Note du 1er juillet 1944 du capitaine
Légende :
L'intérêt de cette note est d'apercevoir les avatars de la vie quotidienne d'une unité de résistants.
Genre : Image
Type : Note de la Résistance
Source : © Fonds Albert Fié, archives Pons Droits réservés
Détails techniques :
Document dactylographié sur une feuille de papier de format 21 x 27 cm.
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Die
Analyse média
Le document est soigneusement dactylographié et composé. Divers sujets sont abordés :
Le capitaine "Alain" s'inquiète du sort de containers reçus lors d'un parachutage. Ce premier sujet est un épisode que l'on retrouve assez fréquemment quand on évoque la répartition des armes reçues lors d'un parachutage.
Le terrain évoqué par le capitaine "Alain" est sûrement celui de Brette, codé William 16, le parachutage celui de la nuit du 24 au 25 juin 1944. Il aurait été le plus important de la Drôme, hors Vercors, pouvant équiper 800 hommes. Les deux armes citées sont une mitrailleuse légère Browning 30 étatsunienne et un fusil-mitrailleur Bren britannique. Elles constituent l'armement le plus puissant de beaucoup d'unités résistantes, d'où leur valeur et l'acharnement mis pour en récupérer. Au total 20 armes de ce type ont été parachutées. Mais trois d'entre elles ont été ramassées en mauvais état. Les pertes liées à un mauvais largage atteignent parfois 30%. Le parachutage de Brette se caractérise aussi par la grande variété du matériel : armes de groupe, fusils étatsuniens et britanniques, grenade défensives Mills, grenades Gammon, explosifs pour sabotages. La récupération de tout ce matériel et son transport sont difficiles. Il est fait appel à tous les moyens de transport pour mettre en sûreté et répartir les armes. Au cours de cette opération, a été utilisée une autochenille Citroën Kégresse, récupérée par la Résistance dans une des caches de l'organisation du Camouflage du matériel (CDM). Un entrepôt doit se situer à Saint-Nazaire-le-Désert à quelques kilomètres de Brette. C'est au cours du transport du matériel que Maurice Blanc* aurait détourné trois containers. Si "Alain" reconnaît les besoins en armement de Paul Pons, il est offusqué par le procédé de récupération de plusieurs containers. On a là un exemple fréquent de dispute entre les unités résistantes, surtout si certaines font partie de l'AS (Armée secrète) et d'autres des FTP (Francs-tireurs et partisans). Dans son livre, Il n’est pas trop tard pour parler de résistance, Jean Abonnenc, résistant du Diois, rend compte de la mesure qu'il prend lors de ce parachutage : « Par sécurité je fais placer une mitrailleuse sur les roches de Pierre Folle, tenant en vue le poste allemand (…). Je mets une autre mitrailleuse en direction d'Aucelon, d'où un camp de FTP commandé par Mourier, pourrait tenter de nous piquer (sic) des conteneurs » !
Afin de résoudre ce problème, "Alain" exige que lui soit communiqué le contenu des containers.
Dans sa réponse du 2 juillet, Paul Pons précise que Maurice Blanc « s'est présenté à Brette sur le terrain du Diois mais ce n'est pas de sa propre initiative car ainsi que je vous l'ai dit deux hommes sont venus soit disant de votre fait et demandant à ce que l'on s'y rende. A son retour il m'a remis une mitrailleuse et un fusil mitrailleur les deux sans munitions ainsi que 3 colis contenant chacun 10 fusils américains dont 8 étaient brisés, Blanc a également rapporté une seule paire de chaussures. »
À la fin de sa réponse, Paul Pons réclame de façon urgente. « En plus des armes automatiques nécessaires à chaque groupe, j'ai un besoin pressant de chaussures car nombre de mes hommes sont autant dire pieds nus ».
Ensuite, il réclame les tableaux des effectifs de la compagnie. Il demande si Paul Pons dispose de suffisamment de cartes d'immatriculations FFI (Forces françaises de l'intérieur) qui, théoriquement, donnent aux résistants la qualité de soldat bénéficiant des conventions internationales sur la guerre. Dans le cas contraire, il recommande au chef de compagnie d'établir des cartes provisoires en attendant les cartes réglementaires.
À la suite de ces sujets importants, "Alain" fait une demande qui paraît dérisoire dans le contexte du moment. Il est à la recherche de son porte-cigarette qu'il aurait perdu dans le secteur de Saillans, tenu par Paul Pons. Il ne précise pas les raisons pour lesquelles cet objet est si important pour lui. On peut penser que c'est pour des motifs très personnels qui n'ont rien à voir avec la Résistance !
"Alain" termine sa note en revenant aux choses sérieuses. Il rappelle à Paul Pons la nécessité absolue de construire des barrages bétonnés sur les routes de la vallée de la Drôme. Dans des notes précédentes, il décrit ces barrages qui doivent être constitués de rails plantés dans des chapes bétonnées. Le danger d'une attaque allemande se précisant, la compagnie Pons doit être sur ses gardes et se tenir prête.
À travers ce document plusieurs aspects de la vie de la Résistance dans le centre de la Drôme sont mis en valeur en même temps que la personnalité d'un chef de secteur. Ils sont riches d'enseignements.
(*) Maurice Blanc sera, accidentellement, tué par un camarade le 7 juillet 1944.
Auteurs : Coustaury Alain
Sources : Albert Fié, Mémoire d'un vieil homme, archives Pons. Abonnenc Jean, Il n'est pas trop tard... pour parler de résistance, Die, 2004, 384 pages.
Contexte historique
Né en 1921 à Vitry-sur-Seine, officier de la Légion d'honneur. Pierre Raynaud ("Alain") réussit à rejoindre la France libre en février 1941, et participe comme volontaire dans les premiers corps-francs aux combats lors du débarquement allié en Afrique du nord avec la Première Armée britannique.
Volontaire pour assurer des missions en France, il est parachuté en juin 1943 à Solognac (Gironde). Il est l'un des seconds du lieutenant-colonel Cammaerts (dit "Major Roger") du réseau Buckmaster-"Roger". Chargé de mission dans la Drôme, il loge d'abord à Montélimar chez Daujat en juin 1943, où il recrute aussi Poyol qui lui procure un abri sûr à La Paillette chez Albert Mielle. Il recrute ensuite le commandant Pons à Crest, André Viel à Menée-en-Diois (où il établira l'un de ses PC), le colonel Moulin (dit "Vivier") à Saulce, et contacte les responsables FTPF du Diois et du Sud-Drôme avec lesquels il aura des problèmes notamment sur la question du partage des armes des parachutages. Il recevra une vingtaine de ceux-ci et permettra la réalisation de nombreux sabotages.
Ayant mis sur pied une organisation qui comptera autour de 1 500 hommes, environ la moitié FTPF, au 6 juin 1944, il est incontournable par la dimension de cette organisation et les parachutages qu'il reçoit. Il est alors nommé chef du 3e bataillon des FFI (Sud-Drôme) à cette date. Il se trouve sous le commandement de Drouot ("l'Hermine", chef départemental), avec l'accord des instances de Londres et d'Alger ; mais s'il est sous les ordres de Drouot en tant que chef FFI, il est sous ceux de Cammaerts en tant qu'agent du SOE (Special operation executive). Ses rapports avec les chefs de l'AS (en particulier Drouot) et avec les chefs FTPF deviendront rapidement tendus. Les autorités civiles de la Résistance, notamment celles du CDL (Comité départemental de Libération), voient mal le fait d'armer les FTPF, et aussi qu'il ait déconseillé le défilé du 14 juillet à Die pour des raisons de sécurité, ils l'apprécieront peu.
Lors des combats de Valréas, il est blessé dans une embuscade avec deux de ses hommes et un autre est tué, mais il continue d'assurer sa mission.
Il lui sera reproché d'avoir échoué dans la mission d'arrêter les Allemands qui allaient au Vercors lors des combats dans la vallée de la Drôme entre les 20 et 23 juillet, et de ne pas se faire obéir des FTPF. Malgré un courage et des compétences indéniables, il est mis aux arrêts de rigueur début août. Cammaerts sera obligé de faire pression sur les autorités de la Résistance drômoise pour qu'il soit libéré. Il est contraint "diplomatiquement" d'abandonner son commandement et envoyé à Barcelonnette.
Il poursuivra sa carrière dans l'armée française, avec laquelle il opérera en Indochine, comme de nombreux officiers formés par le SOE et le BCRA (Bureau central de renseignement et d'action) pendant la Deuxième Guerre mondiale.
En 2006, il profite d'une retraite bien méritée dans une île au soleil.
Auteurs : Patrick Martin
Sources : Dvd-rom La Résistance dans la Drôme et le Vercors, éditions AERI-AERD, 2007.