Jules Carrez
Légende :
Fausse carte d’identité de Jules Carrez au nom de Jean Courtot.
Genre : Image
Type : Photographie
Source : © Musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon, Fonds Jules Carrez. Droits réservés
Date document : sans date
Contexte historique
Des études à l'Ecole normale de Besançon conduisent Jules Carrez à effectuer son métier d'instituteur à Vercel puis à Valentigney. Il obtient une licence de Géographie.
Il est mobilisé le 3 septembre 1939. La débâcle l'entraîne jusqu'à Ax-les-Thermes, puis il rejoint son poste. Et là, il est jugé "indésirable", pour son activité politique et déplacé à Maîche. En effet, entre 1932 et 1934, il a fondé la Fédération communiste indépendante de l'Est et ses actions anti-vichyssoises commencent à être connues. Elles se poursuivent puisqu'il a géminé le cours complémentaire (c'est-à-dire qu'il y a réuni filles et garçons) , refusé de participer à la fête des Mères et organisé dans une autre salle une séance récréative et constitué à Maîche un parti antigouvernemental et gaulliste.
En 1929, il épouse une institutrice et un enfant naît en 1931. Sa vie est remplie, son métier lui fait un devoir de développer la culture, le sens critique des jeunes. Il fait sienne la phrase de Jean Giono : "Pour atteindre le bonheur, rien n'est nécessaire que soi-même."
Henri Rivière, un des dirigeants de Libération-Nord, mouvement de Résistance animé par des militants syndicalistes et socialistes, reçoit la mission de recruter des adhérents de tous les départements de la zone occupée afin de constituer des groupes.
Ainsi, dans le Doubs, Jean Minjoz (socialiste) et Fernand Clerc (Syndicat national des instituteurs, SNI) forment à Besançon un noyau qui a des ramifications dans le pays de Montbéliard avec Armand Bermont -socialiste- et Jules Carrez (SNI, recruté en avril 1942). Un second groupe à Besançon, indépendant du premier, autour de Marcel Ouvret et Adrien Jeannin (syndicaliste CGT) et un troisième à Pontarlier, autour de Jules Pagnier (CGT) complètent le tableau. L'unification de tous ces groupes se réalise au niveau départemental en septembre 1943.
Jules Carrez, muni d'une fausse identité au nom de Jean Courtot, sillonne la région et recrute. Avec Louis Faivre, il est à la tête d'une équipe d'hommes venus d'horizons différents : Jean Badel, fusillé le 13 octobre 1944 à Bethoncourt, Emile Ronner, Victor Kuentzmann, exécuté le 26 septembre 1944 au coin d'un bois sur la route d'Allondans. Ils se réunissent le soir, à la salle Sainte-Thérèse de l'église catholique de Valentigney.
Jules Carrez centralise les renseignements recueillis par les membres de Libération-Nord : implantation de l'artillerie lourde allemande et des mitrailleuses, depuis la frontière suisse jusqu'à Montbéliard. Posté de garde aux usines Peugeot de Sochaux, où il est en relation avec l'ingénieur Collignon, il rédige des messages qu'il fait transmettre à Londres par le poste émetteur du réseau Carmel de Georges Lab, lui aussi basé à Valentigney et qu'il est "le seul du groupe à connaître".
Il cache des voisins juifs, des résistants de passage. En outre, il a coutume de dire "j'ai fait la guerre avec une plume" : en effet en 1944, il compose le Comité de libération du Pays de Montbéliard, feuille clandestine dont il est, avec Marcel Compagne et Georges Reverbori, le principal rédacteur. Il agit en connaissance de l'article 14 de l'ordonnance allemande du 18 décembre 1942 : "Quiconque aura confectionné ou distribué des tracts sans y être autorisé sera puni de la peine de travaux forcés ou celle de l'emprisonnement et dans les cas particulièrement graves, de la peine de mort".
Jules Carrez rédige alors une dizaine de numéros clandestins, une douzaine si on compte certains tracts parus ronéotypés et diffusés par les équipes de Libération.
Un tract bilingue conseille au soldat allemand de se libérer : "Tu es sans doute un brave paysan ou un honnête ouvrier, certainement un bon père de famille... Jette tes armes et rends-toi... Les Forces françaises de l'intérieur te traiteront loyalement en prisonnier." Dans un autre tract, il dénonce une "plaie sociale : le marché noir". Dans une lettre ouverte au sous-préfet de Montbéliard, il fait remarquer la pénurie de farine et de blé dans ce qui devrait constituer le stock de sécurité. "Il y avait de la farine dans le Territoire de Belfort... Quand on est impuissant à régler les questions essentielles, on s'en va... Les camionneurs qui vont au loin chercher le superflu quand on manque du nécessaire sont la providence des gens très bien dont vous êtes et qui ne trouvent de goût à leur pain que quand il est arrosé de bon vin... Vous représentez, M. le sous-préfet, un régime qui se meurt, un régime qui a chanté la terre et ses moissons et qui n'assure plus au peuple son pain quotidien... Vous allez disparaître avec Vichy, emporté par une immense marée déferlante et bien sûr qu'un obscur sous-préfet qui se sera doucement laissé vivre à Montbéliard pendant que d'autres luttaient et souffraient ne va pas encourir d'autre risque que celui d'un définitif plongeon administratif." (16 août 1944).
Constamment il affirme la séparation du politique et du militaire et proclame son attachement à l'ordre, au respect de la procédure judiciaire : "Laissez venir la Justice" et met en garde contre les exécutions et les règlements de compte pour délits d'opinion. "Éminence grise" de la Résistance locale, Jules Carrez est par ailleurs membre du Comité départemental clandestin de libération (CDL) en délégation dans le pays de Montbéliard et - à ce titre- participe à l'organisation de l'après-Libération. Le CDL est constitué dès mars 1944 à l'instigation du Conseil national de la Résistance. De cet engagement prolongé, il écrit au père de Tito : "Il fait bon avoir été ce qu'il fallait être".
Cependant, à Besançon (la ville est libérée le 8 septembre 1944), le CDL a imprudemment affiché sur les murs la liste de ses membres. Jules Carrez, qui demeure en zone encore occupée pour deux mois, ne doit son salut qu'au réflexe rapide d'un père d'élève qui a pris le train pour le prévenir : celui-ci n'a que le temps de fuir à travers le jardin pendant que les miliciens cassent tout dans sa maison.
La modestie de Jules Carrez fait qu'il refuse de remplir des papiers nécessaires à l'obtention de la médaille de la Résistance.
Auteur : Maryse Marchand
Extrait du DVD-ROM La Résistance dans le Doubs, AERI, 2008