Délibération de la Délégation spéciale, 07/11/1943 (extrait)
Légende :
La commune de Saint-Uze imposée d’une amende pour sabotage de câble.
Genre : Image
Type : Document officiel
Source : © Archives communales de Saint-Uze Droits réservés
Détails techniques :
Registre des délibérations municipales (extrait), format 39 x 25 cm, page 2.
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Saint-Uze
Analyse média
Un câble a été saboté sur le territoire de la commune. Le commandant de la Police de sûreté à Lyon s’adresse au maire de la commune de Saint-Uze pour lui notifier que la commune écope d’une amende.
Lors de la réunion de la Délégation spéciale de la commune, du 7 novembre 1943, le président (et non le maire) donne connaissance de la lettre qu’il a reçue des « autorités d’occupation ».
« Objet : Imposition d’amende pour sabotage de câble.
Dans votre commune les attentats contre les câbles allemands de l’armée se sont particulièrement multipliés dans ces dernières semaines. Ainsi, par exemple le 5/9 et 27/9/43 le câble reliant St-Vallier au Grand-Serre a été coupé dans le voisinage de votre commune.
En aucun cas jusqu’ici on n’a réussi à trouver les auteurs. Selon l’expérience générale de la vie, il est impensable de penser que dans les territoires à population dense, on ne sache pas à l’intérieur de petites localités qui est l’auteur d’actes de sabotage de ce genre. Tout au moins la population devrait-elle donner des indications sur les auteurs, groupes d’auteurs ou personnes étrangères à la localité qui peuvent être soupçonnés d’être les auteurs. Comme au lieu de cela la population se comporte d’une façon entièrement passive, on peut parler de sabotage passif. Pour cette raison, la population doit être frappée d’une contribution. En conséquence une contribution de 300.000 Frs (Trois Cent Mille Francs) est imposée à votre commune.
En outre pour indiquer avec précision à la population ses devoirs pour empêcher ces actes de sabotage sournois, il est décidé que pour chaque acte de sabotage, trois ressortissants de la Commune seront arrêtés pour cause de résistance passive (Insuffisante Collaboration à la découverte) et seront placés pour la durée de la guerre dans un camp en Allemagne.
On s’en remet à la Commune du soin d’organiser d’elle-même un service de surveillance pour détourner d’elle à l’avenir les suites ci-dessus exposées.
La contribution doit être payée à ma caisse de Lyon au 10 novembre 1943, avec présentation du plan levée de cette contribution. En cas de retard, de sévères mesures de police de sûreté seront prises.
Le présent écrit doit être affiché jusqu’à nouvel ordre sur les colonnes d’affichage et le tableau des communications officielles de la commune.
Signé. Illisible (Oberstrumbaumfuhrer) »
(Colonel de police de sûreté)
Suite à ce courrier, le président le la Délégation spéciale s’en est entretenu le 20 septembre avec le préfet et a écrit à celui-ci. Il affirme n’avoir pas eu connaissance de ces actes de sabotage et qu’aucune enquête n’avait été faite par la police allemande ou française. « Le câble aurait été soi-disant coupé entre le village de Saint-Uze et La Motte-de-Galaure et entre Saint-Uze et St-Vallier […] Nos finances communales étant plus que modestes, nous nous en remettons à vous, Monsieur le Préfet, pour nous faire libérer de cette contribution qui est au-dessus de nos moyens ».
En octobre, le préfet avait ordonné d’organiser la garde du câble, ce qui a été effectif à partir du 29 octobre. Mais « à la suite du peu d’empressement des requis », le président demandait au préfet de confirmer ses ordres, notamment que « les requis seront rémunérés et exemptés de la garde des voies ferrées ».
Devant l’impossibilité de la commune de s’acquitter de l’amende, le préfet, le 24 novembre, « en raison du très court délai imparti par les autorités allemandes » ordonne « l’avance sur les fonds de la caisse départementale », somme versée le même jour au trésorier de l’État-major principal de liaison à Lyon ». Le préfet s’adresse « à Mr le chef du gouvernement, ministre secrétaire d’État à l’Intérieur d’en envisager le remboursement par l\'État ».
Auteurs : Jean Sauvageon
Contexte historique
Ce texte est intéressant à plusieurs titres :
La commune de Saint-Uze avait élu une municipalité à majorité communiste avant la guerre qui a été destituée le 25 janvier 1940 et remplacée par une délégation spéciale. Ce n’est donc pas une municipalité à priori hostile au gouvernement de Vichy.
On y apprend qu’un câble – téléphonique vraisemblablement – reliait Saint-Vallier-sur-Rhône au Grand-Serre, deux chefs-lieux de canton distants de 27 km. Ce câble a été installé par l’armée allemande et remontait la vallée de la Galaure. Quelle en était l’utilité ? Si Saint-Vallier, situé sur l’axe de la vallée du Rhône pouvait avoir une certaine importance stratégique, ce n’était pas le cas du Grand-Serre, commune située dans les collines du nord de la Drôme. Était-ce parce que les Allemands n’avaient pas confiance dans le personnel des PTT ? En était-il ainsi sur tout le territoire drômois ?
Les attentats contre ce câble se sont « multipliés », ce qui montre que la Résistance était active, en 1943, dans cette région.
Les maires (ou présidents de Délégations Spéciales) doivent porter la responsabilité de l’intégrité du câble et sont chargés d’en assurer la surveillance.
L’amende est exorbitante, 300 000 francs, alors que le budget de la commune présenté à la séance du 26 décembre 1943, quelques semaines après, est de 280 119 francs en recettes et 279 901 francs en dépenses.
L’appel à la délation ne semble pas avoir porté ses fruits dans une population, à forte proportion ouvrière, majoritairement de gauche, accusée de faire ainsi du « sabotage passif » à qui le colonel de police de sûreté rappelle ses devoirs de collaboration. De plus, il menace que pour chaque acte de sabotage, trois otages seront envoyés en déportation.
Auteurs : Jean Sauvageon
Sources : Archives communales de Saint-Uze