Bilan des affaires jugées par le Comité régional interprofessionnel d'épuration des entreprises (CRIE), mars 1946
Légende :
Tableau présentant le bilan des affaires jugées par le Comité régional interprofessionnel d'épuration des entreprises (CRIE), 14 mars 1946
Genre : Image
Type : Tableau
Source : © AD des B-d-R 150 W 116 Droits réservés
Détails techniques :
Document dactylographié.
Date document : 14 mars 1946
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
Par l'ordonnance du 16 octobre 1944, le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) entend réprimer la collaboration économique. L’opinion publique souhaite également que les profiteurs de guerre soient sanctionnés. L'ordonnance crée les Comités régionaux interprofessionnels d'épuration (CRIE). Ils ont pour mission de procéder à l'épuration des entreprises. Le CRIE est composé d'un magistrat, de deux représentants des Comités départementaux de Libération (CDL), de trois représentants des ouvriers et employés, de deux représentants des techniciens et d'un représentant des employeurs. À l'intérieur des CRIE, des sections par branche peuvent se constituer.
Le CRIE de la région Sud-Est est constitué par arrêté du Commissaire régional de la République (CRR) le 28 février 1945. Il entre en fonction en juin et comprend seize sections professionnelles.
Le document présente le bilan des activités du CRIE huit mois après son entrée en fonction. On peut remarquer que les poursuites ont davantage touché les deux extrémités de la hiérarchie : 54 employeurs et 37 ouvriers, contre 6 cadres supérieurs et 13 cadres de maîtrise. Cependant, une grande dissymétrie apparaît dans les décisions du CRIE. Les ouvriers sont massivement sanctionnés : 28 licenciements sans indemnités, contre 6 absolutions (acquittements et classements sans suite), tandis que la moitié des employeurs sont absous. Lorsque les employeurs sont condamnés, la discrétion est de mise : onze interdictions professionnelles et dix blâmes sans publicité. Le magistrat présidant le CRIE, René Coste, avait très rapidement informé le CRR que la faiblesse des moyens matériels et humains qui lui étaient alloués ne permettait pas au comité un travail approfondi. Cela suffit-il à expliquer que les ouvriers soient plus sanctionnés que les employeurs ?
Sylvie Orsoni
Contexte historique
L'opinion publique, qui a souffert et souffre encore de graves pénuries réclame, dans sa grande majorité, que les profiteurs de guerre soient sanctionnés. Que certains aient pu non seulement échapper aux privations mais encore s'enrichir pendant l'Occupation lui est insupportable. Le bilan du CRIE ne peut que la conforter dans l'idée que l'épuration économique est modeste. Les Comités régionaux interprofessionnels d’épuration (CRIE) n'étaient pas l'unique moyen de réprimer la collaboration économique. Les comités départementaux de confiscation des profits illicites, les poursuites pénales et les réquisitions participaient de la répression. Il n'empêche. Cela ne modifie pas la perception de la population. Dans son rapport de mars 1946 au ministre de l'Intérieur, le préfet des Bouches-du-Rhône ne cache pas que « dans le domaine de la répression économique, on relève des critiques beaucoup plus vives de la part de l'opinion, même modérée, qui la juge insuffisante ».
Henry Rousso présente un bilan également très modeste de la Commission nationale interprofessionnelle d'épuration. Sur les 1 024 dossiers instruits, 191 ont abouti à une condamnation. Henry Rousso en conclut que « dans bien des cas, loin de jouer une fonction de répression ou de renouvellement des élites dirigeantes, l'épuration (ou la non-épuration) économique a, au contraire, joué une fonction de restauration de certaines réputations. »
Enfin, il rappelle que l'épuration professionnelle à la Libération est sans commune mesure avec celle réalisée par les mesures antisémites du gouvernement de Vichy.
Auteur : Sylvie Orsoni
Sources :
Marc Bergère, L'épuration économique en France à la Libération, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008.
Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 4. Paris, Syllepse, 2014.
Henry Rousso, « L'épuration en France, une histoire inachevée », in Vingtième siècle, PFNSP, n° 33, 1992, pp. 78-105.