François Cuzin

Légende :

François Cuzin, Étienne, MUR-MLN, AS, service de renseignements, membre du CDL des Basses-Alpes, sans date

Genre : Image

Type : Photographie

Producteur : Jean Garcin

Source :

Détails techniques :

Scan de photographie analogique en noir et blanc, tirée de Jean Garcin. Voir aussi l'album.

Date document : Sans date

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Var - Signes

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Contexte historique

François Louis Cuzin naquit en Isère le 15 août 1914 au hameau de Montcorbet, à Dolomieu, canton de La Tour-du-Pin, dans la maison de son oncle, Élie Cartan, mathématicien reconnu. Mais son père, « employé de soieries », prit la direction des Tissages Laffont et la famille s’installa à Lyon (Rhône). Bénéficiant d’un entourage familial très cultivé, François Cuzin eut une brillante scolarité, au lycée Ampère de Lyon d’abord, puis au lycée Lakanal de Sceaux. Il y rencontra, en khâgne (classe préparatoire au concours d’entrée à l’École normale supérieure, ENS), des amis qui allaient compter dans sa vie, comme Jean-Toussaint Desanti. Celui-ci se souvint, dans ses Mémoires, de François Cuzin comme d’un militant socialiste engagé et très antifasciste, qui n’hésita pas à affronter physiquement, en 1935, les Camelots du Roi. Son épouse, Dominique Desanti, gardait en mémoire la rigueur intellectuelle de François Cuzin, grand espoir de la philosophie française et marxiste. Mais la tuberculose empêcha le jeune homme d’intégrer immédiatement l’ENS, où il fut reçu premier en 1936 mais qu’il ne rejoignit qu’après plusieurs mois de préventorium dans le Midi.

Favorable au Front populaire, mais très inquiet devant l’évolution de la situation en Espagne, François Cuzin adhéra à l’union des étudiants communistes. En désaccord avec le pacte germano-soviétique, il s’en éloigna en 1939. Lors de la déclaration de guerre, en dépit de sa volonté de servir le pays, il ne fut pas mobilisé, du fait de sa maladie. Après l’instauration de l’État français, il participa à la manifestation étudiante du 11 novembre 1940 et, avec d’autres normaliens, dont Jean-Toussaint Desanti, confectionna des tracts hostiles au nouveau régime. Ce petit groupe qui s’intitulait « Sous la botte » rejoignit, en 1941, celui de Jean-Paul Sartre, « Socialisme et Liberté ». Mais, sujet à des rechutes de sa maladie, François Cuzin se replia pour quelque temps à Toulon, où son père avait acheté, en 1933, une entreprise de vulcanisation et où sa famille s’était installée. Il y adhéra au mouvement Franc-Tireur et entra en contact avec le comité national des intellectuels de la zone Sud.

Lauréat à l’agrégation en 1943, il fut nommé à la rentrée au lycée Gassendi à Digne. Chef départemental de Franc-Tireur dans les Basses-Alpes, il devint, sous le pseudonyme d’Étienne, membre de la direction départementale des Mouvements unis de Résistance (MUR) et membre de la direction de l’Armée secrète (AS). Il fut en charge, plus particulièrement, du renseignement. Avec Louis Martin-Bret et Jean Piquemal, il représenta les MUR au Comité départemental de Libération (CDL) des Basses-Alpes. L’implication et la détermination des militants communistes du département l’amenèrent à adhérer au PCF.

François Cuzin participa à la réunion du CDL des Basses-Alpes qui se tint à Oraison le samedi 15 juillet 1944 avec, entre autres, Marcel André, Maurice Favier, Émile Latil, Louis Martin-Bret et Jean Piquemal. Certains d’entre eux passèrent la nuit sur place. François Cuzin revint le lendemain : la réunion du CDL continuait, dans une salle au-dessus du café de France, géré par Léon Gaubert.

Mais les Allemands, informés de cette rencontre, étaient aussi au rendez-vous. En 1945, lors de l’instruction de son procès, l’homme clé du SIPO-SD (la Gestapo) à Marseille, Ernst Dunker-Delage, déclara en avoir appris la tenue grâce aux papiers saisis sur un résistant – Georges Cisson en l’occurrence, arrêté à Marseille le 12 juillet - et déchiffrés. Le SD de Marseille fut donc à l’origine de l’intervention à laquelle il participa et qui fut soigneusement préparée. Les occupants utilisèrent, pour arriver à leurs fins, une unité de Brandebourgeois. Déguisés en maquisards, comme ils avaient coutume de le faire, ils simulèrent dans la matinée du 16 juillet des combats avec des soldats allemands – arrivés dans la localité quelques jours auparavant - et firent accroire à la population une libération du village. L’objectif était, évidemment, d’identifier le maximum de dirigeants de la Résistance. Dans l’après-midi, mettant fin à cette mauvaise comédie, ils arrêtèrent plusieurs membres du CDL et d’autres résistants.

Comme ses camarades du comité départemental de Libération, François Cuzin fut transféré à Marseille, puis fusillé à Signes le 18 juillet et enterré, de manière sommaire, avec 28 autres victimes dans la « première fosse ». Sa dépouille, transportée le 17 septembre à la morgue du cimetière Saint-Pierre à Marseille (cercueil 717), fut parmi les 32 premières identifiées. Après les obsèques nationales célébrées pour l’ensemble des martyrs de Signes au cimetière Saint-Pierre, le 21 septembre 1944, il fut définitivement inhumé dans le tombeau familial à Dolomieu en octobre 1946.

François Cuzin fut reconnu Mort pour la France. Un hommage public lui fut rendu le 8 novembre 1944 à Digne : une plaque commémorative en son nom fut inaugurée au lycée Gassendi, en présence des autorités et de ses élèves, et l’avenue-du-Lycée fut baptisée à son nom. Il figure aussi sur une stèle, avec les dix autres résistants arrêtés le 16 juillet, à la sortie nord d’Oraison et, à Manosque, sur le monument « Aux martyrs de la Résistance dans les Basses-Alpes », dans la longue liste des victimes de la répression classées par villes et villages (à l’emplacement dédié aux résistants de Digne) et sur le monument aux morts de Dolomieu. Une avenue porte également son nom à Toulon, tout comme, depuis 1971, une salle de la Sorbonne. À Paris, il est inscrit sur la liste des écrivains morts pour la France au Panthéon.

François Cuzin donna à la revue lyonnaise Confluences en 1943-1944, des comptes rendus d’ouvrages. Il fit ainsi, en décembre 1943, la critique de l’ouvrage de Georges Bataille, L’Expérience intérieure. Les premières lignes de cet article délivraient un message profondément humaniste : « L’action, écrivait-il, se présente d’abord comme la possibilité infiniment ouverte devant l’Homme de reconstruire le monde autour de lui, d’achever la nature, en lui faisant porter un sens humain : et, par là, simultanément, d’accomplir le monde dans l’Homme et d’élargir l’Homme ». En une période de régression, ces quelques mots, sans nul doute, fondaient une espérance en des temps meilleurs et un engagement qui guida le philosophe jusqu’à sa fin tragique.

[voir l'Album]


Auteur : Robert Mencherini

Sources : Actes de décès et de naissance ; DAVCC Caen, 27 P 244, « Bouches-du-Rhône, charnier de Signes, Procès-verbaux d’enquête, exhumations » ; Vérité, organe du mouvement de libération nationale, 1944-1945, en particulier, les numéros 1 et 42 ; La Liberté des Basses-Alpes, organe du CDL des Basses-Alpes, n°5, 30 septembre 1944 ; presse régionale, en particulier du 9 novembre 1944 ; revue Confluences, en particulier, n°27, décembre 1943, pp. 746-753 ; Dominique Desanti, Ce que le siècle m’a dit. Mémoires, Paris, Plon, 1997, p. 57, p. 115 et sq. ; Dominique Desanti, Jean-Toussaint Desanti, avec Roger-Pol Droit, La Liberté nous aime encore, Paris, Odile Jacob, 2001, p. 23, p. 53 et sq., p. 65 et sq. ; Jean Garcin, De l’armistice à la Libération dans les Alpes-de-Haute-Provence, 17 juin 1940-20 août 1944, Digne, Imprimerie Vial, 1983, rééd. 1990, p. 351 et sq. ; Jean Vial, Un de l’AS bas-alpine. Souvenirs d’un résistant, Marseille, Chez l’auteur, imprimerie Villard, 1947, 3e rééd., Imprimerie Villard, 1990, p. 214-218 ; Jean-Christophe Labadie, La répression allemande. Basses-Alpes 1943-1944, Digne, Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence, 2014, pp. 121-125 et recueil documentaire, pp. 20-21 ; Jean-Marie Guillon, notice in Maitron-en-ligne ; Simone et Jean-Paul Chiny, La Résistance et l’occupation nazie à Marseille, Marseille, comité de l’ANACR, 2014 ; Commission départementale de l’information historique pour la paix, Le Mémorial de la Résistance et des combats de la Seconde Guerre mondiale dans les Basses-Alpes, Digne, 1992 ; Hélène Vésian, Claude Gouron, Les chemins de la liberté, sur les pas des résistants de Haute-Provence, ADRI/AMRID, 2004.