Livre d’architecture du camp d’Allach
Légende :
Le 6 mai 1945, un groupe de francs-maçons, dont Georges Dunoir, créé un atelier maçonnique au sein du camp d’Allach. Allach était le plus important kommando du camp de concentration de Dachau. Les déportés y travaillaient sur différents chantiers et principalement pour l’usine BMW. Il compta jusqu'à 3850 détenus.
Genre : Image
Type : Manuscrit
Source : © Musée de la Franc-Maçonnerie, Collection GODF - Photographie Ronan Loaëc et Marie Devaux Droits réservés
Détails techniques :
Feuillets manuscrits. Cahier ouvert (couverture inclue) : 21,2 x 33 cm. Feuillet où s'inscrit le compte rendu de la tenue du 6 mai 1945 : 20,5 x 16 cm.
Date document : 6 mai 1945
Lieu : Allemagne
Analyse média
Le livre d'architecture est un registre qui renferme tous les comptes-rendus d'une tenue (réunion) maçonnique. Les francs-maçons utilisent dans leur langage et leurs rituels tous les termes techniques de la construction architecturale (exemple : le maçon fait une planche au lieu de dire qu'il fait une communication) tandis qu'ils s'en approprient les outils qu'ils utilisent comme symboles de réflexion pour une construction personnelle (le compas, l'équerre, la règle, le fil à plomb, etc.).
Cette première page du livre d’architecture du camp d’Allach (kommando de Dachau) mentionne la création d’une loge internationale de langue française qui prend comme dénomination « Les Frères captifs d’Allach ». Au cours de cette réunion fondatrice du 6 mai 1945 sont élus comme membres du bureau, les frères Roess (Vénérable), Schmidt (Orateur) et Dunoir (Secrétaire). Il est important de signaler que seulement deux loges maçonniques ont été recensées au sein des camps de concentration, la seconde, dénommée « Liberté chérie », ayant été fondée par des déportés belges au camp d'Esterwegen.
Ce texte comporte de nombreuses abréviations maçonniques. L’abréviation peut se faire de deux manières : si l’initiale suffit à la compréhension, on écrit l’initiale du mot en majuscule et l’on fait suivre de trois points en triangle. Dans les autres cas, afin d’éviter toute confusion, on utilise la première syllabe du mot avec initiale majuscule, suivie de la première consonne et de trois points en triangle.
Les abréviations utilisées dans ce document sont les suivantes :
F ..M .. = Francs-maçons
L .. = Loge
Int .. = internationale
Frat.. = fraternellement
FF .. = frères
Trav.. = travaux
Atel .. = atelier (synonyme de loge)
Ven .. = Vénérable (président d’une loge)
Orat .. = orateur
Secret .. = secrétaire
Lors de cette réunion, l’atelier rend hommage au président américain, Franklin Roosevelt, décédé le 12 avril 1945, et qui avait rejoint la franc-maçonnerie en 1911. De vives félicitations sont ensuite adressées aux frères américains et alliés pour « le rapide succès de notre libération ». Les frères de l’atelier les invitent ensuite à se joindre à leurs travaux. La réunion s’achève par l’ordre du jour de la tenue suivante fixée au samedi 9 mai 1945 et ayant pour ordre du jour « Amélioration à apporter à l’organisation du camp ».
Auteur : Fabrice Bourrée
Sources : Musée de la Franc-Maçonnerie
Pierre Verhas, Liberté chérie : Une loge maçonnique dans un camp de concentration, Bruxelles, Labor, 2005.
Contexte historique
Né le 27 septembre 1903 à Valence, Georges Dunoir est représentant en appareils chirurgicaux à Lyon. Franc-maçon, initié au Grand Orient de France en 1928, il appartient à la loge des « Amis de la Vérité ». Il trouve assez rapidement à se lier pour organiser des actions de résistance, en particulier par la presse clandestine. Des radicaux, des socialistes, des francs-maçons ont entrepris de faire de la propagande contre les Allemands et Vichy par des tracts et journaux clandestins. Quelques-uns, dont Louis Pradel, futur maire de Lyon, et Georges Dunoir, créent le mouvement Le Coq enchaîné qui, solidement structuré, s’implante sur le Rhône et les départements limitrophes. En mars 1942, ils se lancent dans la confection et la diffusion d’un journal portant le nom du mouvement qui paraîtra jusqu’à la Libération. La liaison avec Londres – le réseau Buckmaster par l’intermédiaire d’Alain – est établie, ils reçoivent des parachutages. Ils participent aussi à la formation et l’instruction de troupes armées, l’édition et la diffusion de tracts, la fabrication de fausses pièces d’identité. Grâce au noyautage par la Résistance de la Section Spéciale pour la répression des menées anti-nationales, créée par Vichy, Dunoir est prévenu d’une arrestation imminente et peut échapper à la police. Il poursuit son travail avec l’imprimeur Chevalier, qui sortira plusieurs numéros de Franc-Tireur et de Combat. Mais une divergence apparaît avec Jean-Pierre Lévy et Franc-Tireur, qui attaquent régulièrement les communistes. Dunoir estime qu’il convient d’aider tous les résistants, quelle que soient leurs opinions. Dès lors, l’équipe se consacre totalement au Coq enchaîné, dont le tirage passe à 30 000 exemplaires. Dunoir devient directeur du Coq enchaîné.
Les réunions dans l’appartement de Dunoir, au 74, cours de la Liberté, étaient fréquentes, produisant des va-et-vient qui ne passaient pas inaperçus. De plus son appartement servait à entreposer des caisses de mitraillettes parachutées. On y stockait aussi les fausses cartes, les faux tampons, les tracts, les journaux. Georges Dunoir est arrêté le 21 septembre 1942. Condamné à trente mois de prison, il est emprisonné à la prison Saint-Paul de Lyon, puis à Eysses, avant d’être déporté le 20 juin 1944 à Dachau puis transféré le 7 juillet à Allach, d’où il reviendra assez atteint physiquement.
Le 6 mai 1945, il fonde avec d’autres déportés un atelier maçonnique au sein même du camp de concentration d’Allach, libéré quelques jours plus tôt. L’atelier prend le nom « Les Frères captifs d’Allach ». Georges Dunoir en devient le secrétaire. En décembre 1945, il réintègre le Grand Orient et, dans sa loge d’origine de Lyon, occupe la charge de Vénérable. Georges Dunoir décède en 1972.
Auteurs : Robert Serre, Fabrice Bourrée
Sources :
Paul Garcin, La Haine, Lugdunum, Paris 1946.
Bruno Permezel, Résistants à Lyon, Villeurbanne et alentours, Editions BGA Permezel, 2003.
Documentation famille Dunoir. Documentation Robert Serre.