Discours du général de Gaulle à l'Hôtel de Ville

Légende :

Séquence extraite de La libération de Paris, film réalisé en août 1944 par le Comité de libération du cinéma français.

Genre : Film

Type : Film

Source : © Institut national de l’audiovisuel Droits réservés

Détails techniques :

Durée de l'extrait : 0:07:38s 
Emplacement dans le film : 00 :23 :56s

Date document : 25 août 1944

Lieu : France - Ile-de-France - Paris

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Analyse média

25 août 1944
0:00:18s : arrivée du général de Gaulle à l'Hôtel de Ville
0:00:23s : discours du général de Gaulle à l'Hôtel de Ville. A sa droite se tient Georges Marrane, vice-président du Comité parisien de Libération. A l’extérieur, une foule compacte et nombreuse attend le Général. 
0:01:48s : les troupes alliées sont acclamées par la population parisienne

26 août 1944
0:02:58s : A l'Arc de Triomphe, le général de Gaulle et le général Leclerc passent en revue des éléments de la 2e DB. De Gaulle dépose ensuite une gerbe en forme de croix de Lorraine sur la tombe du Soldat inconnu.
0:03:26s : Descente des Champs Elysées par le général de Gaulle escorté par des blindés de la 2e DB sous les acclamations de la foule.
0:05:25s : Place de la Concorde, le général de Gaulle remonte en voiture
0:05:50s : passage de la voiture du Général rue de Rivoli
0:06:23s : Le général de Gaulle devant l'Hôtel de Ville


Fabrice Bourrée

Contexte historique

Par cette journée historique de la libération de Paris, le Général de Gaulle arrive dans la capitale quelques heures après la reddition des Allemands. Depuis le matin, les foules en liesse s'amassent sur les boulevards et devant l'Hôtel de Ville, où siègent le Conseil national de la Résistance et le Comité parisien de Libération. La Deuxième division blindée de l'armée française, dirigée par le général Leclerc, occupe la ville, et le général allemand von Choltitz vient de signer le document de capitulation, se rendant au général Leclerc et au commandant des Forces françaises de l'intérieur qui se battaient dans les rues depuis plusieurs jours, le colonel Rol-Tanguy.
La signature a eu lieu à la gare Montparnasse, quartier général temporaire établi par Leclerc ; c'est là que se dirige Charles de Gaulle après son entrée triomphale par la Porte d'Orléans vers le milieu de l'après-midi. Il félicite Leclerc et Rol-Tanguy, mais fait remarquer à celui-ci un certain déplaisir à voir, sur le document de reddition, le nom du chef résistant communiste Rol-Tanguy à côté de celui du général de l'armée de la République. De Gaulle lui-même raconte cet incident dans ses Mémoires de guerre""Vous êtes, dans l'affaire, l'officier le plus élevé en grade, par conséquent seul responsable. Mais surtout, la réclamation qui vous a conduit à admettre ce libellé procède d'une tendance inacceptable". Je fais lire à Leclerc la proclamation publiée, le matin même, par le Conseil national de la Résistance se donnant pour "la nation française" et ne faisant aucune allusion au gouvernement, ni au général de Gaulle.  Leclerc comprend aussitôt.  De tout mon coeur, je donne l'accolade à ce noble compagnon".
Cette petite anecdote permet de comprendre une grande partie de la stratégie politique du chef de la France Libre dans ces premiers jours de l'après-Vichy : parer aux dangers de l'anarchie, empêcher les communistes de prendre le pouvoir, maintenir sa propre autorité comme seul chef légitime, tout en affirmant l'unité nationale. Il le dit clairement dans ses Mémoires"J'ai moi-même, par avance, fixé ce que je dois faire dans la capitale libérée. Cela consiste à rassembler les âmes en un seul élan national, mais aussi à faire paraître tout de suite la figure et l'autorité de l'Etat".
C'est pourquoi, tandis que les chefs de la Résistance l'attendent à l'Hôtel de Ville, lieu symbolique des mouvements de révolte populaire, le Général de Gaulle se rend, après la Gare Montparnasse, au Ministère de la Guerre. En effet, c'est de ce ministère qu'il est parti, avec le reste du gouvernement de la Troisième République, en juin 1940, lorsqu'il était sous-secrétaire d'Etat dans le gouvernement de Paul Reynaud. Et c'est ici qu'il reçoit, vers 17h00, ce 25 juin 1944, son fidèle lieutenant, le délégué général du gouvernement provisoire nommé par lui, Alexandre Parodi, ainsi que le préfet de police Charles Luizet.

A l'Hôtel de Ville, on continue à l'attendre. Mais lui se rend d'abord, en voiture,  à la Préfecture de police "pour saluer la police parisienne", dit-il dans ses Mémoires. Enfin, à 19h00, il se rend à pied à l'Hôtel de Ville, où la foule n'a cessé de grandir. Là, il est reçu solennellement par Georges Bidault, chef du CNR qui évoque dans son allocution la mémoire de son fondateur Jean Moulin, et par Georges Marrane qui représente le Comité parisien de Libération. C'est en réponse à cet accueil chaleureux que de Gaulle prononce son discours devenu célèbre, dont il dit dans ses Mémoires qu'il fut "improvisé".
Improvisé, peut-être. Mais aussi mûrement réfléchi, conforme à son double projet d'unité nationale et d'autorité de l'Etat, le tout atteignant une hauteur rhétorique impressionnante.

Le discours débute de manière émotive : "Pourquoi voulez-vous que nous dissimulions l'émotion qui nous étreint tous, hommes et femmes, qui sommes ici, chez nous, dans Paris debout pour se libérer et qui a su le faire de ses mains.  Non! nous ne dissimulerons pas cette émotion profonde et sacrée.  Il y a là des minutes qui dépassent chacune de nos pauvres vies." Puis, le ton monte encore, dans une série d'exclamations quasi-poétiques où les noms de Paris et de la France sont scandés comme une incantation : "Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! mais Paris libéré ! libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l'appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle." Ce discours a été filmé, et lorsqu'on voit les gestes et les expressions de visage qui accompagnent ces phrases, on dirait un grand acteur dramatique sur scène. Mais notons que, à part leur force poétique, ces phrases véhiculent aussi un message politique puissant : la libération de Paris est l'œuvre du peuple unanime, non seulement de la ville mais du pays entier. Qui plus est, cette œuvre est exclusivement française - pas un mot sur le rôle des Alliés, du débarquement du 6 juin, du  général Eisenhower. Pas un mot non plus sur les mouvements de la Résistance, puisque selon ces phrases la France entière a résisté à l'ennemi.

L'historien Henry Rousso, dans son livre important Le syndrome de Vichy, a fait remarquer que par ces quelques phrases "le général de Gaulle a posé d'emblée la première pierre du mythe fondateur de l'après-Vichy. Fort de sa légitimité, il va inlassablement chercher à écrire et réécrire l'histoire des années de guerre."  Le "mythe fondateur" qu'on a appelé le résistancialisme a persisté jusqu'à après la mort de Charles de Gaulle ; il a fallu attendre le début des années 1970 pour qu'une vision plus équilibrée des années d'Occupation commence à s'élaborer.

Dans le dernier paragraphe de ce discours, dont la longueur entière ne dépasse pas quarante lignes imprimées, de Gaulle se tourne vers les devoirs qui restent à accomplir, puisque la guerre n'est pas encore finie (la guerre  en Europe ne prend fin qu'en mai 1945).  Et il fait enfin allusion aux grands absents des paragraphes antérieurs, "nos chers et admirables alliés" et "nos braves et chères forces de l'intérieur". Mais il est clair que selon lui ces deux entités ne sont que des adjuvants, qu'ils ne mènent pas l'action mais y "concourent" seulement.  D'ailleurs, les "braves et chères forces de l'intérieur vont s'armer d'armes modernes", ce qui est une façon de dire qu'ils seront intégrés à l'armée régulière. Ce sera un moyen d'assurer qu'ils ne nuisent pas à l'autorité de l'Etat. De même, De Gaulle fera tout pour effectivement dissoudre le Conseil national de la Résistance en l'intégrant dans l'Assemblée consultative du nouveau gouvernement. A côté du mythe de la nation entière unie dans sa Résistance contre l'ennemi, il y a cet autre mythe d'une Résistance unie derrière le chef de la France Libre. Là aussi, il a fallu attendre beaucoup d'années pour qu'une appréciation  plus exacte des enjeux et des conflits à l'intérieur même de la Résistance commence à se manifester.

Mais si on peut juger aujourd'hui dans une perspective critique la rhétorique du général de Gaulle le jour de la libération de Paris, il est aussi utile de rappeler que par sa stratégie politique il a réussi à donner aux Français une image positive d'eux-mêmes, après quatre années d'humiliation, et à raccommoder, ne fût-ce qu'imparfaitement, les âpres divisions franco-françaises qui avaient dominé le pays pendant l'Occupation allemande.


Susan Rubin Suleiman in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004