Richard Gladewitz, Allemand antinazi
Légende :
Ici en Espagne, commissaire politique dans les Brigades internationales.
Genre : Image
Type : Portrait
Source : © AERD, collection Sonia Moldt Droits réservés
Détails techniques :
Photographie argentique noir et blanc.
Date document : vers 1938
Lieu : France
Analyse média
Richard Gladewitz, Allemand antinazi, est pris ici en photographie en Espagne, au moment où il est commissaire politique dans les Brigades internationales.
Auteurs : Robert Serre
Sources : Dvd-rom La Résistance dans la Drôme-Vercors, éditions AERI-AERD, février 2007.
Contexte historique
Richard Gladewitz est né le 30 août 1898 à Twiskau ou Zwickau, en
Saxe. Son père était mineur. Dans cette famille de seize enfants aux
ressources modestes, Richard ne peut poursuivre ses études et doit
rapidement gagner sa vie comme garçon de café. Il effectue son service
militaire en 1917-1918 en combattant successivement sur les fronts ouest
et est et, dès son retour, adhère au parti socialiste, puis en 1920 au
parti communiste (KPD) qui vient de naître. Très vite, il entre dans sa direction locale de Chemnitz, puis à la direction régionale.
En
1928, il épouse Hilde Janka. En 1932, il participe au congrès
d’Amsterdam contre la guerre. Il est élu en juillet 1934 à la direction
du KPD à Berlin et participe en mai 1935 au VIIe Congrès mondial
de l’Internationale socialiste et à la conférence de Bruxelles. Il a
également mis sur pied à Prague un organisme de publications légales ou
clandestines.
Il s’engage dans les Brigades internationales en
septembre 1937 et combat en Espagne jusqu’à leur retrait. Il vient alors
en France. En février 1939 se tient dans les environs de Paris une
réunion clandestine du parti communiste allemand qui considère comme un
devoir pour tout Allemand de travailler, y compris par la lutte armée, à
renverser Hitler et qui jette les bases d'un programme de
reconstruction de l’Allemagne après la chute du dictateur. Le parti
confie à Richard Gladewitz et un autre militant une tâche délicate et
dangereuse : retourner en Allemagne et y mener une action politique
clandestine. De l'argent et un passeport hollandais leur sont remis pour
un voyage en bateau vers le Danemark, puis Stockholm d’où ils devront
pénétrer en Allemagne. Mais, lors de l'étape au Danemark, le faux
passeport ne trompe pas la police qui identifie les deux hommes comme
d’anciens membres des Brigades internationales, les arrête et se prépare
à les envoyer en Allemagne. Cette menace provoque une vigoureuse
campagne de presse dans laquelle s'impliquent de nombreuses
personnalités, des écrivains, etc. Les autorités danoises décident alors
d'embarquer les deux hommes vers la France et de les livrer à la police
française, ce qui leur fait craindre deux ans de prison pour usage de
faux papiers. À l'escale d'Anvers, les deux hommes s'évadent et se
rendent à Bruxelles pour y chercher l'appui des dirigeants communistes
belges. Ceux-ci se montrent fort méfiants envers ces deux inconnus
qu’ils soupçonnent d'être des agents de la Gestapo. Mais un
rapide interrogatoire sur leur participation à la guerre d'Espagne les
convainc qu'ils disent vrai. Ils sont alors mis en contact avec Otto
Niebergall, responsable du PC allemand en Belgique, et se mettent à son
service. L’état de guerre déclarée complique encore la tâche des
militants allemands antifascistes réfugiés, car leur pays d'asile les
soupçonne vite d'être des nazis.
En septembre 1939, la police
belge arrête Richard et d'autres communistes. Il reste quatre mois en
prison, de nouveau menacé d'être renvoyé en Allemagne. Mai 1940 arrive
alors, et le déferlement des nazis sur la Belgique. Les autorités belges
évacuent leurs prisonniers avec elles vers le sud de la France.
Ce
convoi de plus de 500 internés, après plusieurs semaines de
pérégrinations dans divers centres d'accueil arrive enfin à Gurs où se
trouvaient déjà plusieurs milliers de combattants espagnols, des
réfugiés politiques, des persécutés raciaux, mélangés à des prisonniers
allemands. Les conditions d'hygiène, l'insuffisance du ravitaillement,
les menaces d'épidémie rendent la vie au camp de Gurs très dure. Les
communistes s'organisent rapidement. Gladewitz est à la tête d'un des
groupes ainsi constitués. Leur action a deux objectifs. L’un est très
matériel : il s'agit d'obtenir des améliorations dans les conditions de
détention. L’autre est plus ambitieux : par l’information sur les
événements extérieurs, par la mise en place de formations politiques et
culturelles, on vise tout autant à maintenir la dignité des internés
qu’à éclairer leur prise de conscience, travail de persuasion difficile
auprès de gens qui peuvent être de farouches adversaires, ou bien auprès
d’hommes abattus, dont les capacités de résistance sont brisées. Ce
second aspect de l'action entreprise par les militants du KPD se
concrétise par des discussions sur l’actualité politique, des activités
culturelles et artistiques, des cours de langue française... Ces
initiatives, outre qu’elles rendent des services appréciés, apportent
aux détenus occupations, distractions, occasions de rencontres dont
l'effet psychologique n'est pas négligeable pour remonter le moral des
hommes et renforcer leur esprit de solidarité. Richard lui-même n’était
pas à l’abri des « coups de cafard » : ses camarades témoignent des
soirs où il s’isolait et jouait quelques airs nostalgiques sur son
harmonica, ou bien leur parlait de sa femme Hilde et de sa fille Sonia
qu’il n’avait plus revues depuis son départ en Espagne en 1935.
Pendant
ce temps, dès le début de la guerre, des communistes allemands
prisonniers au camp du Vernet avaient reconstitué une direction
clandestine à la tête de laquelle ils avaient placé des militants encore
en liberté, les chargeant de retrouver, avec l’aide du PCF, leurs
camarades dispersés, parfois internés, dans la zone non occupée. En juin
1941, l’union disloquée des antifascistes de langue allemande se
reconstitue dans un organisme, « Travail allemand », regroupant des
Allemands (avec Otto Niebergall du KPD à leur tête), des
Autrichiens et des Tchèques (avec Artur London). Lorsque le gouvernement
de Vichy crée les Groupements de travailleurs étrangers (GTE), le PC
allemand conseille à tous ses membres d’essayer de s’y faire admettre,
entrevoyant là la possibilité de sortir des camps, de rencontrer les
organisations françaises de Résistance et de les rejoindre dans leur
combat.
Le premier convoi était destiné à la Drôme. Richard en
était. Arrivé à Crest, il est affecté d'abord à une coupe de bois, puis,
comme il n'était pas d'une constitution très robuste, envoyé dans
l'exploitation d'un riche propriétaire foncier d’Allex qui en fait son «
Schweinefursten » (prince des cochons). Richard devait s’occuper
de plus de cent porcs, mais aussi des chevaux et du poulailler. Pour un
clandestin déjà rôdé, le rétablissement des contacts avec la direction
du KPD dans la France du sud est facile.
Après le 11 novembre 1942 où les nazis occupent la « zone libre », les trois directions régionales du KPD à Lyon, Toulouse et Marseille, démultiplient les réseaux de liaisons et
le travail de résistance et de persuasion au sein des troupes
d’occupation. Parmi ces agents, Alfred Spitzer, alias "Édouard", a
pour tâche de contacter les Allemands, hommes et femmes, et les
orienter vers leur organisation ou vers un maquis, de diffuser du
matériel pour le tirage de tracts, de leur distribuer de l’argent, des
fausses cartes d’alimentation… Parlant à peu près le Français et muni
d’une carte d’identité française au nom de Jean Martin, Alfred Spitzer,
dans son périple sur tout le sud de la France, vient dans la région de
Crest où il rencontre clandestinement Richard Gladewitz et l’avise qu’il
a été appelé à prendre un des huit postes de la direction du KPD pour l'Ouest (France, Belgique, Luxembourg) formée en mai 1942.
Gladewitz profite de la première occasion pour s’évader au début de 1943
et rejoindre cette direction clandestine. Il devient le responsable du
travail de propagande à effectuer au sein de l'armée allemande.
En
septembre 1943, l’union des forces démocratiques et antifascistes se
renforce avec la création d’un « Comité Allemagne Libre pour l’Ouest »,
dit CALPO, qui prend à son compte, sur les pays d’Europe de l’ouest
occupés par les nazis, le travail d’infiltration dans les services
allemands et de constitution de maquis. Présidé par Otto Niebergall, il
compte dans sa direction Richard Gladewitz qui a beaucoup œuvré à sa
création par une rencontre fructueuse avec un Oberfeldwebel (sergent-chef).
Gladewitz, camouflé sous le pseudonyme de "Charles Berger", reçoit vers
la fin de l’année la responsabilité, pour la région parisienne, du
travail illégal dans la Wehrmacht. Sous la direction de
Gladewitz, des militants, en grande majorité des femmes ou des jeunes
filles autrichiennes, roumaines, hongroises, allemandes, tchèques et
françaises, s'infiltrent dans des emplois de bureau de la Wehrmacht. Peu à peu, la quasi-totalité des états-majors et des services de
l'armée occupante sont ainsi noyautés, aussi bien l'état-major de la
Marine que l’aéroport de Paris, les ateliers de réparation ou les
hôpitaux. Avec la prudence qui s'impose, ils tentent d'y faire circuler
des arguments antifascistes, de faire découvrir aux soldats nazis le
caractère de la guerre et de les amener au combat contre Hitler. Des
soldats et des officiers sont ainsi gagnés à la cause. En outre, ces
agents rassemblent des renseignements qu’ils communiquent à la
Résistance et, lorsqu'ils en ont l'occasion, détournent des armes, des
munitions ou procèdent à des sabotages dans la production. C'est là un
travail particulièrement dangereux qui coûtera la vie à nombre de
militants, parmi lesquels Alfred Spitzer.
Richard Gladewitz échappe de peu à une arrestation : un Autrichien membre de son groupe, pris par la Gestapo,
est contraint de révéler le lieu et l’heure d'une rencontre à Paris
entre deux dirigeants dont Richard. Celui-ci, ignorant l'arrestation de
son camarade, se rend au rendez-vous. Comme tous les combattants
clandestins expérimentés, il fait preuve d'une extrême prudence. Arrivé
au carrefour, il observe les lieux et ne tarde pas à remarquer le manège
d'une voiture passant à deux reprises à faible allure. Sans plus
attendre, il disparaît. Dans cette période, Richard a une existence très
dangereuse, risquant à tout moment d'être pris dans une rafle ou un
banal contrôle de papiers. Les contacts entre agents n’ont lieu que dans
des cafés sûrs ou en marchant dans la rue. Il doit changer plusieurs
fois de nom, devenant tour à tour le Tchèque Michel Janda ou le Français
Henri ou Charles Berger. Il doit aussi changer fréquemment de
résidence.
En septembre 1944, la plus grande partie du
territoire français est libérée. L'ennemi n'a conservé que quelques
régions de l’est et quelques poches sur l’Atlantique (Lorient, Royan).
Les antifascistes allemands poursuivent leur lutte et adaptent leurs
moyens en créant le « Bureau du Front » dont la direction est confiée à
Gladewitz. Il s'agissait de former plusieurs dizaines de mandataires à
envoyer dans les secteurs de combat. Après des pourparlers avec Tillon,
commandant en chef des FTPF (Francs-Tireurs et partisans français), cet
organisme s’installe à Paris, dans la caserne de Reuilly. Les
représentants du CALPO obtiennent peu après l’accord du général
Joinville, chef d’état-major FFI (Forces françaises de l'intérieur).
Aussitôt commence l’instruction des futurs mandataires, pour la plupart
des soldats ou employés déserteurs de la Wehrmacht bien décidés à
combattre le régime fasciste aux côtés des anciens. Le premier groupe
ainsi formé part vers l'est de la France avec le 1er régiment de Paris,
sous le commandement du célèbre colonel Fabien. Par radio et par
camions-hauts-parleurs, par des lâchers aériens de tracts, parfois par
l'envoi de parlementaires, ils s'emploient à inciter les soldats
allemands à la désertion et à accélérer la décomposition de l’armée
nazie. Ce travail se révèle fort efficace : on compte des centaines de
désertions. Le Bureau du Front, toujours à l'initiative de Richard,
entreprend également de constituer un groupe particulièrement aguerri
destiné à aller soutenir les résistants allemands à l’intérieur de leur
pays. Leur formation est intensive : entraînement au tir, au maniement
des explosifs, à l’emploi de la radio, sauts en parachute, etc. Ces 35
hommes mis à la disposition des Américains devaient être largués sur la
Forêt Noire, mais l’évolution de la guerre fit que ce groupe n’eut pas à
intervenir et amena les responsables du Frontbüro à mettre fin à sa
mission.
Le souci d’unité des forces démocratiques et
antifascistes se renforce alors qu’approchent la défaite nazie et la
nécessité de reconstruire le pays. Communistes du KPD et
sociaux-démocrates coopèrent dans plusieurs directions. Un comité les
rassemblant est formé à Paris. En mars 1945, ils éditent un tract commun
au bas duquel figure la signature de Gladewitz. Cet « Appel au peuple
allemand » s’adresse aussi bien aux soldats qu’aux ouvriers et paysans
allemands. On y lit : « Les représentants du KPD et du SPD en France
s’adressent à vous par cet appel. Suivez les directives des Alliés et ne
vous laissez pas provoquer par les nazis. Protégez vos villes et vos
villages des destructions des SS. Préparez une libération volontaire.
Vive la paix, la liberté et la nouvelle Allemagne démocratique. »
Après
la capitulation, se pose le problème du retour en Allemagne. Les
Alliés, très méfiants, font de grosses difficultés pour établir les
passeports. C’est pourquoi les dirigeants du KPD, avec l’aide du
PCF, créent des moyens pour passer la frontière, d’abord en utilisant le
détour par la Suisse, puis par l’Alsace-Lorraine ou le Luxembourg.
Richard Gladewitz est parmi les premiers à regagner l’Allemagne
occidentale. Des communistes français lui font traverser la Moselle sur
un petit canot à rames. Il se rend dans la région de Trèves où il est
chargé d’accueillir et de réinsérer les militants qui rentrent peu à
peu. Après quatre semaines où il se dépense sans compter, il se rend en
Saxe. Et le 11 juillet 1945, à Chemitz, il peut enfin prendre dans ses
bras Hilde, sa femme, qu'il n'avait pas revue depuis dix ans. Elle
rentrait d’URSS où elle avait travaillé en usine et dans un kolkhoze.
Ce n’est qu’en décembre qu’ils verront arriver leur fille Sonia,
jusqu’à ce moment hébergée dans un foyer créé par l’Union Soviétique et
la Croix-Rouge Internationale pour protéger les enfants des militants
dans la lutte. Richard avait le souvenir d’une enfant de cinq ans, il
retrouvait une jeune fille de quinze ans.
Après la guerre,
Gladewitz exercera d’autres responsabilités importantes. De décembre
1945 à mars 1950, il est un des collaborateurs du gouvernement du land
de Saxe. Puis il dirige une section de la radio de RDA. pendant deux
ans, est rédacteur d’un journal…
Il meurt le 23 novembre 1969 à Bucarest.
Auteurs : Robert Serre
Sources : Correspondance et documentation de Mme Sonja Moldt, à Berlin, fille de Richard Gladewitz, et de Mme Dora Schaul, ancienne directrice de l’Institut du Marxisme-Léninisme, aujourd’hui « Bundesarchiv Stiftung Archiv der Partei und Massorganisationen des DDR » à Berlin. Schriftenreihe zur Geschicht der FDJ, Richard Gladewitz, Stationen aus dem Leber eines revolutionären Kämpfers, Verlag Jung Welt Berlin 1973. Richard Gladewitz, Leiter des Frontbüros des Komitees « Freies Deutschland » für den Westen, transcription d’un enregistrement à Paris le 24 avril 1945. Collectif sous la direction de Dora Schaul, Résistance Erinnerungen deutscher Antifaschisten (Souvenirs d’antifascistes allemands), Dietz Verlag Berlin, 1973. Karlheinz Pech, An der Seite der Resistance, Die Bewegunge « Freies Deutschland» für der Westen in Frankreich (1943-45), (Aux côtés de la Résistance, le mouvement « Allemagne libre » pour l’Ouest en France), éd. Militärverlag der Deutschen Demokratischen Republik. Dieter Schiller, Karlheinz Pech, Regine Herrmann, Manfred Hahn, Exil in Frankreich, éd . Verlag Philipp Reclam jun. Leipzig, 1981.Institut für Marxismus-Leninismus, récit d’Alfred Spitzer, cité par E. et Y. Brès, Un maquis..., op. cit.