Les arrestations des responsables MUR-MLN à Marseille, juillet 1944
Légende :
« Rapport final sur l'identification d'un groupe de Résistance de Marseille par le Kommandeur de Lyon dans l'affaire "industriel". L'affaire Antoine » (traduction, extrait)
Genre : Image
Type : Rapport
Source : © Archives nationales 72 AJ 104, AIII 7 bis Droits réservés
Détails techniques :
Document dactylographié de 5 pages correspondant à la "première liste", soit un extrait du rapport (voir l'album).
Date document : 11 août 1944
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
Le rapport Antoine, comme d’autres rapports antérieurs intitulés Flora et Catilina, a été retrouvé à la Libération, parmi les archives que le SIPO-SD (la Gestapo) de Marseille n’avait pas eu le temps de détruire en quittant la ville. Écrit par Ernst Dunker-Delage, homme-clé du SIPO-SD, il témoigne du travail de fourmi très efficace effectué par les services allemands de Marseille, dans leur lutte contre la Résistance. Son intitulé est lié au rôle joué par Antoine Tortora, très dévoué agent français de la Gestapo, sous le matricule ME 101, tué à Aix-en-Provence par la Résistance le 17 juillet 1944.
Le rapport comprend, d’abord, une première liste de trente-six noms de personnes arrêtées ou tuées par les services allemands. Le dernier (n° 36) est celui d’Érick, le résistant passé au service de la Gestapo, de son vrai nom Maurice Seignon de Possel-Deydier (Noël dans la Résistance), dont la trahison a permis le démantèlement des maquis de juin 1944 et l’arrestation de nombreux résistants. Une deuxième liste regroupe les soixante-quinze noms de résistants que l’enquête a permis d’identifier. Les adresses de six « boîtes aux lettres », à Marseille, forment une troisième liste. Une deuxième partie fait le point, de manière très précise, sur « l’organisation de la Résistance de la deuxième région » et évoque les divers services du Mouvement de libération nationale (MLN), Service de renseignement (SR), Noyautage des administrations publiques (NAP), Service social, ainsi que le Service atterrissage-parachutage (SAP) ou le Service Maquis.
Seule la première liste est reproduite ici. Elle comporte quelques noms de résistants tombés dans des affrontements, comme Marcel Rouget - fausse identité de Roger Olive, Hache, instructeur parachuté - (n° 28). D’autres personnes figurant dans ce rapport sont des agents également parachutés ou débarqués, en provenance de Corse ou d’Alger, dont les membres de la Mission interalliée Michel. C’est le cas de Henry Chanay, « Lesueur », alias Lancesseur, « Muthular », Pelletier et Paoli (n° 15 et 16, 31, 32 et 33). Nous les évoquons dans la notice suivante qui traite de la Mission interalliée.
Cette première liste concerne, pour l’essentiel, « les organisations de Résistance MLN (Mouvement de libération Nationale) de la région » et les fusillés de Signes qui appartenaient à ce mouvement. Ce sont eux que nous évoquons ci-dessous, ainsi que certains membres de l’ORA et des FFI, pris dans la même nasse répressive. L’analyse suit l’ordre chronologique de leurs arrestations, en indiquant le numéro qui leur est attribué dans le rapport (qui ne correspond pas nécessairement à la chronologie).
[VOIR L'ALBUM]
Robert Mencherini
Contexte historique
Le 11 juillet 1944, Charles Boyer, César, avocat et conseiller général du canton d’Aups, dans le Var, mais propriétaire, dans la cité phocéenne, d’un magasin de tapis et objets d’art marocains, rue-de-la-Palud, est arrêté, ainsi que son épouse. Les services allemands de Marseille ont été mis sur leur piste par ceux de Lyon. Radical-socialiste, franc-maçon, Charles Boyer est membre du réseau de renseignement et d’action Brutus, qui recrute surtout dans les rangs socialistes. Charles Boyer et son épouse occupent les numéros 1 et 2 du rapport.
Le même jour, dans la soirée, les agents français du SIPO-SD, sont à la recherche de Lucien Barthélémy, Berthon (n°5).Celui-ci est membre du réseau Brutus et du mouvement La France au combat, proches du Parti socialiste. En planque chez ses parents, les agents de la Gestapo arrêtent Georges, l’un de ses frères (n°4), et abattent leur cadet, Louis (n°3). Finalement, Lucien est capturé, ainsi que son père, dans la boutique de Charles Boyer, boîte aux lettres du réseau transformée en souricière.
Georges Cisson, Dubosc (n°6), chef régional du Noyautage des administrations publiques (NAP), venu de Draguignan, et Éliane Eldin, Charlotte (n°10), courrier de l’organisation, tombent également dans le piège. Leur chute et les documents saisis entraînent les arrestations, le lendemain ou le surlendemain, de René Mariani, Gaillard (n°7), de l’Organisation universitaire (OU) des Mouvements unis de Résistance (MUR –MLN), et d’André Aune, Berthier (n°9), adjoint du chef régional NAP, dans l’appartement du premier, et, place-Castellane, de Jules Moulet, Bernard (n°11). Jean Lestrade, Chac (n°8), est également interpellé au domicile de Mariani. Au matin du 14 juillet, cours-Joseph-Thierry, c’est le tour de Jean Libert, Jourdan, chef courrier (n°13). Dans la nuit, Ernst Dunker-Delage effectue une descente au domicile de Paul Codaccioni, Kodak (n° 21), responsable du NAP PTT.
Le 15 juillet, à l’angle du ruisseau du Jarret et du boulevard-Jeanne-d’Arc, alors qu’il s’avance vers Jourdan, utilisé comme appât, le commandant Renaud Martinie, Lespiau (n°17), est mis en joue et menotté par des agents de la Gestapo, comme son adjoint Jean-Pierre Dubois, alias Rubens, arrivé quelques minutes plus tard (n°19). Le même jour, Maurice Béchade (n°20), membre de l’Organisation de Résistance de l’armée (ORA) et de l’Organisation universitaire, est arrêté. Son arrestation est peut-être liée à celle, le 17 juillet, de Francis Ninck, également de l’ORA et avec lequel il travaille.
Le 16 juillet, vers 10 heures, la Gestapo interpelle Georges Saint-Martin, Bourrely (n° 22), secrétaire de Robert Rossi, chef régional des Forces françaises de l’intérieur (FFI) : il vient de déposer un courrier dans la boîte aux lettres du couloir du 12-quai-de-Rive-Neuve, où habite Dubois. Le même jour, à l’heure du déjeuner, Robert Rossi, Levallois (n°23), est arrêté, chez ses parents, 18-traverse-Sainte-Rose. Le 17 juillet, Guy Fabre, Berger (n°25), adjoint du dirigeant du MLN Albert Chabanon, est arrêté cours-Pierre-Puget.
Ainsi, en une semaine, le chef régional des FFI et certains responsables importants de la Résistance sont tombés aux mains du SIPO-SD. Au cours des jours qui suivent, d’autres les rejoignent dans les geôles de la Gestapo ou à la prison des Baumettes.
Cette liste comprend aussi des noms d’une équipe spécialisée dans le sabotage fer que le SIPO-SD suit à la trace depuis l’arrestation de Bourgeois, alias Muriel (n° 29), arrêté à Marseille, aux Quatre-chemins, le 19 juillet. Celui-ci est en contact avec Pion (n° 30) qualifié de « chef du sabotage fer pour toute la France », arrêté « vers le 18 juillet », et avec Georges Dusser, domicilié à Aix-en-Provence, dont Dunker ne parvient pas à s’emparer, à la différence de Paul Kohler (n° 34), du NAP SNCF, arrêté après le 24 juillet. Bourgeois, Muriel, se suicide le 24 juillet en se jetant dans la rue depuis le 7e étage du siège de la Gestapo.
Il est indiqué, pour certains de ces noms, « a été fusillé le 18/7/44 ». Pour d’autres, la mention se réduit à « A été (ou fut)… le (18)… ». Dans les deux cas, ces quelques mots indiquent, de manière quasi certaine, que les résistants ont été fusillés à Signes. Cette première liste comporte six noms de femmes. Aucune n’a été exécutée à Signes. Elles ont subi toutefois incarcération et tortures, ont été « remise(s) à la police française », ou « remise(s) à la section juive », ou encore « envoyée(s) travailler en Allemagne », sans que l’on ne connaisse toujours leur destin ultérieur.
[VOIR L'ALBUM]
Auteur : Robert Mencherini
Sources : DAVCC Caen, dossiers de Mort pour la France, archives départementales des Bouches-du-Rhône, 58 W 20, interrogatoire de Dunker par le principal chef de la BST, à propos du rapport Antoine, 9 juillet 1945 ; Vérité, organe du mouvement de libération nationale, 1944-1945, en particulier les numéros 1 et 42 ; presse quotidienne régionale, septembre 1944 ; Madeleine Baudoin, Témoins de la Résistance en R2, intérêt du témoignage en histoire contemporaine, thèse de doctorat d’État, Université de Provence, 1977 ; Madeleine Baudoin, Histoire des groupes francs (MUR) des Bouches-du-Rhône, de septembre 1943 à la Libération, Paris, PUF, 1962 ; Germaine Madon-Semonin, Les années d’ombre, 1940-1944. Les Jeunes dans la Résistance à Marseille, ronéotypé, sd., 19 p. ; Jean Fabre, Les soldats de l’ombre, Marseille, chez l’auteur, 1998, ronéotypé, 76 p. ; Simone et Jean-Paul Chiny, La Résistance et l’occupation nazie à Marseille, Marseille, comité de l’ANACR, 2014 ; Robert Mencherini, Midi rouge, Ombres et lumières. Histoire politique et sociale de Marseille et des Bouches-du-Rhône, 1930 - 1950, tome 4, La Libération et les années tricolores, Paris, Syllepse, 2014, p. 47 et pp. 58-60.
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