Centrale d’Eysses, une prison politique pendant la guerre

Légende :

Quatorze Drômois arrêtés, parfois depuis 1941, pour opposition politique ou faits de Résistance, considérés comme dangereux, sont rassemblés dans la centrale d’Eysses entre octobre 1943 et mai 1944.

Genre : Image

Type : Plan

Producteur : Dessin de Robert Serre

Source : © Collection Robert Serre Droits réservés

Détails techniques :

Dessin au crayon.

Date document : 2005

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot

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Analyse média

La centrale d’Eysses se compose de plusieurs espaces bien distincts. Hormis la caserne au centre de laquelle se situe le porche d’entrée de la Centrale, nous pouvons distinguer l’espace administratif et les zones de détention.

L’espace administratif se situe autour de la cour d’honneur avec les logements de fonction à gauche et le bâtiment administratif proprement dit, au fond, qui comprend : les bureaux de direction, l’économat, les parloirs et surtout le greffe de la Centrale, lieu de passage obligatoire de tous les condamnés incarcérés à Eysses.

La zone de détention peut elle-même être découpée en trois zones : le quartier cellulaire, les préaux et l’infirmerie.
Une fois passées les formalités du greffe et revêtu le costume de bure, les résistants sont répartis vers les préaux ou le quartier cellulaire, lieux de la vie carcérale. Le quartier cellulaire sert à isoler les différentes catégories de détenus et ne contient tout au plus qu’une cinquantaine de prisonniers, mais dans des cellules surpeuplées prévues initialement pour un seul. La majorité des détenus est regroupée dans les quatre préaux. Jusqu’en octobre 1943, le régime carcéral y est extrêmement rude, c’est le régime du silence et des brimades. Un collectif patriotique se met en place, organisant la solidarité et l’endurcissement physique et moral, s’imposant à l’écoute de la direction et préparant l’évasion collective. Alors, le régime s’assouplit et les nouveaux arrivants sont frappés par l’atmosphère de semi-liberté qui règne dans cette centrale.
L’infirmerie, quant à elle, revêt une importance stratégique. Elle constitue le point de rencontre entre les détenus des différents préaux. C’est également un lieu de parloirs libres avec les familles et un endroit qui favorise le lien avec la résistance extérieure.

Sur la droite du plan, figure ce qui à l’époque était la cour d’étendage de la Centrale. C’est dans cette cour que le 23 février 1944, douze résistants - Auzias Henri, Stern Joseph, Bernard François, Chauvet Jean, Brun Roger, Sero Jaime, Marqui Alexandre, Sarvisse Félicien, Serveto Bertrand, Vigne Jean, Guiral Louis et Pelouze Gabriel - furent exécutés après avoir été condamnés par une cour martiale réunie dans la buanderie de la prison. Depuis ces tragiques événements, cet endroit est devenu le « Mur des Fusillés », lieu de mémoire inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques.


Auteurs : Fabrice Bourrée
Sources : Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy : l'exemple des centrales d'Eysses et de Rennes, Paris, l’Harmattan, 2007. Michel Reynaud, Eysses contre Vichy, Tirésias, 1992.

Contexte historique

En octobre 1943, la prison d'Eysses, à Villeneuve-sur-Lot, devient un lieu stratégique où les autorités de Vichy décident de concentrer tous les condamnés politiques de la zone Sud. Le chiffre des prisonniers politiques détenus à Eysses atteindra 1 400 début 1944. Quatorze d’entre eux sont Drômois. Ils participent à la tentative de mutinerie du 19 février 1944, puis sont déportés.

La centrale d’Eysses se situe à Villeneuve-sur-Lot, dans le Lot-et-Garonne. 

Pour éviter les évasions dans certaines prisons trop perméables, Bousquet, secrétaire général de la Police, décide par circulaire du 26 octobre 1943, le transfert à Eysses de tous les condamnés par les sections spéciales de la zone Sud et par le tribunal d’État de Lyon « pour menées communistes, terroristes, anarchistes ou subversives » (dont ceux des prisons lyonnaises de Saint-Paul et Montluc). 
À partir d’octobre 1943 jusqu’en mai 1944, 1 200 résistants de toutes opinions, de toutes origines, y sont détenus. Ces hommes sont des « politiques » condamnés, pour opposition aux nazis ou au régime de Vichy, à des peines de prison, de réclusion ou aux travaux forcés à temps ou à perpétuité. 

Les Drômois qui y ont été recensés sont Gilbert Alléon, Georges Clemancon le benjamin de 19 ans, Georges Dunoir, tous trois de Valence, André Aversenq, Charles Fréchard et Louis Imbert, les trois imprimeurs clandestins de L’Humanité à La Roche-de-Glun, Pierre Achard de Romans, Cyrille Cros et René Seston les communistes de Pierrelatte, Alfred Vernin de Montélimar, Robert Belot replié du Nord à Montélimar, Luc Céteaud de Portes-lès-Valence, Edmond Perrier de Saint-Vallier, et Henri Reynaud arrêté à Tain. 

Tous ces hommes seront déportés, d’abord à Dachau. On pourrait y adjoindre les Ardéchois Johan Gay et André Thévenon, de Tournon, qui agissaient avec Reynaud sur les deux rives du Rhône (Tain et sa région) et ont connu le même itinéraire de prison et déportation, ainsi que Joseph Bouche, communiste du Gard, transféré de Eysses à la citadelle de Sisteron dont il s’évade pour gagner la Drôme et le maquis FTPF de Buis-les-Baronnies, et Maurice Lagarde, de Saint-Paul-Trois-Châteaux, militant clandestin du PCF et de la Résistance, incarcéré à Eysses où il est libéré le 24 février 1944 pour maladie.

Très vite, ces militants aguerris s’organisent et créent des structures clandestines de résistance. C’est ainsi que le Valentinois Georges Dunoir, dirigeant du mouvement Le coq enchaîné à Lyon, écrit à sa famille pour qu’elle lui envoie en pièces détachées et mêlées à d’autres objets anodins, un poste de radio. Tout se passe bien et le poste remonté fonctionne. Le responsable de l’infirmerie le prend en charge et le cache. La nuit, un groupe va écouter Londres ou Moscou et, dès le lendemain, diffuse les informations à tous les détenus.
« Une des premières préoccupations, écrit René Seston, fut de constituer des groupes de 15 pour répartir équitablement la nourriture reçue des familles : dans chaque équipe se trouvaient toujours quelques agriculteurs qui percevaient des colis plus fournis que les détenus de la ville, parfois totalement dépourvus. De cette manière avons-nous appris à partager, à nous sentir étroitement liés les uns aux autres et finalement à être plus forts. »
Par leur fermeté et leur unité, les détenus arrachent de la direction des améliorations à leurs conditions d’enfermement, en particulier en matière d’hygiène, et les politiques arriveront à s’imposer à la place des « droit commun » dans les postes administratifs, l’infirmerie, la lingerie, les cuisines, l’entretien.
Chaque préau de 150 à 300 détenus, sous le couvert d’activités culturelles et sportives, s’est doté d’un Comité directeur et d’un état-major militaire qui constituent la direction clandestine de la prison. Les activités culturelles tiennent une grande place, avec des conférences, des causeries, l’apprentissage de langues… Un journal calligraphié est affiché, une chorale, des troupes de théâtre, des équipes sportives sont créées. René Seston a suivi certains de ces cours de perfectionnement d’enseignement général.

À Eysses, plusieurs pères retrouvent leur fils après de longs mois de séparation. C’est le cas des Aversenq : le fils André, ouvrier du livre, pris à La Roche-de-Glun le 3 septembre 1943, dans l’affaire de l’imprimerie clandestine a la surprise, après trente mois de séparation, d’y retrouver son père, âgé de 73 ans. Père et fils ne devaient plus revenir des camps de la mort.

Les détenus parviennent à établir un lien avec la Résistance extérieure, se procurant ainsi du ravitaillement supplémentaire, grâce à la générosité et au courage de nombreux habitants de Villeneuve-sur-Lot. Puis ce seront des armes qui vont entrer dans la centrale dans la camionnette d’un menuisier, Gérard Bouvard, sous un chargement de bois, ou encore avec la complicité de certains gardiens. Armes et munitions seront planquées dans des doubles fonds de châlit, sous les lattes d’un parquet... René Seston, de Pierrelatte, et Edmond Perrier, de Saint-Vallier, appartenaient au groupe militaire chargé de réceptionner et de cacher les armes dans les jardins de l’infirmerie, s’assurant du concours de certains gardiens, eux-mêmes résistants.
Des messages passent aussi les murailles : ils renseignent la Résistance extérieure et surtout, préparent le plan d’évasion des 1 200 détenus.

C’est le 19 février 1944 qu’a lieu cette tentative, qui échoue de peu, avant que les détenus soient obligés de se rendre.
Dès le lendemain, le secrétaire d’État au maintien de l’ordre, Joseph Darnand en personne, arrive à Eysses. Le bourreau en chef veut une répression rapide et sans pitié. Interrogatoires, fouilles minutieuses débouchent sur la sélection de 50 otages que Darnand veut faire fusiller immédiatement. Mais il doit rentrer à Vichy sans avoir rien tiré des détenus. Le conseil des ministres réunis à sa demande nomme une cour martiale. Le 23 février, à Eysses, cette cour condamne à mort douze des insurgés. L’exécution a lieu dans la cour d’étendage. Après La Marseillaise, les douze, attachés à leur poteau, entonnent Le chant du départ : « Sachons vaincre ou sachons périr… ». La fusillade éclate. Douze patriotes tombent. « Pour elle, un Français doit mourir… » Pour ceux qui ont échappé à la mort, la détention à Eysses va se durcir, mais la solidarité est encore renforcée par le drame. Les autres détenus s’attendent au pire, surtout après qu’une banderole « Morts pour la France » a été découverte sur la tombe des fusillés. Le 30 mai, ils sont livrés aux Allemands. Les internés sont bousculés, descendus dans la cour, fouillés, frappés, alignés mains sur la tête. Ils partent, à pied, encadrés par des SS, vers la gare de Penne d'Agenais, à 7 km. Treize des 14 Drômois sont parmi ces 1 200 détenus, seul Pierre Achard attendra deux semaines de plus son transport vers Dachau.
Sur le chemin, les traînards sont roués de coups. Ceux qui tombent sont achevés. Ce n’est pas pour rien que l’ordre a été donné aux paysans habitant sur l’itinéraire de fermer leurs volets. On arrive enfin à la gare : les gendarmes de la région ont été mobilisés pour aider les Allemands à assurer la garde. Les hommes sont embarqués dans les wagons. Le train démarre. Une attaque d’un groupe de Résistance trop faiblement armé échouera. Enfermés dans leurs wagons, les Eyssois, sous la chaleur et la poussière de charbon, souffrent atrocement de la soif. Le train doit vadrouiller dans diverses directions au gré des voies disponibles, des ponts et aiguillages sabotés ou bombardés. À Poitiers, des infirmières de la Croix-Rouge sont autorisées à donner une casserole d’eau par wagon. Le convoi se traîne : le 1er juin, il passe à Tours. Puis, il arrive au Mans où des infirmières peuvent donner à chacun un quart de bouillon chaud. Par Versailles, Paris et Creil, le train arrive à Compiègne au matin du 3 juin. Une horde d’hommes en haillons, sales, épuisés, gagne le camp sous l’indignation de la population. Il leur reste à attendre leur départ pour une destination inconnue.

 


Auteurs : Robert Serre
Sources : Robert Serre, De la Drôme aux camps de la mort, les déportés politiques, résistants, otages, nés, résidant ou arrêtés dans la Drôme, éd. Peuple Libre / Notre Temps, avril 2006. Pierre Pedron, La prison sous Vichy, éditions de l’Atelier, 1993. Michel Reynaud, Eysses contre Vichy, Tirésias, 1992. Témoignage de René Seston (texte de Michel Seyve). Jean Nocher, Les clandestins, Gallimard, 1946. Témoignage Albert Cordola, avril 2005. Joseph Sanguedolce, La Résistance à Dachau-Allach, contre la mort programmée, Médiris et Spirale, Lyon, 2003. Drôme terre de liberté. Ladet, Ils ont refusé de subir. SHGN, rapport R4 Cie Drôme. Archives Alain Chaffel. Maitron, Dictionnaire du Mouvement Ouvrier. ADD 1920 W.