Message jeté du wagon de déportation par Louis Mérandat et ses fils
Légende :
Des déportés arrivent, parfois, à jeter un message comme une bouteille à la mer.
Genre : Image
Type : Lettre
Source : © Collection André Mérandat Droits réservés
Détails techniques :
Billet 11 x 14,5 cm, déchiré, écrit au crayon. Enveloppe 14 x 11 cm, écrite à l’encre.
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - La Roche-de-Glun
Analyse média
Court message sur un morceau de papier jeté du wagon de déportation par Louis Mérandat et ses deux fils, André et Roger, pour leur épouse et mère.
Recueilli et posté dans l’Aisne par un anonyme, la lettre est bien parvenue.
Texte de la lettre :
« Prière à la personne qui trouvera de prévenir Madame Juliette Mérandat La Roche-de-Glun Drôme
que ses trois chéris partent direction sans doute près Munich.
Adresse sera donnée dès que nous pourrons.
Allons tous bien et adressons à tous gros baisers. Louis, André, Roger.
PS Récompense sera faite à cette aimable personne »
On remarquera l’ignorance dans laquelle les déportés sont alors de leur destination : Louis écrit qu’ils partent vers Munich. Qui a ramassé le message et l’a expédié ? On l’ignore car cette personne qui a pris un risque important (cette action était punie de mort) a gardé l’anonymat. Elle n’a donc pu recevoir la récompense promise.
Auteurs : Robert Serre
Contexte historique
André Mérandat, après son apprentissage à l’École pratique, travaillait dans l’entreprise « André électricité » à Valence, quartier de la Palla. Bien que de petite constitution et handicapé à une jambe, son voisinage avec le fleuve en avait fait un enfant du Rhône, qu’il traversait sans problème à la nage. Mais la navigation en barque n’avait pas plus de secret pour lui. Cela explique sa participation, alors qu’il n’a que 16 ans, au convoyage sur les eaux du fleuve de résistants qu’il faisait passer en Ardèche ou amenait en Drôme. Certains étaient ensuite hébergés à Saint-Romain-de-Lerps, chez un paysan Marcel Perdriolle. Mais cette activité clandestine, en dépit des précautions, finit par être connue. Un réfugié toulonnais, Ramé, installé depuis peu à La Roche-de-Glun, le dénonce.
Le 1er juin 1944, vers neuf heures du matin, six Allemands se présentent chez Mérandat, armés de mitraillettes. Un de ces soldats monte dans la chambre du fils où, après avoir tout fouillé et avoir dérobé pas mal d’objets personnels, il redescend, tenant une photographie du fils cadet André. Pendant ce temps, quatre autres Allemands font irruption dans l’habitation des parents de Mérandat, située à proximité, ils fouillent les deux bureaux et découvrent un pistolet appartenant au fils aîné Roger qui travaillait pour la Résistance. « Votre fils maquisard, arrêté tout de suite », hurlent-ils. L’Allemand qui détenait la photo se rend dans une maison voisine où logeaient les nommés Ramé. Après avoir vu la photo, madame Ramé s’écrie : « Mais ce n’est pas ce fils, il y en a un autre qui s’appelle Roger et qui travaille chez Gerbet, boucher ». Sur ces mots, les Allemands partent en direction de Valence arrêter André en plein travail chez un électricien. Cinq militaires de la Feldgendarmerie surgissent dans l’atelier, mitraillette à la main, et l’emmènent à la Kommandantur, hôtel de Lyon, sur les boulevards. Les nazis et leurs acolytes veulent le faire parler : « Ils m’ont conduit dans une salle de bains, m’ont fait déshabiller, m’ont mis les menottes avec les mains derrière le dos et ils m’ont interrogé à nouveau sur la provenance du pistolet. Sur ma réponse négative, ils ont rempli la baignoire d’eau et, après m’avoir demandé si je savais nager, ils m’ont plongé la tête dans l’eau. Ils m’ont laissé quelques instants et, après m’avoir secoué, m’ont demandé si je voulais parler. Ayant répondu que je ne savais rien, ils ont vidé la baignoire d’eau froide et l’ont remplie d’eau chaude. Ils m’ont plongé dedans, mais ne m’ont pas laissé si longtemps. Voyant que je ne voulais rien dire, le plus petit des deux feldgendarmes m’a dit : « Tu parleras, sinon on va te conduire à Lyon ». Le supplice de la baignoire n’a pas donné de résultat : le « gamin » de 16 ans a tenu le coup !
Apprenant cette affaire, Louis, le père d’André, se rend à Valence pour tenter de le faire libérer. Un officier lui dit : « Revenez demain matin à neuf heures et l’on vous donnera votre fils ». Le lendemain matin à l’heure indiquée, Louis Mérandat arrive : aussitôt, on lui passe les menottes et on le jette en prison avec son fils.
Les dénonciations concernent de nombreuses personnes et, pendant ce temps, à La Roche-de-Glun, les Allemands continuent leurs recherches. À 5 h du matin, 35 à 40 soldats et agents de la Gestapo, conduits par Ramé, cernent le hameau des Combes, à Saint-Romain-de-Lerps. Perdriolle est arrêté sans ménagement, en sabots et en chemise, sous l’accusation d’avoir détenu un poste émetteur. Il rejoint les Mérandat dans les caves de l’hôtel de Lyon. Le 2 juin, Jean Nicolaï, un Corse de 28 ans, est appréhendé à Valence. Après quelques jours dans la cave de l’hôtel, c’est le transfert vers Lyon. Attachés deux à deux par des menottes, André avec son père, Perdriolle avec Nicolaï, les quatre hommes sont transportés à la prison Montluc.
Le lendemain, Roger, le fils aîné, 21 ans, est à son tour arrêté. Roger Mérandat était entré dans la Résistance, au groupe Ladet, le 1er octobre 1943. Il avait participé à la tentative de sabotage de la voie ferrée à la sortie nord du tunnel de Valence destiné à un convoi allemand. Les bombes étaient posées, mais l’opération avait échoué de justesse car les deux gendarmes de faction sur le tunnel, qui avaient été neutralisés au début de l’opération, avaient trompé la surveillance de leur gardien et tiré en l’air au mousqueton, donnant ainsi l’alerte. Il a aussi à plusieurs reprises traversé en barque de Glun, dans l’Ardèche, à La Roche-de-Glun de nombreux résistants pour faciliter leur passage dans les maquis de la Drôme. Il a participé au sabotage de deux machines au dépôt de Portes-lès-Valence au début de 1944. Le 6 juin 1944, chargé d’aller à la rencontre des maquis du Diois pour les ravitailler en munitions avec un camion, il tombe sur un barrage de la gendarmerie allemande et est arrêté. Il va rejoindre son père et son frère sur la route de la déportation.
Parti de Compiègne le 15 juillet, le convoi, chargé de 1 528 hommes, dont 34 Drômois, arrive le 18 après deux jours et demi de voyage par Metz, Thionville, Trèves, coupé par un peu de ravitaillement à Coblence le 17. Les bombardements alliés et les tentatives d’évasions entraînent des arrêts.
Outre Louis Mérandat et ses deux fils, le train emporte les raflés de Montélimar. « Nous avions touché chacun une boule de pain et un demi-saucisson, se souvient André. C’est tout ce que nous avons touché ». En route, les Mérandat écrivent quelques billets qu’ils jettent sur la voie, par une fente du wagon. L’une de ces « lettres », sous enveloppe, est bien arrivée à Madame Mérandat. Et elle a été conservée précieusement.
Pierre Quilichini, de Montélimar, déclarera à son retour : « Lors de mon transfert en Allemagne, une dizaine de détenus se sont évadés vers Soissons (Aisne). Les Allemands ont vérifié les wagons et ont fusillé un détenu, déshabillé les détenus de deux voitures et les ont entassés à raison de 130 par wagon. De plus, ils les ont privés de nourriture et de boissons pendant le trajet. Certains d’entre eux sont arrivés en Allemagne dans un état lamentable et atteints de démence. À Metz, nous avons été comptés à coups de cravache ».
Le 18 juillet, le train s’arrête enfin : les déportés sautent des wagons dans un camp dont ils n’apprendront qu’après qu’il s’appelle Neuengamme.
La grande majorité est tout de suite ou peu après affectée à des kommandos extérieurs : 28 Drômois sur 34 sont ainsi transférés. Un gros contingent est envoyé à Bremen-Farge (13 Drômois) pour y construire la grande base sous-marine « Valentin ». Huit sont affectés au kommando de Sandbostel où 5 laisseront la vie, quatre vont à Bremen-Osterort pour construire un abri-bunker de sous-marins, d’autres à Hambourg (creusement de fossés antichars), Kaltenkirchen (terrassement et déneigement d’une base aérienne de la Luftwaffe). Au total, 23 des 34 Drômois de ce convoi ne sont pas revenus.
Auteurs : Robert Serre
Sources : AD Rhône, 3808 W 354, enquête à La Roche-de-Glun 25 et 28 octobre 1945 par la brigade de Tain (déclarations Madame Mérandat Juliette, née Serve, 42 ans, épicière, Mérandat André, 18 ans, électricien, Gerbet Fernand, 40 ans, boucher à La Roche-de-Glun), 3808 W 313, Quilichini Pierre. Attestation d’Émile Edmond Crouzet, ex commandant régional des FTP de la Drôme du 22 avril 1960. Robert Serre, De la Drôme aux camps de la mort, les déportés politiques, résistants, otages, nés, résidant ou arrêtés dans la Drôme, éd. Peuple Libre / Notre Temps, avril 2006. Fondation pour la mémoire de la déportation, le Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression et dans certains cas par mesure de persécution 1940-1945, Paris, éditions Tirésias, 2004. tome I, 1 446 pages, tome II, 1 406 pages, tome III, 1 406 pages, tome IV, 1 282 pages.