Retranscription d'une conversation entre Femmes de France et Femmes du Front national, janvier 1945

Légende :

Note confidentielle des Renseignements généraux transcrivant une conversation entre Femmes de France et Femmes du Front national, et destinée au commissariat régional de la République, 19 janvier 1945

Genre : Image

Type : Note confidentielle

Source : © AD des Bouches-du-Rhône - 149 W 118 Droits réservés

Détails techniques :

Document dactylographié d'une page.

Date document : 19 janvier 1945

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Le Comité des Femmes de France est l'émanation d'organisations féminines créées par le Parti communiste. En 1936, le mouvement des Jeunesses communistes créée l'Union des jeunes filles de France, dirigée par Danielle Casanova. L'organisation est dissoute après le Pacte germano-soviétique, mais les militantes de l'UJFF poursuivent clandestinement l'action, en particulier pour aider les familles d'internés politiques. Dès octobre 1940, Danielle Casanova réactive les Comités de Femmes contre la guerre et le fascisme, créés en 1934. Ils deviennent les comités féminins de résistance qui publient clandestinement dans la région Femmes de Provence et Femmes françaises. À la Libération, ces comités sortent de la clandestinité. Le comité local des Femmes de France s'installe sur la Canebière. 

À la fin mai 1941, le PCF lance un appel à « la formation d'un Front national de l'indépendance de la France ». Le Front national se développe dans les Bouches-du-Rhône à partir de 1942-1943. Il recrute au-delà du Parti communiste, même si les militants du PCF sont prépondérants. Le dialogue montre la rivalité entre deux organisations très largement dominées par le Parti communiste et comme le souligne le représentant du Front national, « Elles poursuivent les mêmes buts et travaillent pour la même cause. »

L'indépendance limitée de ces organisations par rapport à leur créateur apparaît dans le ton très possessif de l'interlocuteur du Front national : « Il faudrait dire à vos « femmes de France » qu'elles ne cherchent pas noise à nos femmes du Front national. »

Le représentant du Front national ne se fait pas d'illusion sur la possibilité d'écoute et entend poursuivre par des canaux plus sûrs la conversation. Il se montre cependant très insistant pour que le calme règne à Vauban entre organisations féminines.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Dans l'entre-deux-guerres, bien que les femmes soient privées du droit de vote, le Parti communiste développe une action spécifique dans leur direction. En janvier 1937, Cécile Vassart, responsable de l'action auprès des femmes, expose dans Les Cahiers du bolchevisme, organe théorique du PCF, les missions spécifiques des militantes communistes : « Elles ont, par contre, des tâches à remplir qui sont bien particulières, qui ne peuvent être accomplies par nos camarades hommes : celles de gagner la grande masse des femmes pour notre Parti et travailler pour l'Union des Femmes de Franc, […] mais demander une activité propre à nos camarades femmes ne veut pas dire former une deuxième organisation : le Parti des femmes... Les femmes communistes sont et resteront des membres du Parti, égales aux hommes, avec la tâche spéciale d'unir les femmes pour les revendications que nous avons déjà expliquées. » Les thèmes propres à attirer les femmes renvoient aux préoccupations de mères de famille (lutte contre la vie chère, aide aux enfants nécessiteux, aux familles de chômeurs, amélioration de l'accès à l'éducation et aux loisirs pour les enfants). Les thèmes politiques sont  présentés sous un angle susceptible de convaincre les femmes : « Unissons-les contre la guerre et le fascisme, qui menacent la famille, et pour les droits de la femme. »

Le Parti communiste créée en 1936 une organisation féminine, l'Union des Jeunes Filles de France, dirigée par Danielle Casanova. Ses militantes organisent grèves et manifestations de ménagères pendant la guerre. Les femmes sont un enjeu dans la lutte que la Résistance mène contre Vichy. Il s'agit, d'une part, de contrer la propagande de la Révolution nationale qui prône la soumission et le repli sur le foyer et, d'autre part, de pouvoir compter sur l'aide des femmes, indispensable aux activités de résistance. Le colonel Rol-Tanguy en témoigne : « Sans elles, la moitié de notre travail eut été impossible. »

À la Libération, il est d'autant plus important pour les mouvements politiques de s'appuyer sur des organisations féminines que les Françaises sont devenues des citoyennes à part entière et que leurs voix compteront dans les consultations électorales qui s'annoncent (les élections municipales et cantonales étaient prévues en février 1945 mais seront repoussées en avril-mai pour les municipales, et septembre pour les cantonales). Le Parti communiste, comme toutes les formations politiques, ignore comment ces nouvelles électrices vont voter. Dès le 2 novembre 1944, le bureau politique du Parti communiste mobilise les militantes pour qu'elles incitent les Françaises à s'inscrire sur les listes électorales. Toutefois, le Parti communiste s'inquiète de l'influence du clergé et des organisations catholiques. La politologue Sandra Fayolle montre l'importance accordée au vote des femmes en citant l'intervention de Jeannette Vermeersch lors la réunion du Comité Central du Parti (21-23 janvier 1945), « Pour les organisations catholiques, elles ne font pas beaucoup de bruit, mais elles agissent, elles font des visites à domicile, elles pratiquent des secours, elles préparent les élections [...] Imitez les organisations catholiques où le travail est considérable. » La création des Comités de Femmes de France s'inscrit dans la continuité d'une action qui veut réunir les femmes sur des thèmes sociaux et patriotiques, sans référence partisane trop affichée. Le Front national appartient à la même logique : réunir dans un mouvement de résistance au-delà du Parti. L'organisation féminine qui en résulte obéit à la même volonté d'ouverture et de rassemblement. Le résultat sur le terrain est plus difficile à gérer.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, Syllepse, 2014.

Sandra Fayolle, « Réagir aux premiers votes des femmes. Le cas du Parti communiste français », Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique n° 94-95, Paris, 2005, pp. 223-239.