Témoignage de Marius Sigaud, \

Légende :

De très jeunes garçons essaient de s'engager dans la Résistance. Certains y réussissent.

Genre : Son

Type : Témoignage sonore

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Détails techniques :

Témoin : Sigaud Marius - Interviewer : Claude et Michel Seyve - Durée : 16’30’’ - Date : hiver 20

Date document : hiver 2005

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme

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Analyse média

Lors de la commémoration, le 15 août 2005, de la bataille du Bois Saint-Pierre (22 août 1944), à Nyons, une première rencontre a eu lieu avec Marius Sigaud où Claude et Michel Seyve ont pu l'enregistrer.


Auteurs : Claude Seyve, Michel Seyve

Contexte historique

J’avais 17 ans à l’époque de ce combat, nous confie-t-il. Au cours de l’hiver, il accepte de faire le récit de son engagement précoce dans la Résistance.

"Je vais essayer de vous raconter l'histoire de ma jeunesse durant la Résistance. Je m'appelle Sigaud Marius ; je suis né le 13 septembre 1927 à Marseille. Cette histoire-là a commencé à Noyers-sur-Jabron (Alpes-de-Haute-Provence). J'avais seize ans et demi. C'était au mois d'août 1943 : on m'a parlé de Résistance ; puis, par l'intermédiaire d'un copain paysan, j'ai été enrôlé. On a commencé à faire un peu d'action.

L'action était la récupération des parachutages dans la montagne de Lure, au plateau de Jas de Madame. Un groupe était commandé par Émile Bonnet, plus tard maire de Noyer-sur-Jabron. Ce groupe appartenait à l'AS (l'Armée secrète). Nous étions installés avec des réfractaires, des déserteurs italiens... Nous étions cantonnés en haut d'une montagne, à 1 200 mètres d'altitude, entre Volonne (Alpes-de-Haute-Provence) et Les Bois Enfants, à proximité d'une fontaine qui s'appelle "la fontaine du Cochon". Nous étions là, en attente.
Nous avons participé à la libération des détenus politiques de la citadelle de Sisteron (Alpes-de-Haute-Provence). Nous sommes allés du côté du Mollard. Nous avons tiré du côté du Mollard ; de l'autre côté, on tirait aussi du côté de La Baume. Les détenus politiques ont réussi à s'enfuir. Quelques-uns d'entre eux sont venus avec nous, dont un gars qui s'appelait Roger Amond. Amond était parisien, il habitait la Courneuve ; il était chauffeur de taxi, à Paris. Je me souviens de lui car, ensuite, il a fait de la résistance avec nous quand nous sommes partis. Ces gens-là étaient bien entendu pour la plupart des prisonniers politiques ; 80% étaient communistes. Roger Amond était précisément un militant communiste. Et comme l'AS, à Noyer, ne bougeait pas trop, eux, ils ont voulu partir. Ils ont su, par les gens, par les qu'en-dira-t-on - tout se savait dans ces petits villages-là - Noyer, Saint-Vincent, Montfroc, qu'il y avait les FTP (Francs-Tireurs et partisans), plus haut, qui étaient installés à Séderon (Drôme).

Ils sont partis du côté de Séderon. Je les ai suivis avec Antoine Alfonso, mon copain. Liberté : Nous sommes arrivés au col de la Pigière, où nous avons été interceptés par un groupe de maquisards. Ils tenaient cette position pour empêcher l'accès à Séderon, si les Allemands étaient venus par là. Nous leur avons expliqué d'où nous venions ; nous avions quelques armes. Nous avons donc été enrôlés. Nous sommes restés au col de la Pigière pendant quelque temps ; quinze jours ou trois semaines. Nous avons reçu l'ordre de descendre sur Séderon, trois kilomètres en contrebas. Ils nous ont rassemblés sur un plateau situé sur la route de Barret-de-Lioure. Nous sommes restés là, cantonnés, pas loin d'une centaine : pas mal de monde ! C'est de là que j'ai assisté au bombardement de Séderon par les avions allemands. Un gars, que j'ai connu avant ces événements, qui habitait à proximité de Noyer - il s'appelait Mallet ou Moulet - a été tué lors du bombardement : une bombe a éclaté à côté de lui ; il a pris des éclats et en est mort. Je ne sais pas si des habitants ont été touchés, lors du bombardement de Séderon.

Enfin, on nous a réunis ; on nous a embarqués dans des camions et on nous a fait entrer en action. Nous avons franchi un col, nous avons atteint Rémuzat dans la nuit du 20 au 21. Dans la journée du 21, nous avons filé. Nous avons eu un accrochage aux Pilles.
À l'entrée du village, il y avait un barrage anti-tank. Dans la nuit, le chauffeur ne se servait pas trop des phares, pour ne pas se faire repérer. Le camion a donc heurté le barrage anti-tank. Mais j'étais installé sur le toit du camion, à côté de Tino, mon copain. Il était le mitrailleur ; et comme j'étais jeune, on m'avait donné comme travail de faire passer les chargeurs à Tino, au cas où on aurait à tirer. J'ai failli passer par-dessus le camion : je suis tombé sur le capot d'ailleurs ! Je ne me suis pas fait mal, et nous sommes repartis. Nous sommes entrés dans le village des Pilles le dimanche matin, vers six heures et demie. C'était de bonne heure : on nous a donné du lait chaud, avec un morceau de pain. Et puis, nous sommes repartis. Il fallait faire route vers la vallée du Rhône, et descendre vers Montélimar. Nous sommes passés à Nyons : il n'y avait pas une âme, rien, personne. Tout était mort ; c'était comme si on passait dans un village mort. Je dis : “Tiens ! Tous les habitants sont partis !” Nous avons poursuivi... Nous étions le 22 août 1944.

Qu'est-ce qu'on a fait ? 2, 3, 4 kilomètres... C'est là que nous avons eu l'accrochage avec un blindé.
[En fait, il s'agirait de la D 94, désignée souvent par les termes de “Route d'Orange”, à proximité de la stèle commémorant la bataille du Bois Saint-Pierre qui venait précisément de commencer]. Nous étions comme sur un faux plat ; nous arrivions en haut d'une côte et nous ne roulions pas vite : à 35 à l'heure peut-être. C'était un camion gazo... En haut de ce faux plat, en face, un autre faux plat se présentait, mais à l'envers. Et là ! Arrive le blindé allemand ! Il ne nous a pas laissé le temps... Tino a tiré une rafale ; il n'en a pas tiré deux ! Les Allemands nous ont allumés ; mais, je ne sais pas si c'est avec un canon ou avec une mitrailleuse lourde. Lucien, notre chef de groupe, a crié : “Sautez ! Sautez !” Nous avons sauté du camion. Là je me suis mal reçu ! Je suis mal tombé. J'ai heurté un tronc d'arbre ou le goudron : j'étais à moitié KO. Mais, j'ai vu quand même des gars touchés, devant moi. J'ai vu Lucien : il s'est tourné vers moi et m'a crié : “Gitou ! Gitou ! Gitou !” Et puis, il est mort ! Peuchère... Il est mort en trente secondes. Il avait tout le dos arraché ; il avait pris une balle, ou un obus, je ne sais pas quoi. Moi, je suis tombé dans les pommes.

Puis je ne me rappelle de plus rien. Tout s'est arrêté, à partir de cette attaque-là. Quand je me suis réveillé, j'étais sur le plateau d'une petite camionnette. Nous étions plusieurs blessés. On nous emmenait à l'hôpital de Buis-les-Baronnies. Là, j'étais dans les vapes. Je suis resté ainsi trois à quatre jours. Puis, je suis revenu à moi, mais avec de violents maux de tête. “Je suis bien ; ai-je dit ; je ne reste pas !” Je voulais repartir. Mais le docteur refusa.
[Il devrait s'agir du docteur de l'Hôpital de la Résistance, Arnaud Achiary.]

Je suis parti cependant, en faisant du stop, jusqu'à Nyons. J'y ai appris que le gros de la troupe était stationné à Allan. Comme j'ai pu, en faisant du stop, j'ai rejoint Allan où j'ai déniché ma section. J'ai enfin retrouvé tout le monde ! Et là, on nous a donné l'ordre de fouiller les bois, infestés d'Allemands, dispersés, égarés et dangereux, parce qu'ils étaient armés. Ils fuyaient, mais ils n'avaient plus de véhicules : ils étaient coincés, effectivement.

D'autres groupes que le mien les ont trouvés. Ils ont ainsi ramassé trois Allemands. Ces trois Allemands, je me souviendrais toujours, ils les ont fusillés à Allan, contre le mur de l'église, je crois. Je n'ai pas participé à l'exécution. J'en ai été malade, d'ailleurs. Ils étaient attachés par la même corde, je m'en rappellerai toujours. Ils ont été fusillés là, et puis ils les ont mis dans un fossé, une “ribe”. Ils ont balancé de l'essence sur leurs dépouilles et ont mis le feu. C'était vraiment affreux.

Nous nous sommes dirigés sur Montélimar. Les Américains faisaient mouvement vers la ville. Nous avons participé à la libération ; nous avons collaboré avec des sections de gendarmes, faisant des barrages pour assurer la sécurité.

Enfin, fut organisée une grande manifestation militaire pour célébrer la libération de la cité ; dans le parc de Montélimar, il y avait un colonel, un général, je ne sais pas trop. Des gradés nous supervisaient. Là, en plein air, nous avons signé notre engagement. On nous a dirigés vers la caserne Saint-Martin, où nous avons été équipés en militaires, vêtus avec les uniformes bleus de Chasseurs alpins, et des molletières.

Dans des cars et des autobus, nous sommes montés dans les Alpes. Au cours du transfert, nous avons reçu des équipements, des vêtements, dont une capote : je m'en souviendrai toujours... C'était peut-être à Sainte-Avre-la-Chambre. Là, nous avons passé un jour ou deux, et nous avons atteint Termignon, où nous logions dans les maisons du village. Bien que crevés, nous avons été réveillés, vers sept ou huit heures du matin, par les bombardements.

Les Allemands nous tiraient dessus avec leurs mortiers. Il en a été ainsi toute la journée ; nous avons eu pas mal de morts. Les Allemands n'étaient pas nombreux. Mais ils étaient tellement aguerris... Ils nous ont refoulés de l'autre côté de la rivière, l'Arc, et ils ont mis le feu au village. Le curé de Termignon lui-même a essayé d'éteindre le feu. Puis, les Allemands se sont repliés et nous avons pris position à l'orée du bois. Nous sommes restés en attente jusqu'au mois d'octobre, un mois ou un mois et demi.

Nous sommes alors redescendus jusqu'à Modane, à pieds. Conduits d'abord en train à la petite ville de Moirans, nous avons été dirigés ultérieurement vers Roybon, cette fois en camion. Nous y avons passé la nuit dans l'église, où nous étions tous réunis. À La Côte-Saint-André, un peu plus au nord, on nous a épouillés. Nous étions remplis de poux de corps, qui nous avaient envahis quand nous étions couchés dans la paille. Nous étions dans un état épouvantable ; certains avaient la gale. Nous avons été passés à la vapeur, chez les soeurs.

Nous avons touché une nouvelle tenue. Cette fois, on a vraiment pris la peine de prendre notre nom, notre prénom et notre âge. Lorsque le recruteur a vu mes papiers et a découvert mon âge : “17 ans 3 mois” ; il m'a déclaré : “ mon petit, tu as 17 ans 3 mois ! Tu ne peux même pas avoir l'émancipation de ton père !”
[La majorité était alors à 21 ans]. Je suis revenu dans mes foyers, en ayant fait tout ça. J'ai terminé mon engagement par quelques manoeuvres à Chambaran !"


Auteurs : Claude Seyve, Michel Seyve
Sources : Entretien avec Sigaud Marius (hiver 2005). Dvd-rom La Résistance dans la Drôme-Vercors, éditions AERI-AERD, février 2007.