Eugène Chavant, dit "Clément", second chef civil du Vercors

Légende :

Eugène Chavant, dit Clément, pionnier et chef civil du Vercors à partir de l'automne 1943, puis président du Comité départemental de Libération de l'Isère, fait Compagnon de la Libération, sans date

Genre : Image

Type : Photographie

Producteur : ANPCVV

Source : © Collection ANPCVV Droits réservés

Détails techniques :

Photograhie analogique en noir et blanc (voir aussi l'album).

Date document : Sans date

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Isère - Grenoble

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Analyse média

Eugène Chavant, Clément, est le responsable civil incontesté du Vercors depuis l'automne 1943, après la période de flottement qui suit l'arrestation d'Aimé Pupin, le 27 mai 1943.

Les chefs militaires du Vercors, en revanche, se succèdent : Alain Le Ray, d'abord, de mai 1943 à janvier 1944, puis Narcisse Geyer, Thivollet, jusqu'en mai 1944. Marcel Descour désigne, pour lui succéder, le 6 mai 1944, le chef d'escadron François Huet, Hervieux.

La zone du nord-Vercors se trouve alors sous les ordres de Roland Costa de Beauregard, Durieu, la zone du sud-Vercors, sous les ordres de Narcisse Geyer, Thivollet.

Eugène Chavant assume de fait la fonction de "préfet de la Résistance " du Vercors, et, à ce titre, est chargé des problèmes d'organisation générale de la vie quotidienne. Il est assisté de deux hommes faisant fonction de "sous-préfets", Raymond Tézier, ancien maire de Voiron (Isère), basé à la Balme-de-Rencurel, au nord du Vercors, et Benjamin Malossane, basé à La-Chapelle-en-Vercors. Ils sont chargés :

- du ravitaillement quotidien de la population civile et du maquis ;

- de l'alimentation électrique, du bon fonctionnement de la poste ;

- du traitement des fonctionnaires, de la solde des combattants, des allocations familiales ;

- du soutien logistique complet du maquis (administration des réquisitions, mise sur pied d'un groupe de transport, avec l'aide de Victor Huiller, qui possède sa société de transports ;

- de l'organisation d'un service de police s'appuyant sur la Prévôté du plateau et le tribunal militaire.


Guy Giraud

Contexte historique

Eugène, Marius Chavant naquit le 12 février 1894 à Colombe, village du Bas-Dauphiné dans les Terres-Froides près du Grand-Lemps (Isère), dans un milieu de travailleurs manuels modestes, son père Joseph Marius exerçant la profession de cordonnier et sa mère d’ouvrière en soie. Eugène vécut durant quatre ans comme seul enfant au hameau de Bertine, puis fut rejoint par son frère puîné Marcel Célestin. Après avoir fréquenté l’école communale de Colombe, Eugène devint mécanicien puis agent de maîtrise à l’usine métallurgique Neyret-Beylier de Grenoble, une ville alors en expansion, dans une industrie de « pointe », grâce aux cours du soir qu’il suivit.

Il participa à la Première Guerre mondiale au 11e Dragons puis comme sergent au 20e Bataillon de chasseurs, unité dans laquelle il dirigea une section de volontaires pour les coups de main, y fut gazé en 1918. Il finit la guerre avec le grade de sergent et se vit attribuer la Médaille militaire et la Croix de guerre avec quatre citations. De cette rude expérience de la guerre, il garda un tel souvenir qu’il n’hésita pas à déclarer, après la Libération, que « toute la Résistance, ça ne vaut pas huit jours de Verdun ».

Revenu à la vie civile et à son métier d’agent de maîtrise, il milita au Parti socialiste SFIO, fut élu conseiller municipal de Saint-Martin-d'Hères dans la banlieue de Grenoble en 1929, réélu en 1935, devenant maire en 1938 après la démission du premier magistrat de la commune, responsabilité qui le conduisit à quitter l’usine où il travaillait pour tenir un café à Grenoble, à l’Ile-Verte, dans la grande tradition des militants de gauche de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle. Le 27 novembre 1920, Eugène Chavant épousait Lucie Blanc qui lui donna un fils en 1921.

L’arrivée au pouvoir de Philippe Pétain en juillet 1940, l’interdiction des partis politiques, des « sociétés secrètes » – principalement la franc-maçonnerie –, la réunion des associations d’anciens combattants en une seule Légion des combattants français, sans oublier l’entrevue de Montoire, en firent un opposant au régime, qui d'ailleurs le révoqua, avec nombre d’édiles, en février 1941. Avec ses camarades de parti, le docteur Léon Martin, pharmacien, ancien maire de Grenoble, député ayant refusé les pleins pouvoirs au Maréchal, et Aimé Pupin, cafetier comme lui et animateur avant-guerre de la Fédération sportive et gymnique du travail, il participa à la réorganisation clandestine du PS, et notamment en août 1941 à la diffusion du Populaire, organe du Parti socialiste, devenu clandestin, suite à la visite à Grenoble de Raymond Gernez, ancien député socialiste du Nord. « Nous n[e] pensions pas [au maquis] à l’époque », déclara-t-il plus tard, « il s’agissait de relancer clandestinement le Parti socialiste ».

À l’automne de cette même année 1941, un noyau de résistants socialistes se cristallisa dans le quartier populaire du cours Berriat. En avril 1942, ce groupe et celui formé à Villard-de-Lans autour du Dr Eugène Samuel, de l’hôtelier Théo Racouchot, du percepteur Marius Charlier, du banquier Édouard Masson, du responsable de Force et Lumière, Marcel Dumas, des frères Huillier, transporteurs  se rallièrent au mouvement Franc-Tireur à la suite de la rencontre entre Léon Martin et Jean-Pierre Levy à Lyon, par l'intermédiaire de Georges Martin, fils de l'ancien maire, étudiant en médecine dans la capitale des Gaules.

Ces groupes commencèrent à héberger dans le Vercors des personnes poursuivies par Vichy, puis, après novembre 1942, par les autorités italiennes d’occupation. Le développement du travail en Allemagne, d'abord volontaire, puis obligatoire (Relève, STO) donna une forte impulsion à cette activité et, pour accueillir les réfractaires, Franc-Tireur créa des embryons de camps, le premier à Ambel (décembre 1942-janvier 1943). E. Chavant et ses camarades devenaient ainsi les fondateurs du « premier Vercors », le Vercors civil.

À l’automne 1943, après l'arrestation d'Aimé Pupin, premier dirigeant du Vercors, puis celle du Dr Martin, incarcéré au fort de l'Esseillon en Savoie, Eugène Chavant devint chef civil du Vercors, ce qui lui valut le surnom de « patron », le commandant Alain Le Ray en assurant la direction militaire. Il déploya alors, sous le pseudonyme de Clément, une grande activité dans l’accueil des réfractaires au STO, leur hébergement et leur ravitaillement, n’hésitant pas à sillonner le Plateau.

En mai 1944, après une première tentative manquée, il réussit à joindre Alger où il exposa les grandes lignes du « Projet Montagnards » imaginé par Pierre Dalloz, destiné à créer sur le plateau une base permettant aux maquis, ravitaillés et appuyés par des troupes alliées et de la France libre, d’interdire toute retraite aux Allemands en cas de débarquement en Provence, plan approuvé par Jean Moulin et le général Delestraint, chef de l'Armée secrète (AS). Clément aurait alors obtenu des assurances de la part des dirigeants de la France combattante et notamment du chef du BCRA, Jacques Soustelle, dont il rapporta un ordre écrit au contenu ambigu.

À son retour en France, il participa à la mise en place des maquis du Vercors après le débarquement du 6 juin, mais assista à leur anéantissement par la Wehrmacht. Devant l'inaction de Londres et Alger,  malgré ses demandes répétées, E. Chavant envoya le télégramme suivant : « Si vous ne prenez pas dispositions immédiates » nous dirons que « ceux qui sont à Londres et Alger n’ont rien compris à la situation dans laquelle nous nous trouvons et sont considérés comme des criminels et des lâches. Nous disons bien “des criminels et des lâches” ».

À la Libération, E. Chavant, tout en refusant des postes administratifs élevés - "J'aurais pu être préfet, avoua-t-il un jour, je n'ai pas voulu" -, présida le Comité départemental de Libération de l’Isère, participant à la réception du général de Gaulle lors de la visite de celui-ci à Grenoble, le 5 novembre 1944, ainsi que le Comité de reconstruction du Vercors.
Le 20 novembre, un décret du général de Gaulle le faisait Compagnon de la Libération, marque de l’estime dans laquelle, malgré les différends qui les opposaient, le tenait le chef de la France combattante.
Bien qu’ayant retrouvé la fonction de maire de Saint-Martin-d'Hères, il démissionna de cette fonction pour se consacrer à l’Amicale des Pionniers et des combattants volontaires du Vercors qu'il avait créée, et dont il assura la présidence jusqu'à sa mort, le 28 janvier 1969.
Il joua notamment un rôle décisif dans les oeuvres sociales de l'association. Il aurait d'ailleurs quitté le Parti socialiste dans les années 1950.

Il fut inhumé dans le cimetière national du Vercors à Saint-Nizier-du-Moucherotte, et depuis, son nom a été donné à diverses rues et avenues de l’agglomération grenobloise, à une station de tramway, à un complexe de cinémas, boulevard Maréchal-Lyautey, en face duquel est érigé un monument commémoratif à sa mémoire imaginé par l’association, inauguré en 1976 puis déplacé et modifié. Chaque année, le 19 janvier, une cérémonie s’y déroule.


Distinctions et décorations :

• Commandeur de la Légion d'honneur
 • Compagnon de la Libération (Décret du 20 novembre 1944) • Commandeur de l'Ordre national du Mérite
 • Médaille militaire • Croix de guerre 1914-1918 (quatre citations) • Croix de guerre 1939-1945 • Médaille de la Résistance.

 

 

Pour en savoir plus :

Les origines du Vercors résistant (J-W. Dereymez)

Genèse de la Résistance et phases de l'évolution de la gouvernance (G. Giraud)

La gouvernance du Vercors (G. Giraud)

De Lyon au Vercors : les principes de développement territorial du mouvement Franc-Tireur, 1941-1942 (J. Guillon)


Auteur : Jean-William Dereymez

Sources :

Site du Maitron en ligne.

Site de l'Ordre de la Libération.

Eugène Chavant, Conférence sur le Vercors, Grenoble le 6 février 1945, 44 p. dactylo. 

Le Dauphiné libéré, 29, 30 et 31 janvier 1969, articles nécrologiques dont celui rédigé par Paul Dreyfus, reportages sur les obsèques.

Paul Dreyfus, Les rues de Grenoble, Grenoble, Editions Glénat, 1992, 278 p., p. 61.

Paul Dreyfus, Vercors, citadelle de liberté, Grenoble, Arthaud, 1969, Romagnat, De Borée, 2007 (Nouvelle édition), 416 p.

Gilles Vergnon, Eugène Chavant, du poilu au chef du maquis, éd. Grenoble, département de l'Isère, coll. Patrimoine en Isère, 2015, p. 86.