Ordonnance du 26 juin 1944 relative à la répression des faits de collaboration
Légende :
Extraits de l'ordonnance prise par le Gouvernement provisoire de la République française le 26 juin 1944 relativement à la répression des faits de collaboration - permettant d'appréhender comment le GPRF codifie ce type de répression
Type : Ordonnance
Producteur : JO de la République française n°55- 6 juillet 1944
Source : © pp. 107 à 109 - ALPHA 592 Droits réservés
Détails techniques :
Document dactylographié.
Date document : 26 juin 1944
Lieu : Algérie - Alger
Analyse média
Les organisations de résistance comme les autorités de la France libre avaient toujours annoncé qu'à la libération du territoire, les traîtres seraient punis. L'ordonnance du 26 juin 1944 est le résultat des débats de l'Assemblée consultative d'Alger sur ce sujet.
En novembre 1943, le général de Gaulle avait réuni à Alger une Assemblée consultative, composée de représentants des organisations de résistance et d'hommes politiques de la IIIe République. Elle fut chargée d'élaborer les textes législatifs qui devaient s'imposer à la Libération. Par ailleurs, le Comité français de Libération nationale (CFLN) se transforme le 3 juin 1944 en Gouvernement provisoire de la République française(GPRF). Le GPRF publie des ordonnances résultant des débats de l'Assemblée consultative dans un journal officiel pour montrer la continuité de la République.
L'ordonnance du 26 juin 1944 comprend 36 articles. Les trois premiers articles exposent les principes retenus pour engager des poursuites. Les articles 4 à 17 organisent le recrutement et le fonctionnement des cours de justice spéciales, les articles 18 à 21, l'instruction. Les articles 22 à 35 sont consacrés au rôle des jurés, aux possibilités de pourvoi en cassation, et au type de peines encourues.
L'article premier annonce la création d'une juridiction spéciale chargée de juger les faits de collaboration. Ceux-ci sont appréciés à partir du 16 juin 1940 et jusqu'à la date de libération du territoire où ils sont commis. La date du 16 juin 1940 renvoie à la constitution du ministère dirigé par le maréchal Pétain et aux lois pénales en vigueur à cette date, donc antérieures au gouvernement de Vichy. La législation ultérieure produite par le gouvernement de Vichy est considéré comme nulle : « nonobstant toute législation en vigueur ».
Enfin, l'article premier définit ce qui constitue la collaboration : il retient « l'intention de leurs auteurs de favoriser les entreprises de toutes natures de l'ennemi, et cela nonobstant toute législation en vigueur. »
L'article 2 assimile les résistants, les prisonniers évadés, les soldats alliés à l'Armée française. Cela permet d'accuser de trahison et d'intelligence avec l'ennemi les Français qui les ont pourchassés, comme les miliciens ou les auxiliaires de la police allemande. Les articles 75 et suivants du Code pénal s’appliquent dans ce cas sans qu''il soit besoin de créer une nouvelle législation.
L'article 3 concerne essentiellement les administrations françaises. Il considère que seuls les détenteurs de postes de direction ou de commandement avaient la possibilité de refuser d'appliquer des ordres contraires à l'intérêt national. Les subalternes, s'ils n'ont pas fait de zèle, sont absous. Cet article vise à maintenir l'infrastructure de l'administration française. Les exécutants sont dispensés de toute réflexion morale, ce qui peut susciter débat. En revanche, les actes volontaires (dénonciations, violences, livraisons de personnes, de matériel ou de renseignements) sont poursuivis.
L'article 4 autorise le commissaire régional de la République (CRR) à créer une cour de justice provisoire en attendant la mise en place de la cour de justice prévue à l'article premier. Pierre Tissier, CRR par intérim en l'absence de Raymond Aubrac, utilise cet article pour instituer, le 5 septembre 1944, la cour de justice qui siège dans les Bouches-du-Rhône à partir du 11 septembre 1944. Si le CRR ne crée pas de cour de justice provisoire, en attendant la mise en place de la juridiction spéciale, les juridictions militaire ou civile sont compétentes, ce qui ne concerne pas les Bouches-du-Rhône puisque le tribunal militaire ne fonctionne qu'à partir du 25 septembre 1944.
Les cours de justice spéciales suivent la même procédure que les cours d'assises, ce qui n'autorise pas l'appel (article 6). Seul le pourvoi en cassation est possible (articles 25, 28 et 29).
L'article 7 vise à limiter l'épuration dans le temps : il fixe une limite de 6 mois après la libération totale du territoire pour les possibilités de poursuites. Ce délai ne tient pas compte de la situation chaotique de la métropole et sera rallongé ultérieurement.
La cour est composée d'un magistrat qui préside et de quatre jurés (article 9). Le fait que le président de la cour soit un magistrat professionnel suscite des remous compte tenu de l'attitude de la magistrature sous Vichy. Les jurés sont choisis selon les critères en vigueur avant la guerre par une commission présidée par le premier président près la cour d'appel et de deux représentants des Comités départementaux de Libération. Les représentants de la Résistance peuvent donc, s'ils le veulent, faire entrer les femmes dans les jurys. Les jurés reçoivent une indemnité, lorsqu'ils siègent, analogue au traitement des conseillers à la cour.
L'article 35 stipule que toute condamnation met le condamné en état d'indignité nationale, ce qui entraîne des privations de droits et éventuellement de biens.
L'ordonnance du 26 juin 1944 tend à organiser l'épuration selon les modalités juridiques en vigueur sous la IIIe République. Les organisations de Résistance interviennent dans le choix des jurés, mais la magistrature et les tribunaux militaires, malgré leur réputation entachée, conservent un rôle important.
Auteur : Sylvie Orsoni
Sources :
Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, Syllepse, 2014.
Henry Rousso, « L'épuration en France, une histoire inachevée », in Vingtième siècle, PFNSP, n° 33, 1992, pp. 78-105.
Anne Simonin, Le déshonneur dans la République. Une histoire de l'indignité. 1791-1958, Paris, Grasset, 2008.
Contexte historique
L'Assemblée consultative d'Alger consacre de longs débats passionnés au problème de l'épuration. Dès la séance du 11 janvier 1944, à la lumière de l'épuration qui se déroule en Algérie, les craintes et reproches qui reviendront régulièrement dans la presse et dans les rapports des Renseignements Généraux de la Libération sont déjà développés : crainte que « le lampiste reste la seule victime de l'épuration » (dixit Marcel Poimboeuf, député représentant la CFTC), que les procédures trop lentes permettent aux coupables d'échapper à la justice. Le député communiste Henri Pourtalet propose la mise hors la loi de « tous ceux qui ont fait partie du gouvernement de Vichy, tous ceux qui, directement ou indirectement, ont commis ce crime contre la Nation qu'est la collaboration avec l'ennemi. L'identité constatée, les traîtres doivent être immédiatement passés par les armes. » Cette proposition radicale n'est pas adoptée, mais montre qu'il y a désaccord sur la nature des juridictions appelées à juger la collaboration. Les juristes de la France libre veulent situer l'épuration dans le cadre d'un État de droit. Ils rejettent le recours à des tribunaux populaires prônés par les communistes et certains socialistes, dont Albert Gazier. Ils instituent des juridictions spéciales dont l'objet et l'organisation sont développés dans l'ordonnance du 26 juin 1944.
Dans l'article 35 apparaît la notion d'indignité nationale, qui est l'objet de vives controverses au sein de l’Assemblée consultative à cause de son caractère rétroactif.
L'ordonnance du 26 juin 1944 est modifiée et complétée par celle du 28 novembre, beaucoup plus détaillée quant à l'organisation et au fonctionnement des cours de justice spéciales.
Auteur : Sylvie Orsoni
Sources :
Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, Syllepse, 2014.
Henry Rousso, « L'épuration en France, une histoire inachevée », in Vingtième siècle, PFNSP, n° 33, 1992, pp. 78-105.
Anne Simonin, Le déshonneur dans la République. Une histoire de l'indignité. 1791-1958, Paris, Grasset, 2008.