La Marseillaise, journal du Front national, critique l'épuration, 21 septembre 1944
Légende :
Éditorial paru dans l'organe du Front national, La Marseillaise, édition du 21 septembre 1944
Genre : Image
Type : Editorial
Source : © AD Bouches-du-Rhône - PHI 419-1 Droits réservés
Détails techniques :
Document imprimé sur papier journal.
Date document : 21 septembre 1944
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
Le 21 septembre 1944, le Front national, à travers son quotidien La Marseillaise, met en cause le déroulement de l'épuration. L'article reprend et, ce faisant, amplifie les rumeurs qui agitent Marseille : l'épuration serait trop modeste, trop opaque.
La Commission d'épuration - que le même journal félicitait pour son travail, deux jours plus tôt - est mise en cause : « La Commission d'Épuration ne fait pas souvent parler d'elle ». Cet article témoigne de la crainte de voir l'épuration échapper aux résistants et à la justice populaire : « L'épuration est une affaire publique, et non une affaire de cabinet. » Les procédures inhérentes à un État de droit sont assimilées à de la complaisance à l'égard de suspects, supposés coupables d'office. La référence à Saint-Just et au Comité de Salut Public montre la revendication d'une justice expéditive. Les résistants et l'opinion publique veulent des résultats rapides et spectaculaires, tandis que l'assemblée consultative d'Alger et le Gouvernement provisoire veulent inscrire l'épuration dans un cadre juridique incontestable.
Sylvie Orsoni
Contexte historique
Lorsque La Marseillaise publie cet éditorial, Marseille est libérée depuis moins d'un mois. Le Comité départemental de Libération (CDL) et le commissaire régional de la République, Raymond Aubrac, ont mis en place des structures destinées à inscrire l’épuration dans un cadre légal. Leur tâche est difficile. En effet, à Marseille pendant l'insurrection et dans les jours qui suivent, les différents groupes armés arrêtent des suspects qu'ils retiennent dans différents lieux d'internement, dont les caves de la préfecture puis la prison Saint-Pierre. Le CDL décide également d'arrestations, en général de personnalités connues. Des arrestations sont aussi opérées par des comités de vigilance, des commissions d'épuration de quartier dont l'intégrité est parfois très discutable.
Le 6 septembre 1944, une délégation de tous les groupements de FFI demande au CDL de prendre des mesures pour éviter que les arrestations arbitraires ne sabotent l'épuration. Le CDL décide, le 8 septembre, la création d'une commission centrale de sécurité comprenant un magistrat du parquet, un juge d'instruction et des membres mandatés par l'état-major FFI et le CDL. Cette commission centrale doit examiner les dossiers de suspects fournis par les commissions de quartier, les transmettre éventuellement aux cours de justice. Mais les comités de vigilance, les commissions d'épuration ne disparaissent pas pour autant, ce qui rend l'harmonisation et le contrôle des arrestations difficiles. Dès le 5 septembre, une cour de justice comprenant quatre sections (deux à Marseille, une à Aix-en-Provence, une à Arles) est créée par arrêté de Pierre Tissier, commissaire régional par intérim. La première section de Marseille tient sa séance inaugurale le 11 septembre. Ce dispositif complexe ne satisfait pas grand monde, à lire les notes des Renseignements généraux ou les éditoriaux des quotidiens marseillais.
L'éditorial de La Marseillaise montre les contradictions qui traversent l'opinion publique et les résistants. Une épuration menée de façon très décentralisée et peu contrôlée est rejetée car elle favorise l'arbitraire, voire les comportements crapuleux. Mais un sentiment de défiance à l'égard des magistrats et des forces de police, déconsidérées par leur obéissance au régime de Vichy, pèse sur les acteurs de l'épuration judiciaire. L'appel à une justice populaire, récurrent dans les articles de La Marseillaise, ne résout pas cette contradiction et devient incantatoire.
Auteur : Sylvie Orsoni
Sources :
Archives départementales des Bouches-du-Rhône - 149 W 118, 149 W 128.
Robert Mencherini, La Libération et les années Tricolores (1944-1947). Midi rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, Syllepse, 2014.
Henry Rousso, « L'épuration en France, une histoire inachevée », in Vingtième siècle, PFNSP, n° 33, 1992, pp. 78-105.
Anne Simonin, Le déshonneur dans la République. Une histoire de l'indignité. 1791-1958, Paris, Grasset, 2008.