Le passage des « Mongols » à Crest, par le docteur Thiers
Légende :
Extrait du journal de docteur Louis Thiers, entre le 20 juillet et le début août 1944, concernant le passage des « Mongols » à Crest
Genre : Image
Type : Témoignage écrit
Source : © Archives familiales du docteur Albert Thiers, copie archives Albert Fié Droits réservés
Détails techniques :
Photocopies de pages d’un bloc de papier à lettres ligné. Texte manuscrit.
Date document : Du 20 juillet au 4 août 1944
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Crest
Analyse média
Le docteur Albert Thiers, chirurgien à l’hôpital de Crest mort en 1989, a tenu un journal de 1942 à août 1945, sur un bloc de papier. ll ne s’agit ici que de quelques passages, extraits de ce journal, concernant le passage des « Mongols » à Crest du 20 juillet au 4 août 1944.
Le docteur Albert Thiers était un homme équilibré, maître de lui, courageux. L’inquiétude qu’on devine dans son journal à propos du passage des « Mongols » à Crest montre bien la terreur que ces hommes inspiraient aux populations.
Le matin du 21 juillet, le capitaine Pons visite les hommes de sa compagnie, installés dans la ferme d’Estrieux : « Dans les groupes, dans les chambrées, toutes les conversations que je surpris se rapportaient aux Mongols. Mes gars n’avaient que cela en tête. Je songeais à Nys, à Fié, les jeunes mariés et à tous les autres. Je me représentais ces sinistres individus au teint de citron pressé, nattes dans le dos ou cadenettes sur les oreilles garnies de boucles, pénétrant dans les maisons, pillant, violant, tuant… Troupes de représailles, telle était leur mission, car ils ne se battaient pas… »
Transcription du texte de ces extraits :
« Jeudi 20 juillet :
… Je passe par le jardin pour gagner l’hôpital, je vois alors dévaler des massifs 5 à 6 Tartares ou Mongols à l’air particulièrement sauvage et féroce… carte d’identité, ils ne m’arrêtent pas. Sur le terre-plein de l’hôpital, nouveau détachement, ils arrivent à comprendre que je suis médecin, que c’est un hôpital et me laissent passer…
… A la maison, c’est la grande panique, les Mongols ont passé par là, volé 4 000 fr à la Réfugiée de Toulon. L’un d’eux s’est installé près du téléphone et ne paraît pas avoir l’intention d’abandonner son poste. Il pille d’ici, de là, dans les tiroirs, les placards. J’ai hâte d’aller voir chez moi ce qui se passe…
… De loin je me rassure en voyant la maison complètement close, aucun soldat dans le voisinage. J’ouvre. Odette me dit qu’on a sonné, frappé. Elle n’a pas répondu, on n’a pas insisté… J’en suis particulièrement soulagé car j’apprends qu’on a pillé chez Deloche, violé chez Grangeon…
Vendredi 21 juillet :
…Le curé Eynard et le Pasteur Folx parcourent les rues réconfortant et consolant leurs ouailles. Ils vont personnellement protester contre les viols de femmes, de filles, qui depuis hier se multiplient…
Lundi 31 juillet :
[Le docteur se rend à Suze pour chercher une femme enceinte] … Tout le long de la route on croise des troupeaux que des soldats à tête de sauvage emmènent, bœufs, vaches, moutons. À Suze, 4 fermes ont été brûlées…
Mercredi 2 août :
Vers 5 heures arrivent sur le champ de Foire, une caravane de cavaliers importante menée par de vrais Mongols. Le soir je couche à la maison étant donné cet inquiétant voisinage…
Vendredi 4 août :
Le défilé des voitures pillées continue. Il en passe de véritables trains, la plupart roulent sur les jantes ou ont les 4 pneus crevés. On voit même passer des couvertures et des matelas dans des camions… »
Auteurs : Robert Serre
Contexte historique
Selon Pons, 120 femmes de Crest furent violées par les « Mongols » : « gosses, femmes enceintes, jeunes, vieilles, tout leur fut bon… Parfois, l’opération se passait sous les yeux du mari, tenu en respect par les « copains », puis on changeait… D’autres fois cela avait lieu sous les yeux du père ou de la mère ou des deux. Pas joli, joli à lire… cependant c’est, hélas ! la vérité ».
Les Allemands avaient incorporé de force dans la Wehrmacht des unités appelées « Ost-bataillons », recrutées parmi d’anciens prisonniers de l’Armée Rouge. On y trouvait des Russes, des Ukrainiens, des Biélorusses, des Géorgiens, des Arméniens, et aussi des non slaves, comme des Caucasiens et des Asiatiques. Ce sont ces derniers que les populations nomment « Mongols » ou « Cosaques » et qui, selon les ordres de leurs supérieurs allemands, se sont livrés à des exactions féroces. Ces « hordes » ont également sévi à Saint-Donat, le 15 juin 1944.
En France, les Allemands ont introduit 65 bataillons de prisonniers soviétiques, certains ont déserté et sont passés au Maquis.
Auteurs : Robert Serre
Sources : Paul Pons, De la Résistance à la Libération, Valence 1962.