Article sur le vote des femmes intitulé "Comment elles ont voté", 30 avril 1945
Légende :
Article paru dans Le Provençal, le 30 avril 1945, au lendemain du premier tour des élections municipales, qui vit pour la première fois les Françaises voter
Genre : Image
Type : Article de presse
Source : © AD des Bouches-du-Rhône PHI 420-1 Droits réservés
Détails techniques :
Document imprimé sur papier journal.
Date document : 30 avril 1945
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
La presse dans son ensemble commente abondamment le fait que les Françaises votent pour la première fois, le 29 avril 1945, lors du premier tour des élections municipales. Le ton est le plus souvent condescendant et paternaliste. Dès le début de l'article, il apparaît que les électrices ne sont pas des électeurs comme les autres : « Avouons-le : on était curieux de voir comment se comporteraient les néo-électrices. » La deuxième phrase vise à rassurer : « Le vote féminin a été une réussite. » [sic.] Les citoyennes françaises ont dû faire la preuve qu'elles méritaient le droit qui leur était accordé. Leur comportement est scruté et noté. Elles se sont montrées des élèves studieuses et assidues : « Les femmes ont mis à accomplir le devoir que leur inscription les avait engagé à remplir un sérieux, voire même une gravité tout à fait rassurants, du moins pour ceux qui faisaient preuve de scepticisme à leur égard. » La mixité qui caractérise maintenant les opérations électorales était source d'inquiétude. Les femmes n'ont pas troublé par leur présence les files d’attentes, jusqu’à présent exclusivement masculines : « (...) ni rires, ni plaisanteries déplacées. »
Dans ces files d’attente, les électeurs ont pu montrer des signes d’impatience, tandis que les électrices, dressées à faire la queue, ont fait preuve de qualités considérées comme typiquement féminines : patience et discrétion. L'article relève la forte participation des femmes, y compris dans des catégories qui auraient pu s'abstenir : les femmes âgées, infirmes. La présence de religieuses non cloîtrées, favorablement présentées comme « associées à notre vie de misère », est saluée. Les femmes ont fait preuve d'indépendance d'esprit : « Presque toujours, les femmes ont voulu voter seules ». Le code électoral interdit toute ingérence dans l'isoloir, on peut penser que des hommes, cependant, ont voulu guider leur compagne ou leur parente âgée.
Le journaliste accorde donc une note favorable aux électrices. Les femmes n'ont pas démérité. L'article se termine par l'affirmation que les femmes qui détestaient auparavant la politique vont maintenant se passionner pour la chose publique. Privées du droit de vote, assumant souvent seules les tâches domestiques, elles auraient dû faire preuve de beaucoup de détermination et d'indifférence au qu'en-dira-t-on pour militer dans les partis politiques, essentiellement masculins. L’octroi du droit de vote ne changera pas fondamentalement les comportements et ne fera pas disparaître les obstacles dressés sur le chemin des femmes, désireuses de participer à égalité avec les hommes à la vie politique.
Sylvie Orsoni
Contexte historique
Dans ses Mémoires de guerre, le général de Gaulle consacre deux phrases à ce qui a constitué l'élément le plus novateur de l'ordonnance du 21 avril 1944 : « En outre, les droits de vote et d'éligibilité étaient attribués aux femmes. L'ordonnance du 21 avril 1944 réalisait cette vaste réforme mettant un terme à des controverses qui duraient depuis cinquante ans. ».
En 1901 puis en 1911, René Viviani et Ferdinand Buisson déposaient à la Chambre des députés des propositions de loi accordant partiellement ou totalement le droit de vote aux femmes.
Le 8 mai 1919, un débat a lieu à la Chambre des députés sur l'octroi du droit de vote aux femmes, soutenu avec enthousiasme par Aristide Briand. Une très large majorité, 344 voix contre 97, accorde aux femmes l'intégralité des droits politiques.
Le Sénat, après trois ans d'atermoiements qui lui ont permis de produire un florilège d'arguments misogynes, repousse le texte par 156 voix contre 134. La Chambre, en 1925, 1932 et 1935, renouvelle son vote. Le Sénat réussit à enterrer le projet jusqu'à la guerre.
Le débat rebondit à Alger au sein de l'Assemblée consultative provisoire. Dix débats sur les 27 qui eurent lieu entre le 23 décembre 1943 et le 24 mars 1944 sont consacrés partiellement ou entièrement au vote des femmes. Les radicaux, en la personne de Paul Giacobbi, président de la commission de Réforme de l'Etat, essaient d'enterrer à nouveau la réforme, mais paraissent incarner des combats d'arrière-garde et sont mis en échec par la force de conviction de Louis Vallon et de Ferdinand Grenier. L'amendement proposé par ce dernier est adopté par 51 voix contre 16, et devient l'article 17 de l'ordonnance du 21 avril 1944 : « Les femmes sont électrices et éligibles au même titre que les hommes. »
Le Gouvernement Provisoire de la République Française faisait de la tenue d'élections au suffrage universel la manifestation de la démocratie retrouvée. Il fallait pour cela établir de nouvelles listes électorales qui tenaient compte des mouvements de population, du retrait des droits civiques aux personnes susceptibles d'être frappées de dégradation nationale, et de l'inscription des nouvelles électrices. La révision des listes électorales commence à partir du 6 décembre 1944. Elle devait se clore le 31 décembre, mais devant les difficultés matérielles, elle est prolongée jusqu'au 20 janvier 1945. Les formalités sont réduites au minimum : production d'une pièce d'identité (livret de famille ou carte d'identité) et d'une attestation de domicile. Les femmes furent invitées par voie de presse et d'affiche à s'inscrire.
La presse, comme les partis politiques et les Renseignements Généraux, s'interrogent sur la motivation des nouvelles électrices. Cependant, les femmes se pressent dans les centres d'inscription, ce que les journaux relèvent avec des appréciations diverses. Le fait que les prisonniers, les déportés, les combattants - soit une majorité d'hommes - ne seront pas en mesure de voter aux premières consultations électorales est fréquemment évoqué en parallèle, pour suggérer une injustice, voire une anomalie profonde. Ce déséquilibre démographique avait été opposé à l'octroi du droit de vote aux femmes avec effet immédiat, lors des débats de l'Assemblée consultative d'Alger. Une fois acquis que les femmes s'étaient massivement inscrites, il restait à observer leur participation effective le jour du vote, et l'impact sur les résultats. La presse d'information, après avoir multiplié les recommandations et conseils aux néophytes, photographie, interroge, filme les nouvelles électrices en adoptant le plus souvent un ton paternaliste.
Auteur : Sylvie Orsoni
Sources :
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Jean-Marie Guillon, Philippe Buton, Les pouvoirs en France à la Libération, Paris, Belin, 1994.
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Robert Mencherini, La Libération, et les années tricolores (1944-1947), Midi rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, Syllepse, 2014.
Sylvie Orsoni, La Libération du côté des femmes, Dossier pédagogique n° 8, Archives départementales des Bouches-du-Rhône.
Claude Pennetier (sous la direction de), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, mouvement social, période 1940 - 1968. De la Seconde Guerre mondiale à mai 1968, Paris, les éditions de l'Atelier, 2006-2016 ; et le site Internet Maitron en ligne.