Femme tondue à Arles, le 25 août 1944
Légende :
Accusée d'avoir collaboré avec des occupants, une femme est tondue dans le kiosque à musique d'Arles, 25 août 1944
Genre : Image
Type : Photographie
Source : © CRDA Droits réservés
Détails techniques :
Photographie analogique en noir et blanc.
Date document : 25 août 1944
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Arles
Analyse média
La photographie d'Arles renvoie à une des images indissociables de la Libération : une femme tondue par des hommes en punition de sa collaboration supposée avec l'ennemi. Comme sur de nombreux clichés, les acteurs de la tonte sont rassemblés dans un lieu surélevé. Le kiosque à musique d'Arles tient lieu de scène. Sa balustrade enferme les protagonistes. La place centrale est donnée à la femme tondue et aux tondeurs. On distingue celui qui opère avec un rasoir, et un autre homme qui tient la chevelure de la femme pour que la tête soit rasée à la racine des cheveux, tout en détournant la tête pour s'adresser au groupe de gauche. La femme en train d'être tondue, en légère robe d'été imprimée, est affaissée sur un tabouret. Tondeur et tondue semblent jeunes. Le tondeur porte un brassard au bras droit et un insigne pend à sa poitrine. À gauche, une autre femme, vêtue de sombre est assise. Elle attend, son sac sur les genoux, et semble dialoguer avec un homme à la tenue paramilitaire. On peut penser qu'elle succédera à la jeune femme en train d'être tondue. À l'extrémité droite de la photo, un homme casqué regarde la scène. Un seul civil est présent, en tricot de corps, près d'une table, qui rappelle que l'été 1944 fut aussi un bel été.
La photographie se distingue cependant des représentations habituelles des tontes. Les protagonistes sont photographiés de dos ou de profil. Nulle exhibition du visage de la tondue qui sur certaines photos est maintenue de force par les tondeurs face à l'objectif, nul triomphalisme chez les hommes présents, et surtout une grande absente sur ce cliché : la foule, qui, par ses regards, ses gestes, ses cris, participe à l'action et la légitime. Pourquoi n'est-elle pas présente comme sur les photos de tonte de femmes italiennes à Voiron dans l'Isère qui, dans un cadre semblable, sont cernées par une foule qui se presse contre les balustrades ? Le photographe éprouvait-il une réticence face à l'humiliation publique de ces femmes tondues ?
Sylvie Orsoni
Contexte historique
À la Libération, le rétablissement de l'ordre pose problème. L'Occupation a fait naître des haines, particulièrement difficiles à contenir à la Libération. À Arles, le 25 août 1944, des femmes accusées d'avoir eu des relations avec des occupants sont amenées au kiosque à musique pour y être tondues.
Le 28 août 1944, après jugement rendu par un "tribunal" populaire, quatre individus sont fusillés sur la place de la Croisière.
À partir du 8 septembre 1944, la mise en place d'une cour de justice et d'une chambre civique met un frein à la vindicte populaire.
La libération d'Arles intervient le 22 août 1944. Dans l'après-midi, les FFI s'emparent de la mairie et de l'hôtel Jules-César, qui devient le siège de leur état-major. Les troupes allemandes qui s'étaient repliées échouent le lendemain à reprendre la ville et le 24 août, l'avant-garde américaine suivie des troupes françaises entre dans la ville.
Fabrice Virgili estime au nombre de 20 000 les femmes qui, de 1943 au début de l'année 1946, furent tondues sur l'ensemble du territoire. Les tontes connurent deux pics. Dans les jours qui suivent la libération, et de mai à juillet 1945, lorsque le retour des déportés exacerbe l'indignation de la population à l'égard des collaborateurs et aussi de l'épuration, jugée trop clémente. Dès 1941, des tracts clandestins de la Résistance promettaient un marquage physique des Françaises qui ne gardent pas leurs distances vis-à-vis des occupants. Le sous-préfet d'Aix-en-Provence signale, en avril 1941, que les étudiants de la cité universitaire ont tondu une jeune fille accusée de fréquenter les Allemands de la commission d'armistice. Les tontes prennent de l'ampleur en 1943, au moment où la lutte armée s'intensifie. Il s'agit pour les résistants de montrer que les actes de collaboration ne resteront pas impunis. Les tontes restent cependant une manifestation marginale de la Résistance, mais préfigurent celles de la Libération et les légitiment par avance.
L'Assemblée consultative provisoire avait défini le cadre juridique et juridictionnel de l'épuration à mettre en œuvre au fur et à mesure de la libération du territoire métropolitain. L’ordonnance du 26 août 1944 crée le crime « d'indignité nationale », puni par la dégradation nationale, ainsi que des juridictions d'exception : Haute Cour de justice au niveau national, cours de justice au niveau départemental. L'ordonnance complémentaire du 26 décembre 1944 institue les chambres civiques pour examiner les cas des personnes susceptibles d'encourir une condamnation pour indignité nationale. L'ordonnance du 26 décembre ne retient pas les relations sexuelles avec l'occupant parmi les conduites susceptibles d'entraîner une condamnation pour indignité nationale. À aucun moment, le marquage physique des personnes condamnées n'est envisagé. Cependant, dans les premiers jours de la libération des villes et villages, une violence spécifique touche des femmes supposées avoir collaboré avec les Allemands ou/et dénoncé des résistants. C'est ce qu'Alain Brossat a appelé le « carnaval moche », qui suit un rituel pratiquement identique : les femmes sont rasées, marquées de croix gammées et promenées parfois nues dans les rues en présence d'une foule nombreuse. La mémoire collective attribue ces actes aux « résistants de la vingt-cinquième heure ». Elle établit une distinction entre les résistants qui ont lutté au péril de leur vie et des hommes qui croient ainsi faire acte de patriotisme et faire oublier une attitude souvent attentiste pendant l'Occupation. L'historien Fabrice Virgili a montré que la réalité était plus complexe. Des femmes ont été tondues et exhibées par des FFI dans les premières heures qui suivent la libération de localités ; elles l'ont été dans le huis clos des casernes après leur arrestation, et avant leur jugement. Le fait déclencheur des tontes n'est pas forcément la « collaboration horizontale » ou la dénonciation de résistants, mais la proximité professionnelle avec l'occupant. Les femmes qui passent en jugement doivent répondre de leur vie sexuelle antérieure à la guerre. Toute liberté prise avec la morale traditionnelle induit une culpabilité ultérieure. Il y a donc un lien direct entre les tontes et la reprise en main symbolique des femmes à la Libération.
Les archives gardent de nombreux témoignages des tontes. De grands photographes, comme Robert Capa à Chartres le 18 août 1944 ou Lee Miller à Rennes, et des anonymes ont filmé le processus dans toutes ses variantes (tontes publiques, défilés de femmes, tondues, dénudées et marquées de croix gammées, foules vindicatives ou tenues à distance). Les films provenant des opérateurs des armées américaines donnent aussi à voir le déroulement du processus public. Des cartes postales ont été tirées à partir des photographies, elles n'étaient pas destinées à être vendues mais à être gardées en souvenir, précise Fabrice Virgili. Cependant, dès l'automne 1944, le rejet de cette forme de châtiment se manifeste, ce qui n'empêche pas la reprise des tontes au printemps 1945. On ne peut donc interpréter cette violence sexuée que comme le produit purement conjoncturel des premières journées de la Libération.
Auteurs : Sylvie Orsoni et Marion Jeux
Sources :
Résister en pays d'Arles, 1944-2014, 70e anniversaire de la Libération, Arles, éditions Actes Sud, 2014.
Koukas Nicolas, La Résistance à Arles, 1940-1944, Mémoire de maîtrise, Université d'Avignon et des pays de Vaucluse, dir. Robert Mencherini, 1997.