Eperon de la Grande Cournouze
Genre : Image
Type : Photo
Producteur : Cliché Alain Coustaury
Source : © Collection Alain Coustaury Droits réservés
Détails techniques :
Photographie argentique en couleur avec rajouts d’indications.
Date document : Juin 2006
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Saint-Martin-en-Vercors
Analyse média
Deux entrées du Vercors, la double cluse des Goulets et des gorges de la Bourne, séparées par l'éperon de la Grande Cournouze*. On peut constater la violence du relief. L'éperon de la Grande Cournouze a abrité un maquis en 1943. Vue vers le nord ; altitude de prise de vue : 1 700m.
Cette vue montre les difficultés d’accès au massif du Vercors, ce qui n’a, cependant, pas empêché les troupes d’occupation, italiennes puis allemandes, d’y pénétrer.
(*) Plusieurs orthographes sont possibles.
Auteurs : Alain Coustaury
Contexte historique
Le 18 mai 1943, les soldats italiens attaquent un camp de réfractaires à Cornouze, sur la commune de Saint-Martin-en-Vercors.
Charles Blachon, romanais réfractaire au STO était caché au camp de Cornouze, situé entre Saint-Martin-en-Vercors et la vallée de la Bourne, depuis la mi-mars 1943. Les jeunes maquisards étaient sans armes. Le 18 mai, le camp est attaqué par les soldats italiens. Au cours d'une interview, Charles Blachon se remémore cette attaque.
« On a été le premier maquis qui a été attaqué par une armée le 17 ou 18 mai 1943. J'ai entendu dire par les responsables qu'il y avait eu plus de 3 000 Italiens qui étaient montés. On était complètement encerclés. Ça s'est passé d'une manière tout à fait inattendue. Grenoble qui était responsable de tout ne nous a pas prévenus de ce départ. Ils sont arrivés là-haut. C'est un paysan qui est monté avertir au camp. [Le rapport du préfet du 1er juillet 1944 indique "400 Italiens". Le rapport de gendarmerie du 24 mai 1943 indique seulement "un détachement de troupes italiennes venant de Grenoble"]
Au camp, il s'est trouvé que le chef, Cathala [pseudonyme : "capitaine Grange"], n'y était pas, il était chez lui. Il n'y avait pas de chef. L'autre, celui d'Avignon, qui normalement était en dessous, a dit : "Moi, je vais faire la liaison". Il est parti. Je ne sais ce qu'il est devenu après. Il s'est barré ! C'est Perrin qui a pris le commandement du camp. Si vous avez connaissance de la Résistance en Ardèche, vous avez entendu parler du capitaine Basile. C'était lui. [...]. C'est lui qui a dirigé le camp quand les Italiens sont montés.
Les Italiens sont montés par groupes, très précautionneux, doucement, doucement. Ils avaient la frousse ! Tout le long de ce petit promontoire, il y a une route vers Chatelus qui descend sur Vesors, vers l'usine électrique, et ça remonte de l'autre côté. Et sans arrêt, sans arrêt, les voitures, les camions des Italiens tournaient. Ça représentait du monde. [...]
Je n'étais pas au camp. Le jour où les Italiens sont montés, j'étais de ravitaillement parce qu'une équipe descendait presque chaque jour, pour chercher la nourriture. C'était dans les fermes qui étaient au-dessus de Saint-Martin, des fermes isolées qui appartenaient à Fillet, un exploitant forestier qui habitait au quartier de La Rivière, à La Chapelle-en-Vercors, il avait plusieurs maisons comme ça. J'étais avec Boulet dont la mère était infirmière à Romans. On n'était pas remontés le soir, parce qu'on avait un panier de choucroute à monter, aussi bizarre que ça puisse paraître. Il fallait mettre une barre en travers et le porter sur les épaules. On ne voulait pas remonter de nuit alors on a attendu le matin. On était en train de remonter. Il fallait quand même deux heures pour arriver là-haut. On était arrêtés sur le bord du chemin. Le paysan de la dernière ferme qui était en haut est descendu en courant, il nous dit : "Vous avez les soldats italiens qui sont à 50 m de vous". On ne les voyait pas. Je ne vous dis pas si on a calté pour monter au camp. Il y avait le camp de Cornouze et un petit groupe (d'une dizaine), installé sur le versant avant le camp, chargé de veiller à tout mouvement de personnes. J'étais de ce groupe.
Quand le paysan du bas est monté avertir, il a averti le groupe. Un est monté avertir ceux du haut. Le groupe de surveillance est parti se réfugier dans l'endroit qui avait été prévu, en dessus des Baraques, dans le Bois de l'Allier. Ceux du camp ont vu qu'ils ne pouvaient pas redescendre, ils sont allés à la Grande Cournouse, sauf Perrin qui est resté dans la maison en ruine, presque une villa, qui avait été abandonnée, complètement cassée. Il est resté dans une citerne, dans l'eau. C'est le seul qui est resté. Nous, on était en dessus. On est monté à la Grande Cournouse d'où on voyait la Petite Cornouse. Les Italiens sont arrivés. Ils n’en menaient pas large aussi ! Baïonnette au canon ! Devant la maison, c'était une grande prairie. Ils ont attaqué à la baïonnette. Il n'y avait plus personne dans la maison. Ils gueulaient ! Une autre partie, passant par les bois, a contourné. Si on avait été armés, on aurait tiré sur ceux de la prairie.
C'est bizarre parce que cette attaque-là, on l'avait répété avec le chef. Je lui avais dit : "Ceux qui passent là sont sacrifiés." Il m'avait répondu : "C'est la tactique. On fait tuer des types pour pouvoir passer de l'autre côté." Et les Italiens ont fait exactement la même chose. Quand ils sont arrivés à la maison, il n'y avait personne. Les affaires qui étaient cachées dans les bois ont été toutes saccagées. De là, il y avait des petits chemins qui suivaient la falaise sur lesquels il y avait une grotte. Et là, il y en avait une qui était fermée, une baume, avec une petite porte en bois. Ils tapaient contre la porte, mais il n'y avait personne dedans. Ils ont tout cassé. Et nous, on a rien eu. Puis, ils sont repartis. Ceux qui étaient partis pour le Bois de l'Allier sont descendus. Il y avait Ezingeard, Perrenot, Chastan de Romans, deux de La Voulte et quelques autres. Mais Ezingeard avait mal aux pieds, pour ne pas grimper, ils sont passés par le chemin et ils sont tombés sur les Italiens. Quelqu'un a donné l'ordre de se disperser. Certains sont partis en courant, d'autres se sont planqués dans les buissons. Ils se sont fait ramasser, Ezingeard, Perrenot et deux de La Voulte. Ils ont été déportés dans les camps mais ils sont revenus à Romans. Après leur arrestation, ils ont été emmenés à Grenoble. Puis, plus tard, ils ont été livrés aux Allemands. Je ne sais pas quand ni dans quelles conditions. Ils se sont retrouvés dans les camps en Allemagne et en sont revenus malades. Ezingeard en est mort. Je crois que le paysan qui redescendait a été arrêté aussi, mais, de lui, je n'ai jamais eu de nouvelles [D'après le rapport de gendarmerie du 24 mai, il y a eu six arrestations "dont quatre étrangers au pays et deux cultivateurs de la commune. Les deux cultivateurs ont été relâchés par la suite"].
Les Italiens, on ne peut pas dire qu'ils se soient mal conduits là-haut. Ils n'ont tué aucun des gars aux fermes. Ils n'ont rien fait, à part les endroits où on était. Les autres, ils les ont emmenés mais ne leur ont pas tiré dessus. Ils avaient la frousse. Si on avait été armés ! Mais les armes, on n'avait rien. On n'avait que des couteaux, des couteaux pour couper le pain !
C'est la seule attaque où vraiment ils avaient déplacé des forces. On est restés là-haut, on n’avait aucune nouvelle des responsables. Comme c'était Perrin qui commandait, il a choisi son meilleur copain pour l'envoyer à Saint-Martin ! C'est moi qui suis descendu ! Pour retrouver la liaison avec le groupe. Il fallait que je descende à l'épicerie Roche. C'est eux qui s'occupaient de la liaison. J'ai mis un moment parce que je faisais attention en descendant. Quand je suis arrivé dans le village, il y avait un gros camion, arrêté, bâché. Je n'osais plus traverser. Il y a un habitant qui m'a vu de sa fenêtre, il m'a dit : "Vous venez de là-haut ?" Je l'ai reconnu, c'est quelqu'un qui nous avait monté le courrier, il servait de liaison avec nous. Je suis allé à l'épicerie de M. Roche qui a réuni deux ou trois personnes qui étaient au courant. Un est monté au camp. Je suis resté avec eux, on est allé chercher du ravitaillement. J'ai passé, sans dormir, au moins 48 h.
On ne sait pas qui a pu signaler le camp aux Italiens. Mais il s'était passé une chose bizarre. Quelque temps avant, un propriétaire est monté pour vendre le terrain. Il était avec quelqu'un pour lui faire voir. Mais il y avait tellement de remue-ménage. N'importe qui serait monté de Grenoble aurait pu en entendre parler. À la campagne, il nous arrivait de descendre dans une ferme pour donner des coups de main, pour ramasser le foin, trois ou quatre jours chez un paysan. Donc, on se déplaçait, ils étaient tous au courant. Les fuites peuvent arriver vite.
Ensuite, il a été décidé d'abandonner le camp. On est remonté à Darbounouze, dans les Hauts Plateaux.»
L’essentiel de ces maquisards étaient des réfractaires au STO, sans armes. Ce témoignage, malgré ses imprécisions, voire ses contradictions, renseigne sur la vie des résistants en ce début 1943, sur la précarité de leur installation, sur leur implication dans la vie du pays, sur les risques encourus, sur la légèreté de l’encadrement.
Auteurs : Jean Sauvageon
Sources : Entretien oral avec Charles Blachon.