Résistance. Bulletin du Comité National de salut public, n°1, 15 décembre 1940
Légende :
Premier numéro du journal clandestin Résistance du réseau du musée de l'Homme
Genre : Image
Type : Presse clandestine
Source : © Archives départementales des Yvelines, 300W51 Droits réservés
Détails techniques :
Une feuille recto-verso dactylographiée
Date document : 15 décembre 1940
Lieu : France - Ile-de-France
Analyse média
Le premier numéro de Résistance, Bulletin du Comité National de salut public paraît le 15 décembre 1940. Dans l'éditorial, on peut lire : "Résister, c'est déjà garder son coeur et son cerveau. Mais c'est surtout agir, faire quelque chose qui se traduise en faits positifs, en actes raisonnés et utiles". Tout au long de sa brève existence (le cinquième et dernier numéro sort à la fin mars 1941), le journal insiste sur l'impérieuse nécessité, pour ceux qui refusent de se soumettre, d'une discipline de fer et d'un regroupement des forces. S'inscrivant d'emblée dans une logique organisationnelle, Résistance, qui donne ses consignes au nom d'une structure déjà existante et active, se démarque ainsi de la plupart des feuilles clandestines qui paraissent au même moment et qui se cantonnent aux seuls domaines de l'information et de la propagande.
Julien Blanc, "Le réseau du musée de l'Homme" in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004.
Contexte historique
Après l'effondrement sans précédent qu'a connu le pays en un mois à peine, l'entrée des troupes allemandes dans Paris, le 14 juin 1940, est vécue comme une douloureuse humiliation. Les conditions draconiennes de l'armistice signé onze jours plus tard entérinent le dépeçage de la France : au coeur d'une vaste zone occupée, la capitale est sous main-mise allemande. Les populations civiles, déjà hébétées par l'ampleur du désastre, connaissent un désarroi profond. Ici ou là pourtant, au milieu de la longue nuit de l'Occupation qui commence, des individus vont refuser la résignation et, dans un sursaut moral, transgresser la loi du vainqueur en basculant dans la rébellion active.
Dès l'été 1940, des initiatives dispersées se manifestent un peu partout en zone occupée sous la forme d'inscriptions tracées à la hâte, d'affiches allemandes lacérées, de papillons et de tracts confectionnés, de sabotage de lignes téléphoniques. Très vite, les premiers noyaux d'opposants se forment. Ces cellules, qui prennent corps le plus souvent en s'appuyant sur des réseaux de sociabilité pré-existants, ne rassemblent au départ que quelques individus mais fleurissent tant à Paris qu'en province. Elles s'adonnent dès leur naissance à des activités variées qui vont de la collecte de petits renseignements militaires à l'évasion de prisonniers de guerre en passant par une propagande très rudimentaire, confectionnée avec des moyens dérisoires. C'est ainsi qu'au musée de l'Homme sur la colline de Chaillot, un cercle actif s'est immédiatement constitué autour d'Yvonne Oddon, la bibliothécaire, et de deux chercheurs russes fraîchement naturalisés français, le linguiste Boris Vildé et l'anthropologue Anatole Lewitsky. Cette cellule primitive ne tarde pas à entrer en contact avec d'autres monades qui se multiplient au même moment. Avec des avocats du barreau de Paris, avec un groupe de pompiers spécialisé dans la collecte de renseignements, avec des patriotes bretons, avec un noyau de Béthune qui organise des filières d'évasion de prisonniers de guerre ou encore avec les Français libres de France de Jean Cassou, Claude Aveline et Agnès Humbert, constitués principalement d'écrivains, des liens se tissent. À l'automne 1940, grâce à ces connexions, un " secteur " clandestin, bientôt coordonné par Vildé et ses proches, et qui comprend au moins huit groupes distincts, voit le jour. Ce qui se passe autour du musée de l'Homme n'est pas un cas isolé ; ailleurs, des dynamiques comparables s'enclenchent et débouchent sur d'autres rapprochements. Ainsi, Maurice Dutheil de La Rochère, colonel en retraite septuagénaire, monarchiste et patriote intransigeant, regroupe lui aussi des équipes actives à Paris, Versailles, Soissons, Compiègne, Sens et Blois. Le groupe Vérité Française en particulier, dont Jean de Launoy et Julien Lafaye sont les inspirateurs et qui publie le périodique clandestin du même nom depuis septembre 1940, se place dans son orbite. Il en va de même pour le duo insolite formé de Germaine Tillion, jeune ethnologue de trente-deux ans, et de Paul Hauet, également militaire en retraite de plus de soixante-dix ans, qui structurent autour de l'association UNCC (Union nationale des combattants coloniaux) des groupes implantés dans l'Est, en Région parisienne, dans les Pays de Loire, en Gironde et le Centre. Sous couvert d'action caritative (envoi de colis et de courrier, recrutement de marraines de guerre), l'UNCC se spécialise dans l'évasion et le camouflage de prisonniers de guerre coloniaux, parvenant, grâce à des complicités variées, à soustraire à l'emprise allemande plusieurs milliers de captifs originaires d'outre-mer.
Une troisième étape se dessine enfin, quand, à la fin de l'automne, ces trois secteurs esquissent des rapprochements par le haut (c'est-à-dire par les chefs) et commencent à agir de concert, en particulier dans le domaine du renseignement militaire. Entre Hauet, La Rochère et Vildé, les échanges de documents sont réguliers. Les filières utilisées pour transmettre ces renseignements sont multiples : l'ambassade américaine, la légation hollandaise à Vichy, des officiers de l'armée d'armistice sont sollicités ; le contact direct avec les services secrets de la France libre fait défaut. Dans la variété des actions entreprises, la contre-propagande occupe une place centrale. Après avoir sorti quelques tracts, Vildé et les Français libres de France décident de créer un véritable périodique clandestin. Le premier numéro de Résistance, Bulletin du Comité National de salut public paraît le 15 décembre 1940. Dans l'éditorial, on peut lire : " Résister, c'est déjà garder son coeur et son cerveau. Mais c'est surtout agir, faire quelque chose qui se traduise en faits positifs, en actes raisonnés et utiles ". Tout au long de sa brève existence (le cinquième et dernier numéro sort à la fin mars 1941), le journal insiste sur l'impérieuse nécessité, pour ceux qui refusent de se soumettre, d'une discipline de fer et d'un regroupement des forces. S'inscrivant d'emblée dans une logique organisationnelle, Résistance, qui donne ses consignes au nom d'une structure déjà existante et active, se démarque ainsi de la plupart des feuilles clandestines qui paraissent au même moment et qui se cantonnent aux seuls domaines de l'information et de la propagande. Boris Vildé est, sans doute possible, la figure majeure de cette histoire. Charismatique, sur actif, maniant le bluff , il parvient à entraîner dans son sillage des gens plus âgés et plus expérimentés que lui. Il impose une autorité que personne ne lui conteste. Dès l'été 40, il voit loin. Son ambition est d'unifier les initiatives éparses sur l'ensemble du territoire métropolitain. Le tour de France qu'il effectue en zone libre à partir de février 1941 en témoigne : à Lyon, Marseille et Toulouse, il multiplie les rencontres et tente de mettre en place relais et antennes. Il y parvient parfois comme à Toulouse où il tisse des contacts fructueux avec les pionniers du cru (Georges Friedmann et Léo Hamon notamment).
À l'hiver 1940-1941, une organisation est donc largement constituée : non pas sous la forme d'une pyramide avec une base et un sommet clairement identifiés mais plutôt comme une nébuleuse multipolaire en formation constante et regroupant une multitude de groupes largement autonomes, aux profils sociologiques et politiques très variés. À côté des intellectuels du Musée de l'Homme, le poids des militaires est prépondérant. Par l'étendue et la variété de ses activités, par ses implantations géographiques, par le poids de son recrutement enfin, cette nébuleuse présente déjà le profil d'un véritable mouvement de résistance en gestation et forme alors la plus solide organisation de Résistance de zone occupée. C'est cet ensemble qui prendra après-guerre, en 1946, le nom de réseau du Musée de l'Homme pour les besoins de l'homologation administrative des réseaux et mouvements par la France Combattante.
Mais la précocité fulgurante de cette Résistance pionnière a un prix. Actif et efficace très vite, le réseau du Musée de l'Homme est particulièrement vulnérable. La répression est en quelque sorte la rançon du succès. Les opposants de la première heure, novices de l'action clandestine, ne sont nullement préparés à affronter les services de police allemands. Ceux-ci (en particulier l'Abwehr qui coiffe le contre-espionnage et le SD), vite en chasse, se montrent d'une remarquable efficacité ; avec une facilité déconcertante, des agents doubles s'infiltrent au sein des organisations. Arrestations et coups de filets se succèdent rapidement, provoquant des coupes sombres. C'est le cas d'abord des groupements rassemblés par Vildé. Indicateur à la solde des Allemands, Albert Gaveau, dont Vildé a fait un de ses agents de liaison, livre successivement l'avocat Léon-Maurice Nordmann (janvier 1941) puis Lewitsky et Oddon le 10 février. Rares sont ceux qui réussissent, comme Paul Rivet, directeur du Musée de l'Homme, Cassou ou Aveline, à se mettre à l'abri en zone Sud. Le journal Résistance continue cependant de paraître jusqu'à la fin mars grâce à l'apport de Pierre Brossolette qui vient d'être recruté. Ignorant toute prudence, Vildé remonte à Paris. Le 26 mars 1941, il est à son tour interpellé par les services du capitaine SS Doehring qui emploie Gaveau. Conduit rue des Saussaies, il est incarcéré à La Santé et enfin à Fresnes le 16 juin. En avril 1941, le secteur Vildé a été largement démantelé.
Trois mois plus tard, en juillet de la même année, c'est au tour de La Rochère de " tomber " en compagnie de Hauet qu'il parviendra à innocenter et qui sera, pour cette fois, libéré. Les groupes rattachés à La Rochère tiennent encore quelques mois avant d'être décapités par un vaste coup de filet en novembre 1941. Grâce au travail de Jacques Desoubrie, agent double lui-aussi, les membres de Vérité Française à Paris, Versailles et Soissons sont pris. Germaine Tillion n'échappe pas davantage aux investigations ; elle est arrêtée en août 1942 à Paris sur trahison, une fois de plus, d'un agent appointé de l'Abwehr, l'abbé Robert Alesch, vicaire de la Varenne. Paul Hauet reste actif jusqu'à la veille de la Libération ; en juin 1944, il est à nouveau interpellé. En même temps qu'elle frappe vite et juste, la répression allemande se montre impitoyable. Le 8 janvier 1942 s'ouvre à la prison de Fresnes le procès de l'affaire du musée de l'Homme.Dix-neuf inculpés doivent répondre d'espionnage et d'aide à l'ennemi. Le verdict rendu le 17 février est d'une extrême rigueur : dix peines de mort (sept hommes et trois femmes), trois condamnations à des travaux forcés, six relaxes sont prononcées. Le 23 février, par une froide fin d'après-midi d'hiver, Vildé, Lewitsky, Nordmann, Pierre Walter, Jules Andrieu, René Sénéchal dit " le Gosse " (il n'a que 18 ans) et Georges Ithier sont fusillés au Mont-Valérien. Déportés au pénitencier de Sonnenburg et au camp de Neuengamme, Maurice Dutheil de La Rochère et Paul Hauet meurent d'épuisement et de mauvais traitements à 74 et 78 ans. Après 17 mois dans l'enfer de Ravensbrück, Germaine Tillion est la seule à voir la défaite de l'Allemagne nazie. Dans son journal de prison rédigé à Fresnes, Boris Vildé écrivit à la date du 27 octobre 1941, " il n'y a pas de sacrifices inutiles ". Cette phrase lapidaire résume à elle seule, bien mieux qu'un long discours, ce que fut cette Résistance pionnière à l'occupant.
Julien Blanc, "Le réseau du musée de l'Homme" in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004.
Sources :
Archives nationales ; 72 AJ 51 (dossier Réseau Hauet-Vildé) et 72 AJ 66 (dossier réseau Musée de l'Homme)
Agnès Humbert, Notre Guerre, Paris, Emile-Paul frères, 1946
Germaine Tillion, " Première Résistance en zone occupée (Du côté du réseau " Musée de l'Homme-Hauet-Vildé ") " in Revue d'Histoire de la Seconde Guerre mondiale, n°30, avril 1958
Jean Cassou, La mémoire courte, Paris, Editions de Minuit, 1953
Martin Blumenson, Le Réseau du musée de l'Homme, Paris, Le Seuil, 1979
Nancy Wood, Germaine Tillion, une femme-mémoire, Paris, Editions Autrement, 2003
Julien Blanc, " Le réseau du Musée de l'Homme " in Esprit, février 2000