Témoignage oral de Jack Jolas sur l’attaque d’un train
Légende :
Récit, par un résistant FTP, Jack Jolas, de l’attaque d’un convoi allemand à Portes-lès-Valence en 1943, à partir d’un camp de base dans les Baronnies drômoises, ainsi que de la contre-attaque qui a suivi.
Genre : Son
Type : Témoignage sonore
Producteur : Claude Seyve et Michel Seyve
Source : © AERD Droits réservés
Détails techniques :
Interview sonore de 8,22 mn - Support : cassette magnétique transférée sous format numérique (mp3).
Date document : Mai 2008
Lieu : France
Analyse média
Jack Jolas accepte volontiers de faire le récit en mai 2008, dans son appartement du Cheylard en Ardèche, d’un combat auquel il a participé au cours de son engagement dans la Résistance (interviewer : Claude Seyve et Michel Seyve).
65 ans après les événements – l’attaque d’un train de militaires allemands à Portes-lès-Valence –, il relate avec assurance et précision, mais aussi avec beaucoup d’émotion, le déroulement de cette action, l’une des premières et des plus prestigieuses de la Résistance drômoise de cette fin d’année 1943.
Voici la transcription de l’enregistrement :
« Monsieur Jolas, vous allez peut-être nous expliquer un peu l’attaque du train de Portes-lès-Valence en décembre 1943. Dire comment s’est fait le déroulement, comment vous êtes arrivé à cette attaque à Portes ?
– Eh bien ! Le 8 décembre 1943, le responsable est venu nous voir et nous dire qu’on allait participer à une opération importante. Donc, on s’est préparé. On ne savait pas exactement à quelle opération on allait participer… Je me rappelle, avec mon camarade Pierrot, il m’a dit : « Étienne ! Il faut faire voir aux Boches que, si on se fait tuer, on est des hommes, des maquisards propres. » Malgré que ce soit au mois de décembre, on a fait notre toilette nus, dehors ; et on s’est préparé.
Et donc, le 10 décembre : les camarades sont venus nous chercher ; et alors, on a participé, avec Victor, qui était responsable militaire, Bob, un savoyard ; il y avait Riton de Nyons. Il y avait aussi Marcel Champion, dit Pierrot, Albert Butti d’Éguières et moi-même.
– Et vous, vous aviez un nom de Résistance aussi ?
– Étienne !... Donc les camarades sont venus nous chercher. On est parti le soir. On avait un lieu de rendez-vous. Un car nous a récupérés pour nous emmener sur les lieux. Il y avait déjà des camarades dans le car qui venaient d’un autre camp. Et on est arrivé le soir, au lieu dit le Maroc, à Portes-lès-Valence.
Nous avons attendu un bon moment.
Il y avait deux camarades qui sont descendus sur la voie ferrée, qui ont posé des explosifs sur la voie. Ils préparaient un crapaud. Ce qu’on appelait un crapaud, c’est ce qu’on posait sur la voie, quand le train passait ; c’est ce qui faisait exploser la bombe. Et, deux autres camarades sont allés à un poste d’aiguillage qui se trouvait un peu plus bas, pour neutraliser l’aiguilleur.
Et nous avons attendu. Vers 11 heures, un train de civils est passé. À 11 heures 03, le train allemand est arrivé, suivi d’une grande explosion…
– On était en pleine nuit alors...
– En pleine nuit ! La locomotive est rentrée dans le ballast ; deux ou trois wagons de sont couchés. Il y avait le lieutenant Jean qui nous a crié « Vive la France ! Ouvrez le feu ! » Nous avons donc mitraillé le train avec deux chargeurs de mitraillette. Et aussitôt, le lieutenant Jean a crié : « repli ! ». Donc, on s’est replié pour rejoindre le car.
Malheureusement, c’était des cars au gazo, comme il y en avait pendant la guerre. Le chauffeur du car qui, lui, devait rester à son poste pour entretenir le moteur au ralenti, alors que le gazo était éteint. Lui, il a voulu faire le coup de main avec nous. C’est pour ça qu’il a abandonné son car. Le temps qu’on remette le gazo en état de marche, les deux camarades qui se trouvaient sur l’impériale du car, moi je me trouvais devant le car, sur le côté avec Bob le savoyard et Pierrot, Marcel Champion, et moi-même. On fumait tranquillement une cigarette… Quand les camarades qui étaient sur l’impériale ont crié : « les v’là ! Les v’là ! » Ça a été une envolée. Aussitôt que les Allemands on vu qu’on les avait découverts, ils ont ouvert le feu. Il y avait un tir croisé avec des armes automatiques. Ils ont envoyé des fusées éclairantes. Il faisait clair comme en plein jour. Et nous, avec les camarades… le premier qui a traversé le car, c’est Bob. On est rentré par une portière pour sortir du côté de la portière du chauffeur. Le deuxième, c’est Pierrot. Pierrot s’est écroulé sur le siège. Sur le moment j’ai crié : « Pierrot ! Fais pas le con ! C’est pas le moment ! » Il n’y a pas eu une parole. Le temps passait extrêmement vite. Les balles sifflaient de partout. Les glaces du car volaient en éclats. J’ai enjambé mon camarade et je suis parti. Pendant ce temps-là, Bob avait pris un peu d’avance. Et, d’un seul coup, et j’avais vu qu’il s’allongeait sur le sol. J’ai dit : « merde ! Lui aussi, il y est passé ! » Ce qui m’a permis entre temps de le rattraper. Quelques secondes… et nous sommes arrivés vers une rivière. On a retrouvé cinq camarades, dont Riton, Mickey aussi. La rivière était un peu en crue. On a essayé de traverser la rivière. On est arrivé à peu près au milieu, et Riton a crié : « Inutile ! Demi-tour ! Il y a trop de courant ! » On a fait demi-tour. On est remonté su la berge. On a longé la rivière. Le tir des Allemands avait quand même cessé un peu. On s’est trouvé sur un pont. Mais pour passer sur le pont, on était en pleine vue. Alors on a enjambé le pont un par un. Une fois qu’on a eu traversé le pont, on s’est trouvé un peu à couvert dans la forêt. Et on s’est trouvé devant un canal avec une écluse. Il y avait un blessé avec nous. Il était d’origine… d’Épernay…
– Et alors, finalement, donc, il y en a un que vous avez laissé… ?
– Dans le car. Moi, je n’en ai laissé qu’un.
– Un ami…
– C’était mon meilleur camarade du maquis.
– Et pour les autres… Vous avez réussi finalement… Vous vous en êtes tirés ?
– On a été sauvés…
– Alors, une question que l’on se pose ; mais là, je ne sais pas si vous allez pouvoir y répondre : Est-ce que, du côté allemand… Les choses ont été difficiles à supporter je suppose ?
– Ont-ils eu beaucoup de pertes ?
– Oui, il paraît qu’ils ont eu beaucoup de pertes… Mais avec les Allemands, on ne savait jamais exactement combien ils avaient de blessés, combien ils avaient de morts. Ça, on n’a jamais su.
– Donc, ils ont été surpris… Le train a déraillé ?
– Le train a déraillé. La locomotive est rentrée dans le ballast. C’est là qu’on a ouvert le feu. On entendait des cris, des hurlements, de tout… Les Allemands criaient…
– Les Allemands ont eu au moins des blessés ?
– … Des morts, certainement des morts
– Surtout… Quelque chose… À laquelle on ne pense pas, peut-être, c’est l’effet psychologique également. Pour eux…
– Pour eux ! C’était un choc, comme vous dites, psychologique. Cela leur faisait comprendre qu’ils ne seraient pas en sécurité nulle part. Ça s’est perpétré deux fois. »
Auteurs : Claude Seyve, Michel Seyve
Contexte historique
Sous la responsabilité de "Satan", des hommes de ce camp participèrent à l'attaque d'un train de permissionnaires allemands, à Portes-lès-Valence, le 10 décembre à 23 heures - opération préparée par les sédentaires du groupe franc de la ville.
Martin André ("Bob") dit "le Savoyard", Avalone ("Victor") - CM de Nyons, Riton originaire également de Nyons, Albert Butti ("Popeye") d'Éyguières (Bouches-du-Rhône), Charrel ("Léon") de Saint-Agrève (Ardèche), Marcel Champion ("Pierrot") et Jack Jolas, quittèrent Nyons en car à la nuit. Le véhicule effectua le ramassage d\'autres groupes sur sa route. Ils atteignirent les lieux à 21h 30. Le chauffeur stoppa son véhicule à un kilomètre du point d'intervention et voulut participer à l'action ; il était pourtant prévu qu'il tienne son véhicule prêt à la retraite.
Jack Jolas fait le récit de l'attaque ; elle a marqué sa mémoire. "Un premier train de civils passa. "Le crapaud\" fut posé, qui devait faire sauter le train de permissionnaires allemands, passant quelques minutes plus tard. L'explosion eut lieu. Les armes crépitèrent... Puis les volontaires se précipitèrent vers le car. Mais le gazo, que le chauffeur n'avait pas entretenu, ne voulut pas démarrer ! Ils avaient les Allemands aux trousses : ils durent abandonner le car. "Bob", "Étienne" et "Pierrot" se trouvèrent bloqués, entre le car et leurs ennemis. Bob, entrant par une portière, sauta par l'autre, suivi de "Pierrot" et "Etienne". Mais, "Pierrot" (Marcel Champion), touché par une balle, s'écroula, mort, sur le siège du chauffeur."
Jack Jolas s'interrompt sous le coup de l'émotion ; c'était un grand ami... Les deux survivants retrouvèrent leurs camarades.
Récit, par l’un des participants, de l’une des onze attaques contre les voies ferrées, répertoriées en décembre 1943. Elle signe la collaboration des maquis méridionaux et des groupes francs de la vallée du Rhône, gênant les déplacements de l’adversaire et portant un coup à son moral.
Auteurs : Claude Seyve et Michel Seyve
Sources : Entretien au Cheylard avec J. Jolas, 22 février 2006. Dvd-rom La Résistance dans la Drôme-Vercors, éditions AERI-AERD, février 2007.