Dénutrition et malnutrition à Marseille à la Libération
Légende :
Rations réellement consommées à Paris, à Marseille et dans des régions rurales pendant l’année 1946, par individu moyen et par jour
Genre : Image
Type : Graphique
Producteur : Institut national d’hygiène (INH)
Source :
Détails techniques :
Graphique tiré de Michel Cépède, Agriculture et alimentation durant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Génin, 1961, p. 396.
Date document : 1946
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
Cet histogramme (graphique en barres) présente, sous forme de colonnes, l’apport quotidien des rations alimentaires effectivement consommées par chaque individu, en 1946, à Marseille, à Paris et en région rurale. Cinq ensembles donnent à voir l’apport de ces aliments en calories, en protides animaux et lipides (en grammes), en calcium (en milligrammes), et en vitamines A (en gammas).
Le document permet un double constat. D’abord, celui d’une ration alimentaire effectivement consommée à Marseille, très éloignée de la « ration théorique » optimale permettant de couvrir les besoins de la population. Ensuite, celui de l’existence d’une grande disparité entre les trois territoires concernés. L’apport de la ration alimentaire consommée à Marseille est, dans tous les cas, inférieur à la « ration théorique », alors qu’il est toujours supérieur à celle-ci pour une région rurale (à l’exception de l’apport en calcium, très légèrement inférieur). Paris bénéficie également d’un apport alimentaire supérieur à Marseille, parfois même (pour les protides animaux et la vitamine A) supérieur à la « ration théorique ».
C’est donc un état de carence alimentaire très accentué que ce document établit pour la cité phocéenne. L’insuffisance de la ration consommée en termes énergétiques entraîne des pertes de poids. Sa déficience en nutriments indispensables à l’organisme, comme les protides, lipides et calcium, est génératrice de nombreux troubles physiologiques. La carence en vitamine A est à l’origine de pathologies oculaires ou dermatologiques.
Robert Mencherini
Contexte historique
Ce document a été établi par l’Institut national d’hygiène (INH, futur Institut national de la santé et de la recherche médicale, INSERM). Il utilise, pour Marseille, les enquêtes menées par le Centre d’études d’Hygiène de Marseille, rattaché à l’INH. Créé en 1941, financé par la Fondation Rockefeller, ce centre emploie un personnel qualifié (médecins, pharmaciens, techniciens de laboratoire, enquêteurs et infirmières) et agit en concertation avec les pouvoirs publics (direction régionale et inspection de la Santé), les facultés de Médecine et des Sciences. Les enquêteurs de la “section nutrition” suivent de manière très attentive l’alimentation des familles ou de collectivités. Ils ne se contentent pas des rations théoriques mais essaient d’établir, d’après un protocole précis, la consommation réelle, à partir d’observations directes sur le terrain. Quatre enquêtes sont menées pendant la guerre et l’Occupation, et d’autres, selon les mêmes modalités, en 1945-1946.
Toutes les enquêtes mettent en évidence que, pendant la guerre et à la Libération, la ration alimentaire est, à Marseille, plus réduite mais aussi plus déséquilibrée que dans les autres villes et régions françaises. La carence en produits laitiers et animaux, vitamines, est plus marquée qu’à Paris et a fortiori que dans des régions rurales. Des différences semblables perdurent en 1946 et 1947 et permettent de classer à part les “villes du Sud-Est” (y compris après des villes moyennes ou d’autres grandes villes comme Lyon). Et les campagnes méditerranéennes sont également très en retrait sur la consommation des villes et campagnes de l’Ouest (excepté pour le fromage et les fruits). Cet état de fait entraîne, pendant la Seconde Guerre mondiale, une augmentation de la mortalité dans la région méditerranéenne beaucoup plus importante que dans les autres régions.
Les enquêtes de l’INH démontrent que les pénuries alimentaires à Marseille et en Provence ne relèvent pas de représentations, tout comme les disparités entre régions, mais sont bien une réalité. Les autres sources (rapports des préfets, du commissaire régional de la République-CRR-, dossiers du ravitaillement) confirment globalement les grandes conclusions de l’INH. Raymond Aubrac écrit par exemple, en janvier 1945 : « Il faut en finir avec les affirmations gratuites que l’on lance sur Marseille où l’on a la réputation d’exagérer et de se débrouiller. Ne se débrouille à Marseille qu’une catégorie extrêmement restreinte. On meurt beaucoup à Marseille et on meurt de faim tout court ».
Les pénuries alimentaires qui touchent la région marseillaise, et de manière plus générale, la Provence, sont liées au déficit agricole traditionnel de la région pour ces produits, mais aussi aux importantes perturbations des flux routiers, ferroviaires et surtout maritimes qui l’atteignent de plein fouet et sont aggravées par l’Occupation et les destructions. Les rations alimentaires, dont le déséquilibre est provisoirement aggravé par les combats et destructions de la Libération, ne retrouvent véritablement un niveau satisfaisant qu’en 1950.
Auteur : Robert Mencherini
Sources :
Archives nationales, CAC, 770621 ;
Archives nationales, F1a 4023, rapports des CRR ;
Recueil des travaux de l’INH, 1944 à 1951 ;
Michel Cépède, Agriculture et alimentation durant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Génin, 1961 ;
Robert Mencherini, « Conséquences sanitaires des pénuries alimentaires dans les Bouches-du-Rhône », in Dominique Veillon, Jean-Marie Flonneau (dir.), « Le temps des restrictions en France (1939-1949) », Les Cahiers de l’IHTP, n° 32-33, mai 1996, pp. 419-432 ;
Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947), Midi rouge, Ombres et lumières. Histoire politique et sociale de Marseille et des Bouches-du-Rhône, 1930 - 1950, tome 4, Paris, Syllepse, 2014.