La Marseillaise annonce la libération de Marseille, 24 août 1944

Légende :

La Marseillaise, quotidien du Front national de Libération, annonce la libération de Marseille, 24 août 1944 - 2e page

Genre : Image

Type : Journal

Source : © Collection Charles Jansana Droits réservés

Détails techniques :

Document imprimé sur papier journal.

Date document : 24 août 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

La Marseillaise du 24 août 1944 porte dans son bandeau le numéro 13 et la mention « deuxième année » afin de montrer la continuité avec les numéros parus clandestinement à partir du 1er décembre 1943. Le bandeau précise également que le journal est « le quotidien d'information du Front national ». À la fin mai 1941, le PCF lance un appel à « la formation d'un Front national de l'indépendance de la France ». Le Front national se développe dans les Bouches-du-Rhône à partir de 1942-1943. Il prend finalement le nom de Front national de Libération. La sensibilité communiste est fortement représentée parmi ses dirigeants départementaux et ses militants.

Le numéro du 24 août est le premier numéro grand format imprimé sur les presses du Petit Marseillais dont la couleur et la typographie sont conservées. Les numéros 11 et 12 des 22 et 23 août faisaient déjà de La Marseillaise un quotidien, mais ils étaient ronéotypés et distribués gratuitement. Le numéro 13 est le premier à porter un prix, 1,50 fr., signe d'une normalisation de la parution.

La manchette soulignée par un bandeau tricolore annonce en gros titre la libération de Marseille. La tribune met en valeur l'action des troupes françaises et celle des résistants, FFI (Forces françaises de l'Intérieur), FTPF (Francs-Tireurs et Partisans français), MP (Milices patriotiques), en insistant tout particulièrement sur le rôle des FTPF. Les FTPF sont créés par le Parti communiste au printemps 1942. Les milices patriotiques, également structurées par le PCF, apparaissent à la veille du débarquement de Provence. Une photo du général de Gaulle fait symboliquement le lien entre FFL (Forces françaises libres), dirigées par le général de Lattre de Tassigny, et FFI, entre la Résistance extérieure et la Résistance intérieure. La libération de Paris est attribuée aux FFI, sans mention des blindés de Leclerc. Cette volonté de minorer le rôle des troupes alliées et des FFL se retrouve dans toute la une. Les troupes américaines sont simplement mentionnées dans le cours de l'article qui présente la situation militaire à l'Ouest. En revanche, l'offensive de l'armée soviétique est mise en valeur par la typographie ainsi que par un bilan chiffré visant à impressionner le lecteur.

De la même façon, le pied de l'article revient sur les combats de Marseille en exaltant le combat des FFI et de la population marseillaise en général : « L'entrée des troupes alliées dans Marseille conquise par les FFI... La ville en armes. » Les portraits de Roosevelt, Staline et Churchill, sans lien avec les articles, rappellent implicitement l'alliance des nations mobilisées contre le Reich.

Dans l'éditorial, la rédaction présente avec lyrisme l'historique du journal, d'abord clandestin et tiré à 5 000 exemplaires dans des conditions très précaires, puis sortant enfin au grand jour le 24 août, mais répondant toujours à un besoin profond de la population : « Elle [La Marseillaise] fut tout de suite comprise et aimée... on la réclamait sous la mitraille, elle était littéralement enlevée des mains de ceux qui la diffusaient ». Les rédacteurs sont définis comme des patriotes sans qu'aucune personnalité ne soit mise en avant. Il s'agit de montrer la communion totale entre ceux qui prenaient tous les risques en faisant le journal et ceux qui le lisaient. Tous incarnaient le peuple français.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Les combats pour la libération de Marseille commencent le 19 août 1944 lorsque des groupes italien, arménien et juif des FTP-MOI et de FFI interviennent dans les stations de tramways et la gare Saint-Charles pour faire respecter le mot d'ordre de grève générale insurrectionnelle et bloquer les communications. Des groupes des Milices patriotiques commencent à harceler les troupes allemandes dans les secteurs de la Belle-de-Mai, de Saint-Mauront ou de Bois-Luzy. Les combats s'intensifient dans les jours suivants et sont marqués, le 21, par la prise de la préfecture, où le comité départemental de Libération s'installe, présidé par Francis Leenhardt. Le 22 août, le général de Monsabert obtient du général de Lattre, très réticent, l'autorisation de lancer deux bataillons vers Marseille. Le soir  même, les tirailleurs algériens du 7e RTA (régiment de tirailleurs algériens) atteignent les faubourgs de Marseille avant de pénétrer le lendemain dans la ville. Le 23 août, les troupes françaises sont sur la Canebière. Le général de Monsabert essaie d'obtenir en vain du général Schaefer la reddition des troupes allemandes. La journée du 24 août est marquée par l'installation à la préfecture de Raymond Aubrac, commissaire régional de la République, nommé par le gouvernement provisoire. La prise de la préfecture et l'installation du commissaire régional de la République marquent la victoire politique de la France libre. Cependant, les combats meurtriers se poursuivent, en particulier autour de Notre-Dame-de-la-Garde. Il faut attendre le 29 août pour que les dernières garnisons allemandes des îles Pomègues et Ratonneau se rendent. La résistante Mala Kriegel est tuée le 27 août alors qu'elle effectue une tournée de distribution du quotidien. En présentant la libération de la ville comme acquise dès le 24 septembre, la rédaction du journal veut persuader l'opinion qu'aucun retour en arrière n'est possible.

Le passage du Petit Marseillais à La Marseillaise s'est effectué le 23 août 1944. Le Petit Marseillais, propriété de Jean Gaillard-Bourrageas et dirigé par Albert Lejeune, atteignait en 1939 un tirage quotidien de 150 000 exemplaires. C'était avec Le Petit Provençal l'un des quotidiens les plus lus de la région. Pendant l'Occupation, il devint un fervent soutien du gouvernement de Vichy et de la politique de collaboration. Il incarnait pour les résistants la presse qu'ils voulaient abolir, presse d'avant-guerre, marquée par l'affairisme et presse des années d'occupation qui a prêté allégeance au régime de Vichy.

Le 23 août au matin, un groupe de FTPF et de militants appuyés par les membres des milices patriotiques du quai-de-Rive-Neuve investissent les locaux du Petit Marseillais situé quai-du-Vieux-Port (aujourd'hui cours-d'Estienne-d'Orves). Le Front national avait décidé, dès le 20 août, de faire paraître La Marseillaise quotidiennement. Jusqu'au 23 août, la parution se fait avec les moyens techniques et humains limités de la clandestinité. La prise de contrôle du Petit Marseillais permet de sortir le 24 un journal grand format, en recto-verso. La couleur bleue du titre est reprise du quotidien déchu, ce qui attirera pendant quelques temps les lecteurs du Petit Marseillais, avant qu'ils ne réalisent que l'orientation politique du quotidien avait profondément changé. En effet, les militants qui ont investi le siège du Petit Marseillais sont, dans leur majorité, proches du Parti communiste. Ils décident de publier également Rouge-Midi, quotidien du parti. Rosette, l'épouse d'André Remacle qui dirige La Marseillaise, écrit dans la hâte et l'enthousiasme des articles pour les premiers numéros des deux quotidiens. Les articles sont rédigés par des militants du Front national comme Renée et Georges Rougeot et par des journalistes professionnels comme Pierre-Marie Train, Mario Cresp. Le résistant Louis Obré, imprimeur au Petit Marseillais, avait rassemblé des ouvriers du livre pour imprimer La Marseillaise clandestine, il les met au service du journal légal.

En se présentant comme « le premier journal quotidien de Marseille », La Marseillaise du 24 août 1944 veut arracher au Provençal, paru le 23 dans des conditions très proches, la primeur de la presse marseillaise de la Résistance. La concurrence entre mouvements de résistance est sous-jacente. La Marseillaise tire dans un premier temps à 200 000 exemplaires, puis, une fois les anciens lecteurs du Petit Marseillais partis vers des quotidiens plus conformes à leurs idées, à 180 000 exemplaires en juillet 1945.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 4. Paris, Syllepse, 2014.

1944, La Libération, exposition du Musée d'Histoire de Marseille - 2014.

Sébastien Madau, 24 août 1944, le jour où La Marseillaise est sortie de l'ombre, La Marseillaise, 24 août 2014.