Un collaborateur interné au camp de concentration de Romans

Légende :

La Libération a vu une période d'épuration importante dans la Drôme. Arrêté d’internement d’un collaborateur au camp de concentration de Romans-sur-Isère

Genre : Image

Type : Document officiel

Source : © Archives communales de Romans-sur-Isère, cote : 156 S 3 Droits réservés

Détails techniques :

Papier machine 21 x 27 cm.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Romans-sur-Isère

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Analyse média

C’est un des nombreux arrêtés d’internement au « camp de concentration de Romans ». Ce camp a hébergé 232 détenus. L’arrêté a été pris par le préfet, signé par le chef de cabinet après examen du cas par la « commission de criblage » de Romans réunie le 2 décembre 1944.


Auteurs : Jean Sauvageon
Sources : Archives Communales de Romans-sur-Isère, cote : 156 S 3.

Contexte historique

Dès la Libération, des dispositions ont été prises pour interner les collaborateurs de la région. Ce « camp de concentration » a été installé d’abord à la caserne Servan puis à l’école maternelle de la rue Saint-Just et enfin dans un immeuble, au 13 de la rue Duchesne.

Le registre du camp porte 232 noms. On compte 217 hommes et 15 femmes.

Tous n’ont pas été internés en même temps. Par exemple, un rapport du 15 novembre 1944, indique que 90 personnes sont présentes au camp, 9 sont hospitalisées et 14 sont détachées à l’extérieur.

Les motifs d’internement sont les suivants :

PPF (Parti populaire français) : 119. Complicité PPF : 1. Francistes : 3. Menées antinationales : 5. Collaborateurs : 16. Suspects : 15. Miliciens : 12. Relations allemandes : 3. Traître : 1. Pro-allemand : 1. Relations suspectes : 2. Dénonciation juifs, délateur : 3. Père, femme, maîtresse de miliciens : 4. Gestapo, fréquente membre Gestapo, femme de Gestapo, collaborateur Gestapo : 4. LVF (Légion des volontaires français) : 1. Volontaire Allemagne : 1. Signataires pétition pro-Vichy : 6. Souteneur : 1. Abandon de poste : 1. GMR : 3. UPJP : 1. Détournement marché du maquis : 1. Président de la Légion : 1. Prisonnier allemand : 1.

Les professions indiquées sont les suivantes :

Cultivateurs : 19. Bûcherons : 2. Journalier : 1. Jardiniers : 2. Marchand de chevaux : 1. Palefrenier : 1. Maréchal-ferrant : 1. Forgeron : 1. Exploitant forestier : 1. Scieur : 2. soit 13 % pour le secteur proche de l’agriculture.

Industriels, directeurs d’usine : 20. Négociants : 6. Épicier en gros : 1. Transporteur : 1. Soit 12 % pour le patronat.

Contremaître chaussures : 4. Ouvriers en chaussures : 20. Artisan chaussures : 1. Tanneurs : 9. Soit 14, 6 % pour le secteur cuir-chaussure qui est une quasi mono-industrie.

Chapeliers : 2. Ouvriers : 8. Manœuvres : 9. Chauffeur : 4. Mineur : 1 (originaire de la Sarre). Soit 10,3 %.

Représentants de commerce : 11. Médecin : 1. Dentiste : 1. Architecte : 2. Ingénieur : 2. Cadres : 2. Dessinateur : 1. Clerc de notaire : 2. Comptables : 3. Huissier : 1. Caissier, employé de banque : 2. Étudiant : 2. Employés : 6. Soit 15 %.

Mécanicien : 3. Imprimeur : 3. Photographe : 1. Artisans : 16. Coiffeur : 2. Marchand de charbon : 1. Commerces d’alimentation : 8. Cafetier : 1. Cuisinier : 1. Serveuses : 2. Soit 16,4 % dans le commerce de proximité.

Inspecteur de police : 1. Gardien de la paix : 1. GMR : 1. Surveillant de nuit : 1. Capitaine en retraite : 1.

Ménagère : 1. Sans profession : 7. Retraité : 1. Ancien député : 1.

Les âges :

Le plus âgé des internés a 77 ans, le plus jeune 14 ans.

18,4 % ont plus de 50 ans. 33,5 % entre 40 et 49 ans, 31,3 % entre 30 et 39 ans et 17 % ont moins de 30ans.

Les libérations et les observations mentionnées :

Acquittés : 2. Condamné à mort : 1. Travaux forcés : 1. Interdit de séjour : 2. 10 ou 5 ans d’indignité nationale : 3. Transférés à Valence : 19 (le 10 novembre 1944). Déféré au Parquet : 1. Internés administratifs : 2. Libérés par ordre du préfet : 18. Libérés : 130.

Ces statistiques permettent de constater que les principaux motifs d’internement sont l’appartenance au PPF puisqu’ils concernent 51,3 % des détenus. Mais Romans en a été, depuis sa création, le fief le plus important du département regroupant plus des trois-quarts des adhérents de ce parti dans la Drôme. Il est vrai que les méthodes de recrutement frisaient souvent l’escroquerie, les promesses d’embauche dans des entreprises dont le patron est favorable à la collaboration notamment, où certains se trouvant encartés alors qu’ils n’avaient pas donné leur adhésion.

Il faudrait comparer les statistiques des professions avec la composition de la population de Romans et sa proche région en 1944. Les effectifs des usines de chaussures sont de l’ordre de 4 000. La proportion d’ouvriers de ce secteur et des autres (25 % des détenus) est assez faible relativement compte tenu que ces catégories constituent la grande majorité de la population. Celle des industriels ou directeurs d’usine est relativement importante (12 %) proportionnellement alors qu’ils sont une minorité.

Le secteur primaire (agricole) est assez bien représenté (13 %) chez les détenus pour une agglomération à caractère plutôt urbain, même si les détenus viennent de toute la région. Les commerces de proximité, en contact permanent avec la population, relais intéressant pour la diffusion des nouvelles, vraies ou fausses, constituent un assez fort contingent (16 %).

Albert Mauraton est nommé chef responsable du camp le 13 octobre 1944.

Le 7 décembre 1944, le camp est pris en main par l’armée d’une façon assez brutale sans avoir averti de cette opération.

Règlement du camp :

Un règlement intérieur du camp est établi (document non daté). Il est assez draconien. Le chef de camp devra « assurer sa bonne tenue » et exiger « la plus complète discipline ». « Il aura toute autorité pour infliger des sanctions soit à ses hommes, soit aux détenus. Exception faite de voies de fait ». Cette consigne n’a pas toujours été respectée puisqu’on trouve un rapport sanctionnant des brutalités sur un détenu.

Le chef de camp tiendra « un registre de levée d’écrou » que nous avons pu consulter et qui donne tous les renseignements sur les 232 personnes écrouées.

Les détenus en cellule se lèvent à 5 h du matin, effectuent le nettoyage des locaux disciplinaires. Ils ont une « promenade dans la cour » de 15 h à 15 h 30. Ils reçoivent une « soupe » à 11 h 30 et une autre à 18 h 30. L’« extinction des feux » est fixée à 21 h.

Pour les autres détenus, le réveil est à 6 h. Un appel, à 7 h 30, est suivi de la « répartition des corvées ». De 9 h 30 à 10 h 30, c’est la « promenade dans la cour ». La soupe est aux mêmes heures que dans les cellules. L’après-midi, après le « nettoyage du camp », de 13 h à 13 h 30, un appel, les détenus partent pour les corvées de 14 h à 17 h. Un nouvel appel est fait à 19 h 30.

« Dans les chambrées et les cellules, les détenus devront se lever et se mettre au garde-à-vous, à l’arrivée du chef de camp ou d’un chef responsable ». On peut imaginer la scène où un des détenus est le chef d’une entreprise importante de chaussures et le chef est un de ses anciens ouvriers !

« Les jeux, les chants, le tabac et tout bruit intempestif sont formellement interdits, ainsi que la lecture des journaux et brochures ».

Lors des sorties en ville, « Il est absolument interdit aux chefs de corvées d’entrer avec des détenus dans des débits de boissons… ». Au retour des corvées, « les détenus politiques sont soumis à une fouille minutieuse ».

Les punitions infligées aux détenus sont la suppression des corvées volontaires, des colis de victuailles.

Une infirmerie pénitentiaire reçoit les détenus malades.

« Chaque détenu qui, dans la semaine, n’aura encouru aucune punition sera autorisé à recevoir un colis de victuailles d’un poids maximum de 5 kg » qu’il ne devra pas dépasser au risque de confiscation et « distribué aux détenus nécessiteux ».

« Les détenus qui, dans la semaine, n’auront encouru aucune punition, seront autorisés, les vendredis et dimanches à recevoir une visite de la part de leur famille, exception faite pour les cellulaires », et une seule visite par semaine.

Rapport sur l’hygiène : 

Le docteur Runès, médecin traitant, est chargé de veiller à l’état sanitaire du camp. Dans un rapport du 3 octobre 1944, il souligne un certain nombre d’anomalies. « L’hygiène devient précaire du fait de l’exiguïté des locaux et la lutte contre les parasites extrêmement difficile. Particulièrement la salle 3 est insuffisante pour un séjour prolongé. Elle contient actuellement 72 détenus et en a contenu plus de 80, pour une surface d’environ 100 m². Ce local est directement sous les toits dont les tuiles sont disjointes, il sera très froid dans les jours prochains, j’y ai constaté des affections grippales et pulmonaires »

Pour l’infirmerie, « nous disposons d’une seule salle trop réduite : pour la visite des malades, les pansements, les détenus hospitalisés, femmes et hommes. Il n’est pas possible de chauffer cette pièce par suite de l’absence de cheminée ».

En conclusion, le médecin insiste « sur l’intérêt qu’il y aurait à obtenir des locaux plus nombreux, plus vastes et mieux aérés, et à transporter le camp à la caserne Servan… ».


Auteurs : Jean Sauvageon
Sources : Archives Communales de Romans-sur-Isère 156 S 3. Jeanne Deval, Les Années noires, éditions Deval, 1984. Marcel Armand, Une tranche de pogne, UL CGT, 1979.