Arrestations de collaborateurs

Légende :

Arrestations de femmes qui ont pratiqué "la collaboration à l'horizontal", de Stéphane Lauzanne, éditorialiste du journal Le Matin et de Paul Devise, Président de la Tribunal d'Etat sous l'Occupation

Genre : Film

Type : Actualités filmées

Source : © Institut national de l’audiovisuel Droits réservés

Détails techniques :

Séquence à visionner : 0:00:01s à 00:00:30s
Extrait du film La Libération de Paris réalisé en août 1944 par le Comité de li

Date document : Août 1944

Lieu : France - Ile-de-France - Paris

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Analyse média

0:00:01s : arrestations de femmes accusées de collaboration
0:00:11s : arrestation de Stéphane Lauzanne. 
0:00:21s : arrestation de Paul Devise.

Seul épisode du film "La libération de Paris" consacré à l'arrestation de collaborateurs, cette séquence révèle les enjeux de l'équipe réalisatrice sur la question de la représentation de l'épuration.
On remarque en premier lieu la composition travaillée des scènes qui se caractérisent par l'absence de spontanéité des figurants posant ostensiblement devant la caméra : la main d'un homme relève le bord du chapeau de l'une des prisonnières pour livrer son visage à l'objectif ; les membres de la Croix-Rouge qui entourent la civière du président Devise fixent sagement l'objectif et, dans une parfaite immobilité, tiennent le drapeau français dans le champ de l'appareil. L'analyse des rushes non utilisés montre également que la scène d'arrestation de Lauzanne a été répétée et qu'elle donna lieu à plusieurs prises. Contrairement à d'autres films réalisés à la même époque (Paris Liberated par exemple), La Libération de Paris ne montre pas d'image de "l'épuration sauvage" : femmes tondues, giflées, humiliées ; collaborateurs brutalisés. Certaines de ces scènes de violence furent précisément utilisées par des documentaires ou bandes d'actualités d'origine allemande ou anglo-saxonne pour altérer l'image de la Résistance française et dénoncer le chaos régnant dans l'Hexagone ; quelques-unes de ces images furent tournées par les opérateurs du CLCF comme l'atteste l'examen des rushes non utilisés.

Ces choix de mise en scène et de montage signalent la volonté des auteurs d'effacer de leur film les "scories de l'histoire" afin de présenter à la postérité et à une audience internationale l'image d'une Résistance française légaliste, respectueuse de ses prisonniers, soucieuse de juger selon la loi plutôt que d'exercer sa vengeance de manière expéditive. Cette stratégie devait être originellement relayée par le commentaire de Pierre Bost ; le texte initial de la séquence s'ouvrait en effet par la phrase suivante : "on commence à nettoyer Paris...On arrête les collaborateurs, les gros et les petits. On ne les châtie pas encore, on les jugera...En voici un petit, un obscur collaborateur de quartier...Hop. En prison.!" Pour illustrer cette déclaration, les premiers spectateurs du film purent voir à l'écran l'arrestation d'un vieil homme coiffé d'un béret, escorté par des civils français qui l'aident à monter dans un camion portant l'inscription "Police FFI".
Ce début de séquence -conservé dans la version britannique - fut supprimé dans les copies d'exploitation après quelques semaines de projection.
En septembre 1944 en effet, André Zwobada avait eu la surprise de voir pénétrer dans son bureau "l'obscur collaborateur de quartier" ; ce dernier se présenta comme le parent d'une grande figure de la Résistance et précisa qu'il avait été arrêté par erreur et aussitôt relâché. Mais l'immense succès du film avait fait de cet acteur involontaire une cible de prédilection pour ceux qui le reconnaissaient dans la rue et ne se privaient pas de le conspuer… Avec l'aval de ses camarades, André Zwobada accepta de réparer cette injustice en coupant le début de la séquence ; pour cette raison très contingente, le discours sur la légalité disparut du commentaire tandis que Devize, Lauzanne et le groupe de femmes restaient les seuls collaborateurs présentés à l'écran.


Sylvie Lindeperg in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004


Contexte historique

Stéphane Lauzanne
A partir du printemps 1941, Lauzanne devient éditorialiste du journal Le Matin et prône la collaboration, obéissant aux consignes de la Propaganda Abteilung. Il est arrêté le 22 août 1944 et déféré devant la cour de Justice de la Seine le 15 septembre. Le 30 octobre, il est condamné à 20 ans de réclusion pour intelligence avec l'ennemi. Il passe quelques années en prison, notamment au pénitencier de l'Île de Ré, puis il est libéré. 

Paul Devise
Lorsque le régime de Vichy ordonne la création du Tribunal d'Etat en septembre 1941, le conseiller honoraire Paul Devise -qui est alors âgé de près de 74 ans- décide de sortir de sa retraite et accepte avec empressement de présider la nouvelle juridiction d'exception mise en place par le régime. Le président Devise fit preuve d'une sévérité toute particulière dans l'exercice de ses nouvelles fonctions en conduisant les débats avec une très grande fermeté et en formulant systématiquement des avis négatifs à l'occasion des recours en grâce introduits par les avocats des prévenus. À la Libération, Paul Devise fit l'objet de poursuites disciplinaires. Dans son rapport au garde des Sceaux, le président de la Commission d'épuration de la magistrature dressa un réquisitoire particulièrement sévère contre cet ancien magistrat, en soulignant qu'il avait volontairement posé sa candidature "à la présidence du nouveau tribunal sanglant", qu'il "n'avait pas déçu la confiance de ses mandants [puisqu'il avait prononcé] sans hésitation de nombreuses condamnations à mort pour des faits à peine punis de peines correctionnelles", qu'il s'était "prêté sans vergogne aux desseins de l'ennemi" en lui donnant "satisfaction en matière de répression" et que son action en faveur de l'occupant avait largement contribué à "asservir la magistrature française". Il insistait sur le fait que Devise avait "tiré un avantage matériel de sa complaisance envers Vichy et le Reich, en augmentant sa retraite du montant des notables indemnités allouées au président du Tribunal d'Etat". C'est pour l'ensemble de ces motifs – et au vu du grand nombre de condamnations à mort prononcées par le tribunal d'Etat sous la présidence de Devise – que le garde des sceaux François de Menthon décida, par arrêté du 17 avril 1945, de retirer la qualité de magistrat honoraire à l'intéressé et de le priver définitivement de sa pension de retraite. Parallèlement à cette procédure disciplinaire, Devise fit l'objet de poursuites pénales devant la Cour de Justice de la Seine. Des expertises médicales apportèrent la preuve que le prévenu était atteint d'une "démence artérioscléreuse en évolution" qui le privait de tout discernement et s'opposait au prononcé d'une condamnation pénale. Le juge d'instruction fit application de l'article 64 du Code pénal et rendit une ordonnance de non-lieu en faveur de Paul Devise qui fut enfermé dans un asile d'aliénés.


DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004