Rapport du capitaine Cherpin sur le retour de rapatriés à Marseille (extrait), avril 1945

Légende :

Rapport du capitaine Cherpin sur le « 2e convoi de rapatriés en provenance d'Odessa et arrivés à Marseille le dimanche 1er avril 1945 », avril 1945

Type : Rapport (extrait)

Source : © AD Bouches-du-Rhône 77 W 60 Droits réservés

Détails techniques :

Retranscription (extrait) de documents d'archives illisibles. Voir l'album photos lié.

Date document : Avril 1945

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

Le rapport dont on peut lire ici un extrait, est rédigé par le capitaine Cherpin qui dirige le centre de rapatriement installé à Marseille pour accueillir les rapatriés arrivés d’Odessa par voie maritime. Le « Bulletin de renseignements » qui compte trois pages (en album) est rédigé par une équipe du même centre d’accueil. 

Le capitaine Cherpin précise d’abord, dans son rapport (partie non reproduite) que ce deuxième convoi, arrivé à Marseille par voie maritime le 1er avril 1945, compte 791 personnes, pour leur grande majorité (673) requis du STO ou travailleurs volontaires. Il en décrit la condition physique, l’habillement et l’état d’esprit.

Ce texte comporte également l’une des premières annotations concernant Auschwitz, désigné comme un « camp de représailles », où étaient concentrés les déportés raciaux de tous pays. « On a recueilli des témoignages concordant sur les traitements subis dans ces camps, ils dépassent en horreur ce que l’imagination peut concevoir », note le capitaine Cherpin, depuis les mises en scènes macabres, jusqu’aux sélections à l’arrivée à Auschwitz, aux chambres à gaz et aux fours crématoires, en passant par l’extermination de convois de plusieurs milliers de personnes. Sont mentionnés des éléments qui seront ensuite confirmés : l’inscription à l’entrée d’Auschwitz sur « le travail dans la joie », l’orchestre « sur les terrasses du four crématoire », la récupération sordide des dents et dentiers en or. De manière plus curieuse est notée l’existence d’un hôpital « fort bien agencé » qui soigne des déportés jusqu’à guérison avant gazage, alors que l’on sait que ces équipements étaient utilisés pour des expériences médicales. L’interprétation de certains témoignages a sans doute prêté à confusion.

Le « Bulletin de renseignements » dactylographié de trois pages (reproduit en album) fait la synthèse des « renseignements recueillis sur les camps de déportés raciaux et politiques » d’Auschwitz et de ses dépendances (Birckenau, Bleckammer, Monowitz et Lublin - l’orthographe d’origine a été conservée), auprès de onze personnes. Il décrit, de manière assez détaillée, le fonctionnement de ces camps, « dits d’extermination », le classement des déportés (est notée, en particulier, l’existence de déportés homosexuels, juifs, des Bibelforscher - Témoins de Jéhovah), la sélection à l’arrivée, l’immatriculation par tatouage, les expériences médicales, la famine, les gazages, le rôle des Sonderkommandos, l’existence des Kapos, le travail exténuant et les marches de la mort lors de l’avancée des troupes alliées. Mais les enquêteurs semblent avoir eu du mal  à admettre la mécanique de l’horreur. De ce point de vue, les rubriques « L’opinion du poste » et « Desiderata » sont significatives : «  Les renseignements ci-dessus pourraient apparaître invraisemblables et exagérés s’ils n’étaient, pour la plupart, extraits de plusieurs fiches concordantes » et « Vérifier, par tous moyens appropriés l’exactitude de ces déclarations ». Les massacres de masse de Juifs (Hongrois, par exemple) sont signalés, sans que, pour autant, soit mise en évidence la persécution spécifique des Juifs. De manière générale, la distinction n’est pas faite entre déportés « politiques » et « raciaux ».


Auteur : Robert Mencherini

Sources :

Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 77 W 60 ;

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, Syllepse, 2014 ;

Robert Mencherini, Les Bouches-du-Rhône dans la guerre 1939-1945, Clermont-Ferrand, De Borée, 2016 ;

Philippe Pawlak, Le retour des absents, Marseille, 1945, mémoire de maîtrise d’histoire, dir. Françoise Thébaud, Université d’Avignon et des pays de Vaucluse, 2001, 162 p.

Contexte historique

Pour faire face au flux des rapatriements à partir d’Odessa, à partir de mars 1945, des locaux ont été aménagés, à Marseille, à proximité du port commercial phocéen, dans un hangar de la Compagnie des Messageries maritimes, situé 309 chemin-de-la-Madrague, au nord de la ville.

Ce centre, dirigé par le capitaine Cherpin, qui commande près de cent soixante officiers, sous-officiers et hommes de troupe, n’est entièrement équipé qu’à la mi-juin 1945. Il comporte alors, au-delà des espaces d’accueil que l’on a essayé de rendre conviviaux, avec un mobilier adapté, un buffet et un bureau télégraphique, des installations sanitaires (salles d’épouillage, de désinfection, douches, étuve) et médicales (un bloc, une salle de radiographie, un centre bucco-dentaire, etc.).
L’une des préoccupations premières des autorités est la très piètre santé des rapatriés, mais aussi la crainte des épidémies, ce qui explique l’usage très répandu du DDT. D’autres salles sont dévolues aux formalités administratives et au contrôle militaire : les rapatriés – français, mais aussi, pour onze pour cent, étrangers - sont soumis à des vérifications et à un interrogatoire assez serré, pour établir l’identité des arrivants et éviter toute infiltration d’éléments ennemis ou collaborationnistes. Plus de mille rapatriés sont d’ailleurs arrêtés par le contrôle militaire. Les fiches remplies à cette occasion permettent également une approche statistique des divers types d’arrivants.

Après avoir accompli toutes les formalités, les rapatriés quittent le centre, pourvus de vêtements neufs, d’un colis de produits alimentaires, de tickets d’alimentation et d’une petite somme d’argent. Ils ont la possibilité d’être hébergés dans des « centres de Libération » administrés par le ministère de la Guerre, situés à Marseille (la Blancarde, Bonneveine), Aubagne, ou dans des « centres d’étrangers ». Si leur état de santé le nécessite, ils peuvent être admis dans des centres de repos de la région, du Var ou des Alpes-Maritimes.


Auteur : Robert Mencherini

Sources :

Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 77 W 60 et 150 W 93 ;

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, Syllepse, 2014 ;

Robert Mencherini, Les Bouches-du-Rhône dans la guerre 1939-1945, Clermont-Ferrand, De Borée, 2016 ;

Philippe Pawlak, Le retour des absents, Marseille, 1945, mémoire de maîtrise d’histoire, dir. Françoise Thébaud, Université d’Avignon et des pays de Vaucluse, 2001, 162 p.