"A la cour de justice", La France de Marseille et du Sud-Est, 10 octobre 1944

Légende :

Article paru en page 2 du quotidien régional de sensibilité gaulliste, La France de Marseille et du Sud-Est, 10 octobre 1944

Genre : Image

Type : Article de presse

Source : © AD des B.-d.-R. PHI 417/1 Droits réservés

Détails techniques :

Document imprimé sur papier journal.

Date document : 10 octobre 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Dès le 11 septembre 1944, date de la première audience de la cour de justice spéciale chargée de juger les faits de collaboration, les quotidiens marseillais rendent compte régulièrement des procès, en première page lorsque les accusés sont connus ou lorsque des condamnations à mort sont prononcées, en page intérieure lorsqu'il s'agit de juger le menu fretin de la Collaboration. L'article paru le 10 octobre 1944 dans La France de Marseille et du Sud-Est dans la rubrique « À la cour de justice » correspond à la deuxième catégorie. Les six prévenus qui comparaissent à l'audience se caractérisent par leur insignifiance. Ils sont accusés de « menées antinationales », deux par leurs propos, et quatre par l'adhésion à des « groupements anti-nationaux », Milice et PPF. Chaque cas est présenté par un sous-titre en gras qui vise à attirer l'attention du lecteur et orienter son opinion.

Le premier prévenu a manqué au patriotisme en déclarant publiquement « Je préfère être allemand ». Son avocat invoque son passé de militaire qui a servi son pays, y compris dans les colonies, et son caractère colérique. A.R. est condamné à trois mois de prison et 10 000 francs d'amende. On peut rapprocher ce jugement de celui qui frappe A.G., Italien, poursuivi pour avoir aussi déclaré : « Je suis fasciste ». L'inspecteur, dans les conclusions transmises au juge d'instruction, qualifie A.G. de « sérieux et honnête, sans grande intelligence » et sans opinions politiques bien définies. A.G. déclare lui-même avoir prononcé ces paroles « pour rire ». Il est plus lourdement condamné que le militaire irascible : un an de prison, 12 000 francs d'amende. La commission de triage recommande au préfet l'expulsion d’A.G. à l'expiration de sa peine.

Les quatre autres prévenus ont appartenu à la Milice ou au PPF, caractérisés dans les ordonnances réprimant la Collaboration de « groupements anti-nationaux ». On peut rapprocher les cas de R-G B. et de T. V. H. Ils se sont inscrits au Service d'Ordre légionnaire (S.O.L.), ce qui les aurait amenés mécaniquement à faire partie de la Milice. Les témoignages recueillis jouent contre eux. R-G B. était présent au lycée Thiers qui, à partir du 6 juin 1944, est un centre de détention et de tortures de la Milice. T. V. H. était détenteur d'une arme, ce qui n'était pas le cas de tous les miliciens. Les jurés condamnent les deux accusés à des peines de prison. Est-ce parce que son avocat fait une plaidoirie que le journaliste qualifie de brillante que R-G. B. n'est condamné qu'à trois ans de prison contre cinq pour l'autre milicien ?

Un dernier cas d'appartenance à la Milice est jugé lors de l'audience. G. F. a adhéré à la Milice en juin 1943. Il fournit au commissaire des prisons chargé de son interrogatoire une lettre de la Milice en date du 28 octobre 1943 refusant sa démission [voir l'album photo lié]. Les jurés tiennent compte de sa rétractation et ne lui infligent que dix mois de prison et 10 000 francs d'amende.

Le dernier prévenu a, quant à lui, adhéré au PPF, parti de Doriot et Sabiani, qui s'est signalé par son activisme en faveur de la Collaboration. La veulerie érigée en système de défense heurte les jurés qui infligent un an de prison à celui qui voulait coûte que coûte être « à l'abri ».

La rubrique « À la cour de justice » se termine par deux informations importantes.
D'une part, le tribunal militaire ne jugera plus les faits de collaboration, ce qui met fin à un chevauchement de juridictions et satisfait les résistants hostiles à la justice militaire. D'autre part, le sous-titre « À l'instruction » annonce deux des plus importants procès marseillais de la Collaboration : celui de l'intendant de police Panneboeuf et de Gaillard-Bourrageas. Il ne s'agit plus de faire comparaître les « lampistes », mais de juger, dans un cas, le représentant de la haute fonction publique et de l'administration policière, dans l'autre, de faire le procès de la presse de la Collaboration [voir les notices concernées].


Sylvie Orsoni

Contexte historique

L'ordonnance du 26 juin 1944 organise des cours de justice, juridictions spéciales, chargées de juger les faits de la collaboration. Le 5 septembre, le Commissaire régional de la République, Raymond Aubrac, par l'arrêté n° 46, crée la cour de justice du ressort de la cour d'appel d'Aix, divisée en quatre sections : deux à Marseille, une à Arles, une à Aix.
La première session de la cour de justice de Marseille se tient le 11 septembre 1944, elle se conclut par la condamnation à mort de Dereng Tcherpechekian, « membre du PPF et agent de la Gestapo ». Les Renseignements Généraux rapportent que cette première condamnation à la peine capitale est accueillie avec satisfaction par la population [voir les notices relatives] mais, très vite, font état de la déception qui s'installe. Les audiences font le plus souvent défiler des accusés qui frappent par leur insignifiance. Mauvais voisins ou voisines, opportunistes qui ont cru que l'adhésion à la Milice ou au PPF leur procurerait un emploi et la garantie de ne pas être requis pour le STO. Leur absence de convictions politiques n'est pas seulement un système de défense a posteriori. Elle est le reflet de ce que vécut la population pendant les années d'occupation.

L'audience dont rend compte La France de Marseille et du Sud-Est, le 10 octobre 1944, en est un exemple. Les quotidiens marseillais informent ainsi du déroulement de l'épuration, mais orientent également l'opinion. Que pensent les lecteurs des six verdicts égrenés dans l'article ? Les trouvent-ils cohérents ? Pour ces procès ordinaires, la presse n'évoque pas l'instruction menée à charge et à décharge par le juge et ne peut bien sûr connaître les délibérations des jurés.
La série 55 W des archives départementales des Bouches-du-Rhône conserve les pièces de l'instruction.
Dans les cas les moins graves, comme ceux qui aboutissent à l'audience du 10 octobre, le juge d'instruction décide du renvoi du prévenu devant la cour de justice au vu de rapports de police qui font la synthèse des témoignages recueillis. Lorsque la collaboration a été plus significative, une instruction très minutieuse a alors lieu. Le public n'en savait pas forcément gré à la magistrature. Les rapports des Renseignements Généraux évoquent la déception qui s'installe devant ce qui apparaît comme des lenteurs excessives ou de la complaisance lorsque la cour d'appel d'Aix casse la sentence pour vice de procédure. Peu à peu, la presse ne rend plus compte que des informations générales concernant l'épuration et des procès d'acteurs plus notables.


AuteurSylvie Orsoni

Sources :

Archives départementales des Bouches-du-Rhône, série 55 W.

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, Syllepse, 2014.