Plaque commémorant les trois rafles et quinze déportés à Cléon-d’Andran
Légende :
21 février, 8 et 10 mars 1943.
Genre : Image
Type : Plaque
Producteur : Cliché Alain Coustaury
Source : © Collection Alain Coustaury Droits réservés
Détails techniques :
Photographie argentique couleur.
Date document : Juin 2006
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Cléon-d’Andran
Analyse média
Cette plaque, apposée devant la poste du village de Cléon-d’Andran, qui appelle ses lecteurs à ne jamais oublier, est d’une clarté et d’une exactitude exemplaires. Elle indique, aux trois dates des rafles (21 février, 8 et 10 mars 1943), tous les arrêtés-déportés de la commune, y compris les trois seuls survivants. Pour ceux décédés en déportation, la date et le lieu sont mentionnés.
Robert Rothschild est décédé à Auschwitz le 17 mars 1944, une semaine après son arrivée.
Retranscription :
« COMMUNE DE CLEONS D’ANDRAN
A NOS 15 CONCITOYENS
DEPORTES POLITIQUES
MARTYRS DES BAGNES NAZIS
arrêtés le 21 février 1944
ROTHSCHILD Robert décédé le .. à AUSCHSWITZ
VINCENT Mercédès survivant
arrêtés le 8 mars 1944
DUPONT Albert décédé le 14 avril 1945 à BELSEN
LERISSE Aimé " 10 mars 1945 à MAUTHAUSEN
SEQUIER Jean " 20 février 1945 à NEUENGAMME
arrêtés le 10 mars 1944
AUBERT Casimir décédé le 5 mars 1945 à NEUENGAMME
BERENGER Maurice survivant
BRUNEL Charles décédé le 27 nov. 1944 à NEUENGAMME
COUTELIER Paul " 24 nov. 1944 à NEUENGAMME
GARAIX Claudion " 5 mai 1945 à LUBECK
NICOLET Louis " 13 mai 1945 à SANDBOSTEL
PERRET Paul " 13 mars 1945 à NEUENGAMME
SCHTINGRE Antoine survivant
SOUCHIER Gabriel décédé le 2 mars 1945 HANOVRE-STOKEN
VINCENT Joanny " 22 nov. 1944 à BELSEN
N’OUBLIONS JAMAIS »
Auteurs : Robert Serre
Contexte historique
En trois rafles successives, les Allemands et les miliciens français arrêtent quinze hommes dans cette petite commune de moins de 500 habitants. Les quinze sont déportés, mais le village ne verra revenir que trois rescapés.
21 février 1944, première rafle :
Le 21 février 1944 se déroule la première rafle allemande dans le village de Cléon-d’Andran. Conduits par l’effroyable Francis André, dit « Gueule Tordue », de Lyon, ils sont probablement là pour arrêter l’un des membres de la famille Rothschild, Robert, 48 ans, juif né à Zagreb.
Propriétaire de l’usine des tracteurs Austin, Robert Rothschild connaissait le garagiste Johanny Vincent, représentant de sa marque, et était venu, avec sa femme et son beau-frère, se cacher à Cléon, arrivant de Liancourt. Le jeune Mercédès Vincent, qui travaille comme mécanicien au garage de son père, sera pris le même jour.
Pierre Jouve* raconte :
« Malgré le froid très vif de la nuit, il fait une après-midi magnifique de luminosité. C’est la préfiguration du printemps. Sur le banc de Bauzon, au soleil, les rencontres amicales ont commencé. La nature incite à revivre, mais … il y a les hommes ! à 14 heures, deux Traction avant avec des passagers à leur bord arrivent par la route de Montélimar, s’arrêtent au carrefour. Le chauffeur interroge un jeune homme, René Chevalier, sur l’adresse de Vincent. Il la lui indique.
C’est le démarrage en trombe et l’arrêt sur la place. On perçoit, rapides, l’ouverture, le claquement des portières. Un homme se met en faction devant le café Aubert. Il peut, de là, surveiller l’activité d’un grand secteur, grâce à la courbure du village. Trois ou quatre autres, dont le fameux « gueule cassée » rentrent, demandent à Mme Vincent, seule dans la pièce, où peuvent être son mari et son fils. Son mari travaille dans l’atelier, juste derrière, son fils est couché, là-haut, il est malade. Mitraillette sur le ventre, elle indique le chemin de la chambre.
M. Vincent père, pris à l’atelier, encadré par trois lascars, les accompagne chez M. Rothschild. Là, dès l’arrivée c’est la brutalité. On veut l’immobiliser. Il joue des poings et se défend. C’était un grand gaillard, il est vrai, solide comme un roc. Mais à la force et aux armes, nul ne peut résister longtemps. Il est traîné, le visage ensanglanté, dans une des voitures, bientôt rejoint par Mercédès Vincent qui, lui, n’aura que plus tard sa part de sévices. Il n’a assisté qu’à la mise à sac de sa chambre, à la saisie de quelques documents. Et les tractions s’en vont...
Dès ces premiers moments tragiques, le factionnaire arrêta, quand il s’en retournait, Marc Jouve, qui avec ses 17 ans et leur insouciance, était venu inspecter les lieux pour renseigner d’autres curieux moins téméraires. Il avait, sur son parcours été hélé par un client de mon père qui attendait chez le bourrelier, (le père Brun) que les choses se passent. Enfermé un grand moment dans une des voitures, il fut relâché après vérification de ses dires, sur la teneur de sa conversation. Il repartit cynique et sifflotant.
Simultanément, ou presque M. Marcel Vallon vint à passer par là. Flairant quelque chose d’anormal, il essaie de se défiler en rentrant chez Vincent. C’était se jeter dans la gueule du loup. En voyant les énergumènes, il rebrousse chemin. Il est invité à être pour un temps le compagnon d’infortune de Marc Jouve. Il est lui aussi relâché. Paul Perret, une des futures victimes du 10 mars, refusa d’obtempérer à l’« invitation » de la sentinelle. Rien ne se passa contre lui.
Cléon venait de vivre sa première rafle ».
Eugène Mercédès Vincent, pris dans cette première rafle, a rédigé un témoignage :
« J’ai été arrêté le 21 Février 1944 par la Gestapo et le milicien Francis André, surnommé « Gueule Tordue », assisté de 7 autres Français miliciens, dont deux de la région que j’ai reconnus : Mabilon, de Montélimar, et Reynaud, de Le Teil. […] Je suis entré dans la Résistance à Libération-sud en Février 1943. Après les arrestations survenues dans le village voisin de Charols le 7 février 1944, j’ai pris le maquis ; j’ai voulu revenir chez moi le 20 février 1944, en raison d’un état de santé déficient, à la suite d’une angine importante ; j’étais alité dans la chambre de mes parents depuis la veille, lorsque, le 21 février à 14 h de l’après-midi, 3 voitures sont venues cerner la maison.
Leurs occupants ont pénétré dans ma chambre en criant : « Ah ! te voilà, salaud, depuis le temps, tu n’es pas en Allemagne... » Leurs imprécations sont trop longues à rapporter ici ; ils m’ont ensuite sommé de m’habiller et m’ont alors « embarqué » avec Rotschild en direction de l’hôtel du Parc à Montélimar, siège de la Gestapo... Là, j’ai reçu quelques mauvais coups de la part de « Gueule Tordue » qui voulait me faire parler et m’a crié : « Ah ! Tu ne veux pas parler, alors que tu as camouflé des jeunes, que tu leur as procuré de fausses cartes d’identité... Et où sont les parachutages pour les maquis ?... Si tu ne veux pas parler, nous allons t’emmener dans un endroit où tu seras obligé de cracher le morceau… »
8 mars 1944, deuxième rafle :
Le 8 mars, la Gestapo arrive en pleine nuit à Cléon à la recherche de résistants dont elle connaît parfaitement le refuge. Elle arrête Aimé Lérisse, 41 ans, Jean Séquier, 48 ans, et Albert Dupont, 42 ans, dénoncés comme résistants.
Pierre Jouve raconte les faits :
« Vers les 21 heures, même scénario mais plus discret celui-là. Les seuls témoins ne sont que les familles. Il y avait le couvre-feu et, la nuit, personne dans les rues. Les victimes sont ce soir-là :
- Aimé Lérisse facteur. Ses ravisseurs lui annoncent que la police allemande aurait quelques renseignements à lui demander. Après, il serait libre !...
- Jean Séquier mécanicien. Il servait de boîte aux lettres pour le maquis.
- Albert Dupont, agriculteur au quartier de Fragène. Son jeune domestique, un réfractaire, n’a de salut que dans la fuite. ».
Ginette Dugand, l’aînée des trois enfants d’Albert Dupont, fait le récit de l’arrestation de son père :
« … Tous les jeunes […] étaient soumis au STO […] et justement mon père avait à la ferme deux jeunes qui ne s’étaient pas soumis à cette obligation. […] Ils étaient cachés sous de fausses cartes d’identité. L’un de ces « camouflés », comme on les appelait, est rentré chez lui, mais l’autre est resté, il aidait à la ferme, il avait 20 ans […] Mon père revenait de monter la garde [sur les voies ferrées] à Saulce-sur-Rhône, il était rentré vers 21 h et il nous a dit : « Les Allemands sont à Cléon-d’Andran », mais rien de plus. […] vers 22 heures, nous étions couchés tous dans nos chambres. Des hommes en manteau de cuir et chapeaux feutre se sont introduits dans la cour de la ferme et ont appelé : « Monsieur Dupont, levez-vous. Monsieur Séquier vous demande », et mon père s’est levé, est descendu à la cuisine et les a fait rentrer ainsi que le réfractaire, et pendant plus d’une heure, ils ont fait parler mon père. Quant à nous, nous étions dans nos chambres, et les miliciens […] sont montés à l’étage et ont bouleversé les tiroirs, les vêtements, pour sans doute chercher des bijoux ou papiers compromettants. Ensuite ils ont emmené mon père, menottes aux poignets, mais le réfractaire, très leste, s’est sauvé, nous avons entendu trois tirs de mitraillettes, il a pu échapper à ces monstres. Nous étions terrorisés avec ma mère, on craignait le jour, et de découvrir cette tuerie. Mais le jour venu, plus rien, mon père était parti sans avoir pu nous parler. »
10 mars 1944, troisième rafle :
La Gestapo de Montélimar revient le lendemain, dans la nuit du 10 au 11 mars 1944. Par une véritable opération de police, elle se saisit, sur 15 hommes visés, de dix personnes dénoncées le 22 février : Casimir Aubert, 40 ans, maréchal-ferrant, Charles Brunel, 68 ans, bourrelier, Paul Coutelier, 55 ans, négociant et cafetier, Claudion Garaix, 46 ans, boucher, le menuisier charron Louis Nicolet, 39 ans, Paul Perret, 33 ans, ouvrier probablement arrêté par erreur, confondu avec Peyron, Gabriel Souchier, 32 ans, mécanicien, Joanny Vincent, 61 ans, père de Mercédès, Maurice Béranger, 34 ans, ouvrier, Antoine Schtingre, 41 ans, buraliste. Ils sont emmenés à l’hôtel du Parc à Montélimar, puis à Montluc. Tous sont déportés en Allemagne. Leur dénonciateur, installé depuis deux ans dans la commune, disparaît aussitôt après cette arrestation. Une longue enquête menée après la guerre a permis de savoir qu’il s’était engagé dans l’armée De Lattre, entamant une carrière militaire qui lui vaudra de beaux galons d’officier.
Reprenons le récit de Pierre Jouve :
« Dans la nuit du 10 au 11 mars, une véritable opération de police s’effectue. Sur quinze hommes visés, dix restent aux mains de la Gestapo. Cléon ne comprend plus. Pourquoi ceux-là ? Dénonciation, vengeance, jalousie, sympathie politique, ravitaillement du maquis, erreur possible avec un homonyme, nom mal orthographié ? Si bien que, quarante ans après, le doute demeure dans les motivations. Louis Nicolet est pris à sa menuiserie vers 22 heures. Paul Coutelier est arrêté. Ses trois fils se sauvent par les jardins. Sur la route de Montélimar, en direction de la gravière, on voyait descendre quelques hommes enchaînés, ils étaient déjà plus ombres que silhouettes. Il est près de minuit quand Vincent père est, lui aussi, réveillé sans ménagement. Les volets de la porte partent en éclats. C’est avec lui, sans doute, que se clôture le cortège. C’est le départ. Puis l’hôtel du Parc à Montélimar, les premiers passages à tabac avant de gagner Montluc, l’école de Santé, d’y connaître pour quelques-uns les tortures (pendaison par les pieds) et, pour tous déjà, la faim ».
Les quinze déportés de Cléon-d’Andran étaient des habitants de ce village ou y travaillaient, sauf Robert Rothschild. Après les rafles, l’épouse de Rothschild quitta Cléon grâce à la complicité d’amis, tandis que son frère gagnait la clandestinité.
Seuls trois de ces quinze hommes reviendront de déportation : Maurice Béranger, Antoine Schtingre et Mercédès Vincent. Les trois rafles effectuées à Cléon-d’Andran ont frappé 3,6 % de la population de ce village et les morts qu’elles ont entraînées ont laissé 21 orphelins.
(*) Auteur de la brochure Évocation historiques.
Auteurs : Robert Serre
Sources : SHGN, rapports R4 Cie Drôme. ADD, 123 W 1, 255 W 89, 1920 W. Pierre Jouve, Évocation historiques, op. cit. Archives Maryse Renaudin, Crest, deuxième fille d’Albert Dupont. Gilbert Sauvan, Contribution au Colloque de Montélimar, 2004. Dufour, Drôme, terre de liberté. La Picirella Joseph, Témoignages sur le Vercors. Pons Paul, De la Résistance à la Libération. Martin Patrick, La Résistance dans le département de la Drôme. Mémorial Buchenwald. Robert Serre, De la Drôme aux camps de la mort, les déportés politiques, résistants, otages, nés, résidant ou arrêtés dans la Drôme, éd. Peuple Libre / Notre Temps, avril 2006. Fondation pour la mémoire de la déportation, le Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression et dans certains cas par mesure de persécution 1940-1945, Paris, éditions Tirésias, 2004. tome I, 1 446 pages, tome II, 1 406 pages, tome III,1 406 pages, tome IV, 1 282 pages. Klarsfeld (Serge), La Shoah en France, 2001, 4 tomes, 391 p., 1 000 p., 2 029 p., 1 255 p.
Numéro matricule tatoué à Auschwitz sur l’avant-bras de Mercédès Eugène Vincent.
Sources : collection Robert Serre
Plaques de l'église de Cléon-d'AndranAuteur(s) : Cliché Alain Coustaury - Sources : Collection Alain Coustaury
Plaques de l'église de Cléon-d’AndranAuteur(s) : Cliché Alain Coustaury - Sources : Collection Alain Coustaury
Plaques de l'église de Cléon-d’AndranAuteur(s) : Cliché Alain Coustaury - Sources : Collection Alain Coustaury
Monument des déportés de Cléon d'AndranAuteur(s) : Cliché Alain Coustaury - Sources : Collection Alain Coustaury
Monument des déportés de Cléon d'AndranAuteur(s) : Cliché Alain Coustaury - Sources : Collection Alain Coustaury
Plaque à Cléon-d'AndranLes douze morts parmi les quinze déportés victimes des rafles de février-mars 1944.
Auteur(s) : Cliché Robert Serre - Sources : Collection Robert Serre