Anatole Lewitsky

Légende :

Photographie prise début 1940 à La Roche-sur-Yon.

Genre : Image

Type : Photographie

Source : © Service historique de la Défense Droits réservés

Détails techniques :

Photographie analogique en noir et blanc

Date document : Début 1940

Lieu : France - Pays de la Loire - Vendée - La Roche-sur-Yon

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Contexte historique

Anatole Lewitsky est né le 9 août 1901 en Russie à Borododskoié Kraskovo près de Moscou.
Sa famille fait partie de la vieille aristocratie russe ; son père est avocat à la Cour de Moscou et sénateur alors que sa mère est la fille d'un Maréchal de noblesse dont elle a hérité une très vaste propriété terrienne. Anatole Lewitsky connaît le sort privilégié des enfants de l'aristocratie : il reçoit une instruction privée chez lui jusqu'à l'âge de 14 ans puis poursuit des études au Gymnase, institution réputée de Moscou. Mais en 1917, au moment de la révolution bolchevique, les Lewitsky doivent quitter la Russie et s'exiler en Suisse. Ruinés, ils ouvrent une petite pension de famille à Montreux où tout le monde doit travailler. A 22 ans, le jeune Anatole Lewitsky passe avec succès son examen de maturité à Genève. Après un bref passage par Lausanne, il s'installe à Paris en 1925. Il exerce divers petits métiers alimentaires parmi lesquels cuisinier dans un hôtel, taxi de nuit, chauffeur de maître et traducteur. En 1926, il se met en ménage avec une Russe qu'il épousera en 1934 ; ce mariage sera un échec, sa femme sombrant peu à peu dans la folie. Parallèlement, il entame à la Sorbonne des études supérieures d'ethnologie et suit les cours de Marcel Mauss à l'Ecole pratique des hautes études. En 1931, il entre au musée d'Ethnographie du Trocadéro comme simple manutentionnaire.

Il est rapidement repéré par le docteur Paul Rivet, directeur du musée, et par son adjoint Georges-Henri Rivière, qui vont trouver en lui un organisateur remarquable capable de mettre au point leurs conceptions, de surveiller les travaux et les aménagements. Il gravit les échelons un à un et joue un rôle de tout premier plan dans la naissance du nouveau et moderne Musée de l'Homme de 1935 à 1938. A la suite de cette expérience et de plusieurs voyages d'études à travers l'Europe, il a acquis une compétence reconnue en muséographie. A près de quarante ans, cet autodidacte, naturalisé français en 1936 et qui parle couramment cinq langues (outre le français et le russe, il maîtrise l'allemand, le polonais et l'anglais), se mue en chercheur, devient un des meilleurs spécialistes du chamanisme sibérien (civilisation de l'Asie) et élargit son domaine de recherche en se tournant de plus en plus vers les civilisations du Pacifique (Océanie).

Membre de la délégation française au Congrès des Sciences Anthropologiques et Ethnologiques de Copenhague en 1938, il obtient une bourse du CNRS la même année. En 1939, à la veille de la guerre, après avoir eu la charge du département d'Europe, il dirige celui de technologie comparée du Musée et est pressenti pour prendre la tête du Centre d'Etudes Océaniennes qui doit voir le jour. Tous les témoignages à son sujet concordent et décrivent un travailleur acharné d'une rare efficacité, toujours disponible, discret et modeste. Mobilisé en octobre 1939, aspirant officier en mai 1940, il n'est pas fait prisonnier lors de la débâcle et obtient sa démobilisation en août à Clermont-Ferrand.

De retour à Paris, il retrouve au musée du Palais de Chaillot son ami Boris Vildé, linguiste et Russe naturalisé comme lui ; ensemble, ils fondent, avec l'accord et l'appui de Paul Rivet, l'un des premiers groupes actifs de la Résistance en zone occupée. Ce duo est complété par l'apport décisif d'Yvonne Oddon, bibliothécaire du musée et compagne de Lewitsky depuis 1936.
Ainsi, dès le début de l'automne 1940, une organisation clandestine se met en place dans les domaines variés de la propagande, de l'évasion et du renseignement. Véritable alter ego de Vildé, dont il apparaît comme le complément idéal, Anatole Lewitsky assure lui-même les contacts avec certains des groupes qui gravitent autour du Musée de l'Homme. Il est ainsi en contacts réguliers avec le colonel Maurice de la Rochère pour la collecte et l'échange de renseignements. Son activité principale se déploie dans le domaine de la propagande et il joue un rôle central dans la conception, la rédaction et la réalisation du journal Résistance, un des premiers périodiques clandestins à paraître en zone occupée. C'est lui qui assure les liaisons avec l'équipe Cassou-Humbert-Aveline en charge de la fabrication du journal.

Lorsque Vildé quitte la zone occupée en janvier 1941 pour une tournée de prospection en zone libre, c'est tout naturellement Lewitsky qui prend la tête du réseau du Musée de l'Homme et assure l'intérim. Mais ces pionniers sont vite repérés par les services allemands. Outre Albert Gaveau, agent double infiltré par le SD et dont Vildé a fait son agent de liaison, les Allemands ont également bénéficié des confidences et indiscrétions de deux employés russes blancs du Musée (Mme Erouchkowsky et son ami Fedorowsky). Le 10 février 1941 au soir, Lewitsky et Oddon sont arrêtés. Le lendemain matin, un vaste coup de filet est lancé contre le Musée de l'Homme. Au terme d'une longue instruction et de près d'un an d'incarcération (au Cherche-Midi d'abord puis à Fresnes), le procès de "l'affaire du Musée de l'Homme" s'ouvre enfin en janvier 1942. Un Tribunal militaire allemand réuni à Fresnes juge 19 prévenus, au premier rang desquels Lewitsky, inculpé "d'intelligence avec l'ennemi". Sans surprise, il est reconnu coupable et condamné à mort le 17 février 1942.  Les nombreux appels à la clémence et interventions du monde scientifique français en vue d'obtenir sa grâce resteront lettres mortes. Il est fusillé au Mont Valérien le lundi 23 février 1942 par la dernière salve en même temps que ses camarades Boris Vildé et Pierre Walter. Leurs corps sont inhumés au cimetière d'Ivry.

Médaillé de la Résistance, il est élevé au grade de commandant à titre posthume en mai 1956.


Julien Blanc, "Anatole Lewitsky" in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004.

Sources et bibliographie :
Archives nationales, 72 AJ 51 (dossier "réseau Hauet-Vildé") et 72 AJ 66 (dossier "réseau du musée de l'Homme") ; Z6 810 (Cour de Justice de la Seine, procédure contre Albert Gaveau, acte d'accusation des inculpés de "l'affaire du musée de l'Homme") ; F60 1573 dossier 242 (dossier d'intervention en faveur d'Anatole Lewitsky).
Archives privées de Germaine Tillion, dossier individuel d'Anatole Lewitsky constitué par l'officier liquidateur en vue de son homologation au "réseau du musée de l'Homme". Bureau Résistance, dossier individuel d'Anatole Lewitsky.
Martin Blumenson, Le réseau du musée de l'Homme, Paris, Le Seuil, 1979.
Agnès Humbert, Notre Guerre, Paris, Emile-Paul Frères, 1946.
Germaine Tillion, "Première Résistance en zone occupée (Du côté du réseau " Musée de l'Homme-Hauet-Vildé")" in Revue d'Histoire de la Deuxième Guerre mondiale, n° 30, avril 1958.
Daniel Fabre, "L'ethnologie française à la croisée des engagements (1940-1945)" in Jean-Yves Boursier (dir.), Résistants et Résistance, Paris, L'Harmattan, 1997.
Patrick Ghrenassia, "Anatole Lewitsky, de l'ethnologie à la Résistance" in La Liberté de l'Esprit. Visages de la Résistance, n° 16. Automne 1987, Paris, la Manufacture.