Jeanne Barnier en 1941
Légende :
une des résistantes dieulefitoises les plus connues.
Genre : Image
Type : Portrait
Producteur : Inconnu
Source : © Collection Études drômoises Droits réservés
Détails techniques :
Photographie argentique en noir et blanc.
Date document : 1941
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Dieulefit
Analyse média
Jeanne Barnier a 23 ans. Elle est photographiée devant l’école de Dieulefit où exerce sa mère, institutrice en 1941.
Sa mère est née à Crest et son père, agriculteur, vient de Bourdeaux. Ils sont protestants comme une proportion importante des habitants de leurs pays d’origine. La région de Dieulefit où ils vivent est elle aussi une terre du protestantisme drômois.
Auteurs : Jean Sauvageon
Contexte historique
La région de Dieulefit a une forte proportion de protestants. La municipalité est de gauche. Très majoritairement, les protestants s’orientent vers une attitude hostile à l’État français. Plus individuellement, des catholiques de la commune font le même choix. Le 25 février 1941, une réunion de pasteurs protestants de la Drôme a lieu à Dieulefit, au cours de laquelle Philippe Debû-Bridel, pasteur réfugié au Poët-Laval, est intervenu sur "l'Église et la question juive".
Jeanne Barnier, protestante elle-même, a 21 ans lorsque, le 1er avril 1939, elle entre à la mairie de Dieulefit, à la suite d’un concours où se sont présentés une douzaine de candidats. Le maire est Justin Jouve. Le premier travail de la jeune employée a été d’établir les certificats de vie des pensionnés de descendants du coup d’État de 1851. Le secrétaire de mairie est mobilisé le 3 septembre 1939. Jeanne Barnier est alors à la tête des 5 employés municipaux de Dieulefit.
À la mi-septembre 1939, le conseil municipal décide de recevoir une trentaine de femmes de républicains espagnols, internés au camp de Rivesaltes dans les Pyrénées Orientales, et leurs enfants. En mai 1940, la Drôme, département d’accueil, reçoit des réfugiés du Nord et de l’Est, 1 200 d’entre eux sont dirigés vers Dieulefit qui comptait jusqu’alors alors 2 393 habitants (recensement de 1936). Ainsi la population augmente de 50 % en quelques jours. Un mouvement de solidarité spectaculaire se manifeste pour les héberger. La secrétaire de mairie tient toute sa place dans cet accueil.
Jeanne Barnier est informée sur le nazisme, ayant lu Mein Kampf. Elle n’accepte ni l'Armistice, ni l’État français. En 1941, le maire refuse de prêter serment à Vichy, il est destitué de ses fonctions (Il sera désigné comme président du Comité local de Libération du 31 août 1944 au 7 septembre 1944).
« Il faut peu de temps pour que la confiance au Maréchal Pétain s’évanouisse, écrit Jeanne Barnier. Les brimades commencent, insidieuses : chaque fonctionnaire doit déclarer sous serment qu’il n’était ni juif, ni franc-maçon. Tout logeur doit faire inscrire ses locataires. Les contrôles des résidents étrangers se multiplient ; il est obligatoire d’enlever le buste de la République des lieux publics et de le remplacer par le portrait du Maréchal (au choix, en civil ou en militaire). Plus de Marseillaise mais « Maréchal nous voilà ». On ne parle plus de « Liberté-Égalité-Fraternité » mais de « Travail-Famille-Patrie ». On distribue les cartes d’alimentation, les cartes de textile, les bons de chaussure, si convoités et espérés à la campagne et si rares…. »
En février 1941, après dissolution du Conseil municipal élu en 1935, le colonel Pizot est nommé Maire de Dieulefit par arrêté préfectoral [son titre exact est « président de la délégation spéciale »]. Il choisira lui-même ses conseillers.
L’attitude du maire se caractérise par sa rigueur administrative, son obéissance aux lois et règlements qu’il fait appliquer sans indulgence, son respect de la justice et son amour de la France. »
Jeanne Barbier est nommée secrétaire générale de la mairie en novembre 1942, poste qu'elle occupera jusqu'au 8 décembre 1979.
Marguerite Soubeyran, protestante aussi, dirige l’école de Beauvallon où elle accueille des réfugiés, plusieurs d’entre eux sont juifs. En janvier 1941, elle vient à la mairie et elle dit à Jeanne Barnier : « Maintenant, il y a de gros problèmes, j’ai tout un tas de gens qu’il faut planquer. Moi, je vais me débrouiller pour les caser quelque part et, toi, tu vas me faire de fausses cartes d’identité pour ces gens. – J’avais peur. J’étais interloquée. On m’avait appris à dire la vérité. Hésitante, je suis allée voir le pasteur qui m’a dit : - "Ouvre ta bible au hasard et lis". J’ai lu : "Dénoue les liens de la servitude. Renvoie libres les opprimés et fais entrer dans ta maison le malheureux sans asile." J’ai alors établi ma première fausse carte, la première d’une longue série. »
Elle se procure la matrice des cachets et, avec des lettres en caoutchouc et des pincettes, elle fabrique des tampons de n'importe quelle ville. Elle réalise ainsi des centaines de cartes d'identité, de permis de conduire, des cartes d'alimentation et de vêtements. Le prénom est, en général, conservé, ou à peine modifié, ainsi que la lettre initiale du nom au cas où des initiales de la véritable identité soient marquées sur certains objets ou pièces de linge. Les lieux de naissance sont invérifiables, choisis dans des communes aux archives détruites du nord et de l'est de la France, ou en Afrique du Nord... Elle sert ainsi des personnes réfugiées dans la commune, les membres de l'AS (Armée secrète) ou des FTP (Francs-Tireurs et partisans) ou encore de l'organisation de l'abbé Glasberg, l'Amitié chrétienne, à Lyon. "Quelles difficultés pour rendre ces documents de plus en plus crédibles, résistant aux vérifications de plus en plus nombreuses, pour arriver au bout d'un long et dangereux apprentissage au paradoxe de la "vraie fausse carte" ! Il est important de signaler que seul un petit nombre de réfugiés ont vécu ici sous une fausse identité. Mais chacun avait en sa possession un jeu de faux papiers qu'il pouvait utiliser en cas de danger".
« La prudence devenait essentielle. Trop de personnes étaient au courant, certaines parlaient trop et le maire, mi 1943, commençait à avoir de sérieux soupçons »
« En février 1943, mobilisation pour le STO (Service du travail obligatoire) des classes 1940-41-42. Nouveaux problèmes, faux papiers et asile pour ceux qui refusent de partir. En novembre 1943 et janvier 1944, Dieulefit doit héberger des réfugiés du Var : 74 adultes, 43 enfants. Une difficulté importante pour le village déjà surpeuplé. »
Un jour, la Milice est venue confronter l’écriture de Jeanne Barnier avec celle de fausses cartes d’identité, mais celles-ci, par extraordinaire, avaient été confectionnées par sa sœur, Jeanne ayant été malade. Les cartes portaient donc une signature différente.
Le colonel Pizot semble avoir volontairement voulu ignorer l'activité de sa secrétaire de mairie, alors qu'un grand nombre de Dieulefitois connaît son activité. Cette attitude a été précieuse puisque, nommé par Vichy, il est considéré comme garant de la légalité de ce qui se passe dans sa mairie. Elle bénéficie aussi de l'aide du premier adjoint, protestant, le docteur Deransart, qui la prévient chaque fois qu'un danger se fait sentir et lui procure de faux certificats médicaux pour justifier ses absences. L'attitude bienveillante des gendarmes de Dieulefit lui a permis, parfois, de ne pas être accusée. Parmi les actions exemplaires de Jeanne Barnier, on peut citer la jeune Cécilia Rosenbaum, rebaptisée Cécile Roman, qui a vécu deux ans chez elle. Ramenée dans le Midi, à la demande de sa famille, elle est déportée et décède en Allemagne.
Son action résistante ne se borne pas aux faux papiers, elle cache des personnes et les fait passer en Suisse par les filières protestantes. Son action exceptionnelle lui a valu d'être décorée, en 1970, de la croix de chevalier dans l'Ordre national de la Légion d'honneur, le 24 octobre 1980, par son ami Pierre Emmanuel, lui-même réfugié à Dieulefit pendant la guerre. Elle reçoit également, le 4 septembre 1989, la médaille des Justes par l'État d'Israël. Une place de Dieulefit porte son nom.
Auteurs : Jean Sauvageon
Sources : Sandrine Suchon, Résistance et Liberté. Dieulefit 1940-1944, éditions A. Die. Jeanne Barnier, « À Dieulefit, quand tout semblait normal », Études drômoises, n° 3-4, 1998. Jacques Delatour, « Jeanne Barnier, une juste », Études drômoises, n° 27, octobre 2006.