Allemagne. Bien que cet avenir soit proche, que les conséquences de ces décisions soient très lourdes et les concernent directement, les conscrits sont loin de pouvoir les imaginer : ils sont tout à la plénitude de leur fête. Cette fête qui est pourtant située au sein du plus meurtrier des conflits que le monde ait connu.
Auteurs : Michel Seyve
Sources : Rencontres à Épinouze avec Marius Bouzon, Gilbert Brun, Fernand Demeure, M. Genthon, M. Nublat, Georgette Martin, Marceau Montluet.