Plaque apposée sur la façade du restaurant de la famille Brenier au Grand-Serre

Légende :

Le 9 octobre 1943, les Allemands arrêtent 13 personnes au Grand-Serre, six sont déportés dont Joseph Brenier et son fils Emile.

Genre : Image

Type : Plaque

Producteur : Cliché Alain Coustaury

Source : © Collection Alain Coustaury Droits réservés

Détails techniques :

Photographie numérique en couleur.

Date document : 2006

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Le Grand-Serre

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

Photographie d’une plaque en pierre apposée sur la façade du restaurant de la famille Brenier au Grand-Serre.
Elle ne peut être lue que par les piétons car la rue est étroite. Son efficacité est donc limitée.

Texte de la plaque :
« Ici en décembre 1942
a été organisé un des
premiers maquis de la Drôme.
A la mémoire de
Joseph BRENIER et son fils Emile
arrêtés le 9 octobre 1943.
Morts en déportation en 1945. »

En haut à gauche, a été gravé le « V » de la Victoire surmonté d’une Croix de Lorraine.


Auteurs : Robert Serre

Contexte historique

Le Grand-Serre, petit chef-lieu de canton rural dans le nord de la Drôme, est un bourg tranquille. Comme dans toute la zone, on y accueille des réfugiés, mais on n’y détecte aucune forme de Résistance de 1940 à 1942. Sa municipalité ne semble cependant pas particulièrement appréciée du gouvernement de Vichy, puisque en mai 1942 elle fait partie de celles qui sont révoquées. Elle est remplacée par une délégation spéciale de trois membres, désignés et non élus.

Jean-Joseph Brenier et son épouse Maria se sont installés au Grand-Serre en 1917 pour y fonder une famille qui comptera dix enfants. Ils exploitent des terres et tiennent l’Hôtel des Voyageurs, un commerce qui marche bien car c’est le terminus des Cars Lyonnais desservant Lyon, Romans et Beaurepaire. Jean-Joseph, conseiller municipal depuis 1935, n’accepte pas la dissolution du conseil élu et son remplacement autoritaire. Dès ce moment, il décide de résister.

L’occasion lui en est offerte en novembre 1942. Le lieutenant Narcisse Geyer lui propose de s’associer à lui et de former un groupe de Résistance. Geyer s’installe à l’hôtel qui bientôt abritera son PC. C’est là une erreur car, si cet emplacement offre le confort et une vue directe sur les voyageurs au terminus du car, il présente bien des dangers : l’arrivée de jeunes inconnus, le va-et-vient permanent qui s’établit à l’hôtel ne peuvent manquer d’attirer l’attention. D’autant que Geyer ne se prive pas de se montrer en public en tenue militaire, pistolet au côté, parfois même monté sur son cheval Boukaro. Le transfert du PC à la villa La Thivolet, encore dans le bourg, n’offre pas une meilleure garantie car la circulation reste intense à l’hôtel où débarquent les arrivants.

Cependant, le maquis s’organise avec l’aide d’habitants de la région. Au Grand-Serre même, un groupe étoffé se forme. Tous les efforts de quelques cultivateurs convaincus vont tendre au soutien de ce jeune maquis, chacun apportant aide et ravitaillement selon ses moyens. Le médecin soignera les blessés gratuitement. Les gendarmes participent eux aussi, avec à leur tête l’adjudant Eustache qui charge le gendarme Bernard des contacts et liaisons avec les résistants.

Le samedi 9 octobre 1943, alors que Geyer avait transféré son PC depuis deux jours à Saint-Julien, hameau du Grand-Serre, l’agglomération est encerclée, bien avant l’aube, par 300 soldats de la Wehrmacht qui en condamnent tous les accès. Yvonne Brenier, épouse Robin, conte la suite de l’opération qui se déroule principalement sous le toit paternel :
« Il est 6 h 15, les soldats cognent à la porte. Mes sœurs aînées Berthe et Marthe sont déjà au travail dans la maison. Mon frère Émile, notre cousin Roger Tardy qui doivent rejoindre le maquis le jour même pour échapper au STO, dorment encore, ainsi que mes parents, mes jeunes frères et sœurs Suzanne, Georges, Marcel, Christiane et moi-même. Paul, l’aîné est à Saint-Uze où l’on doit baptiser le lendemain son premier fils. Ma sœur Marie-Thérèse travaille à la poste de Bourg-lès-Valence. Leur absence va les sauver ».
Le maire, Alfred Lesage, arrêté le premier, va « couvrir » avec un extraordinaire courage tous ses administrés et, en premier lieu, son secrétaire de mairie qui, avec son accord, établissait de fausses cartes d’identité et distribuait des tickets d’alimentation aux maquisards. Il « couvre » aussi les gendarmes : l’adjudant Eustache et le gendarme Bernard. Les interventions courageuses d’Alfred Lesage permettront d’éviter le pire : aucune maison n’est brûlée, aucun homme n’est tué, aucune femme n’est violée.
Reprenons le récit d’Yvonne Brenier : « J’entends des bruits de bottes dans l’escalier et les nazis, en hurlant, nous sortent des lits sous la menace des mitraillettes. L’hôtel est envahi ainsi que l’annexe, ils fouillent partout, interrogent, crient, brutalisent, tabassent mon père, mes frères, mes sœurs. Ils alignent le nez au mur de la grande salle tous ceux qui sont là : Rébecchi, Reysset, Tardy, Lesage, mon père, et ceux qui passent dans la rue, Eustache et deux jeunes du pays, Alphonse Ageron et Louis Chancrin. Interdiction absolue de parler sous peine de se faire rappeler à l’ordre à coups de crosse. Le maire Lesage, désigné par Vichy, et le chef de la brigade de gendarmerie, l’adjudant Eustache, seront réduits eux-mêmes au silence toute la journée comme les autres. Vers midi, les officiers ennemis obligent ma mère, sous la menace, à faire de la soupe pour les prisonniers et pour eux, un repas de gala. À 16 h, ils enfournent dans un camion pour une destination inconnue, à coups de pied et de crosse, enchaînés les uns aux autres, tous les malheureux arrêtés du matin dont mes sœurs Berthe et Marthe, mon père et mon frère Émile.
Toute la journée, ces barbares ont été assistés par quatre individus, arrivés en traction avant Citroën, vêtus du manteau de cuir noir et coiffés du chapeau mou des agents de la Gestapo. Parmi ces hommes, j’ai reconnu un Français, un grand blond, C., qui s’était présenté à l’hôtel courant août et qui connaissait le mot de passe. Nous lui avions indiqué où se trouvait "La Thivolet" et ne l’avions jamais revu ».

Le maquis, sur les coteaux du Laris et de Langon, n’est à aucun moment inquiété. Malheureusement deux de ses hommes, Camille Deutscher 18 ans, et Emilien Stevenon, 20 ans, rentrant d’une mission auprès du commandant Descour, à Lyon, sont arrêtés dans la montée d’Auberives. Au terminus du Grand-Serre, le chauffeur du car, Edouard Freiss, sujet suisse, est arrêté et emmené à son tour.

Tous sont internés au fort Montluc à Lyon. L’adjudant de gendarmerie Eustache, Chancrin et Freiss en reviennent au bout de quelques jours. Marthe Brenier est libérée après 90 jours de captivité. Tous les autres, après interrogatoires et tortures, sont déportés en Allemagne : Berthe Brenier, 24 ans, à Aueschen, Jean-Joseph Brenier père, 62 ans, et Camille Deutscher à Buchenwald, Emile Brenier, le fils, 20 ans, le maire Alfred Lesage, 47 ans, et Emilien Stevenon enfermés d’abord à Buchenwald sont transférés à Dora. Quatre jeunes, Victor Rebecchi, 26 ans, Roger Tardy, 20 ans, Alphonse Ageron, 20 ans, et Louis Reysset 20 ans, un réfractaire au STO (Service du travail obligatoire), sont envoyés dans des camps de travail à Leipzig, Dresden et Grotzig où Reysset serait mort.
Le pays est profondément traumatisé et en même temps révolté : dix hommes pris, c’est payer très cher. Le maquis se déplace alors à Saint-Christophe-et-le-Laris dans la ferme Genthon.
Dans la famille la plus éprouvée, la vie aussi doit continuer. Maria Brenier, restée seule avec cinq enfants jeunes, dont plusieurs en bas âge, va vivre dans l’anxiété permanente un véritable calvaire. Pour élever ses gamins, pour les absents aussi, elle va assurer seule le travail effectué la veille encore par toute la famille. Pour cette femme, épuisée le soir tombé, que de nuits sans sommeil, avec le souci du lendemain et l’angoisse qui l’étreint à la pensée de la misère de ses prisonniers. Pourtant, même désespérée, il lui faut absolument "tenir" jusqu’au retour de ses chers absents. Le père Brenier, mort d’épuisement le 18 mai 1945 et Camille Deutscher le 4 juin, alors qu’ils étaient libres et attendaient leur rapatriement, ainsi que le fils Brenier, abattu à Dora, mourront dans les camps.


Auteurs : Robert Serre
Sources : Martin Patrick, La Résistance dans le département de la Drôme, op. cit.. La Picirella Joseph, Témoignages sur le Vercors. Pour l’amour de la France. Chosson, Desgranges, Lefort, Drôme-nord terre d’asile et de révolte, éd. Peuple Libre. Mattäus Schindele, Saint-Donat, ein Zentrum des Wierstandes 1940-1944, sn. Robert Serre, De la Drôme aux camps de la mort, les déportés politiques, résistants, otages, nés, résidant ou arrêtés dans la Drôme, éd. Peuple Libre / Notre Temps, avril 2006. Fondation pour la mémoire de la déportation, le Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression et dans certains cas par mesure de persécution 1940-1945, Paris, éditions Tirésias, 2004. tome I, 1 446 pages, tome II, 1 406 pages, tome III, 1 406 pages, tome IV, 1 282 pages.