Jean-Pierre Vernant
Genre : Image
Source : © Archives privées Monique Montès Libre de droits
Détails techniques :
Photographie noir et blanc.
Date document : Septembre 1944
Lieu : France - Occitanie (Midi-Pyrénées) - Haute-Garonne
Contexte historique
Jean-Pierre Vernant est né en 1914. Son père meurt à la guerre. Orphelin, il devient pupille de la Nation. Il fait des études brillantes qui le conduisent à l'agrégation de Philosophie, dont il sort premier en 1937. Etudiant, il est profondément antifasciste et il rejoint les rangs du Parti communiste. Dans les années 1930, il participe, au Quartier Latin, à des affrontements qui l'opposent aux Camelots du Roi de l'Action française. Il fait son service militaire puis, dans la foulée, il est mobilisé en 1939. En juin 1940, il est démobilisé à Narbonne et il y attend sa première affectation professionnelle. Il s'est éloigné du Parti communiste depuis la signature du pacte germano-soviètique.
Il n'accepte pas l'armistice : "La guerre continue, pense-t-il, et on va la gagner ; tant que l'Angleterre tient, ce n'est pas foutu". Initiative personnelle : il rédige et diffuse avec son frère des tracts qui appellent déjà à réagir. Il arrive à Toulouse en décembre 1940, dans des circonstances rocambolesques qu'il a lui-même décrites dans l'ouvrage de Georges-Marc Benamou. Il est nommé professeur de Philosophie au lycée de garçons, le futur lycée Pierre de Fermat. Très rapidement il mène une double vie : celle d'un professeur assez peu conventionnel d'un côté, celle d'un résistant de l'autre. "On ne peut tout accepter", dira-t-il. "J'ai tout de suite remis à sa place ce vieux maréchal de France, avec son képi et ses yeux bleus, comme représentant de tout ce que je détestais : la xénophobie, l'antisémitisme, la réaction (...). C'est mon pays, " ma " France, qui dégringole et vole en éclats avec ce type, qui se met au service de l'Allemagne nazie en jouant les patriotes, qui fait sonner des musiques militaires, va chercher la bénédiction de l'Eglise catholique pour prendre des lois antisémites et supprime toute forme de vie démocratique".
Dans un premier temps, il participe aux activités de la Société toulousaine de psychologie comparative, un haut lieu de réflexion critique animé par son ancien maître à la Sorbonne, le psychologue Ignace Meyerson, qui vient d'être chassé de l'université de Toulouse en vertu de la législation antisémite de Vichy. Il s'entoure de compagnons sûrs, d'anciens amis comme Jean Miailhe (" Garry ") et Victor Nechtschein (" Leduc ") ou des nouveaux, tels que Germain Carrère (" Besse ") et Mario Levi ("Antoine "). Avec l'aide de résistants toulousains comme Jean Bartoli ("Delrieu"), il s'introduit dans les milieux locaux, en particulier dans celui de l'aéronautique, où il recrute des volontaires clandestins. Le moment venu, il passe à l'action.
En février 1942, entré au mouvement Libération-Sud, il est chargé du développement des groupes paramilitaires, sa formation militaire encore récente l'y prédispose. Il est à l'origine de la création de groupes armés qui "attaquent les dépôts d'essence, des trains de munitions, font sauter les voies (...), récupèrent des armes". Il favorise ainsi l'essor des groupes-francs. Il organise des sabotages, par exemple à la Poudrerie de Toulouse, et il n'hésite pas à participer directement aux opérations risquées. "Nous étions des frères (...), a-t-il dit. Nous étions des marginaux, des hors la loi". Il organise des cours sur le maniement des armes, l'emploi des explosifs, les techniques de sabotage. Ses responsabilités augmentent à mesure que la Résistance unifie ses forces : il devient successivement le chef départemental de l'AS, celui des corps-francs de la Libération (CFL) et enfin celui des FFI. "J'étais crevé. La journée, j'enseignais. Le soir, je sillonnais le département à vélo, sous des noms d'emprunt", ses différents pseudonymes : "Jougla", "Tixier", "Thierry", "Lacomme", et enfin "Berthier".
Au printemps 1944 il est l'un des principaux adjoints de Serge Ravanel, le chef régional CFL puis FFI, et il participe aux discussions militaires du CDL. Il a pris la précaution de mettre sa famille à l'abri mais, au début du mois de juin 1944, se sentant lui-même menacé, il plonge dans le brouillard et il part pendant quelques jours au maquis, au lieu-dit La Baraque, situé sur la commune de Montbéraud, près de Saint-Christaud, aux confins de la Haute-Garonne et de l'Ariège. Il en revient pour préparer et diriger l'insurrection libératrice de la capitale régionale. Après l'attaque allemande du maquis de Saint-Lys, il décide de dissoudre les maquis trop vulnérables. Le 19 août au matin, il part ("dans une automobile que la gendarmerie de Toulouse a mise à ma disposition avec une fausse carte d'inspecteur de police") pour contacter directement plusieurs maquis du département, afin de leur donner l'ordre de converger immédiatement sur Toulouse, menacée de toujours possibles opérations allemandes. Mais tout ne se passe pas comme prévu. "Nous avons été naïfs, on a manqué de lucidité", dira-t-il plus tard. La Libération accomplie, à la fin du mois de septembre 1944, il remplace Serge Ravanel, indisponible, en tant que chef régional FFI. Il s'installe au Palais Niel et il prend la tête d'un état-major dit des troupes d'opérations. "J'ai été militaire par nécessité" a-t-il avoué.
Dès que les circonstances le permettront, Jean-Pierre Vernant revient à la vie civile. En 1946 il exerce son métier de professeur au lycée Jacques Decour à Paris. Mais la recherche l'attire. En 1948 il entre au CNRS. Il devient un des meilleurs spécialistes de la Grèce antique, de sa religion et de ses mythes. De 1958 à 1975 il exerce à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales, de 1975 à 1984 il est professeur au Collège de France. Compagnon de la libération, grand officier la Légion d'honneur, Grand Croix de l'Ordre national du Mérite et titulaire de nombreuses autres distinctions, il est l'auteur de nombreux livres et communications savantes. Il reste cependant un observateur lucide de son temps. A nouveau inscrit au Parti communiste, il se comporte en militant critique et " marginal ", au point de prendre progressivement ses distances avec le parti et de le quitter en 1970. Il donne l'image d'un intellectuel engagé, prêt à défendre les valeurs de la démocratie auxquelles il est attaché. La Résistance l'a fortement marqué. Entre autres choses, elle lui a appris " qu'il y a des moments où il n'y a pas le choix (...), qu'il y a aussi des situations hors normes " et des moments où " la vie ne vaut la peine d'être vécue que si elle possède quelque chose qui la dépasse". Il a exercé un pouvoir qui ne l'a pas intéressé directement. " Dans la Résistance, il n'y a pas de hiérarchie instituée, mais il y a des hommes qui sont les chefs. Pourquoi leur obéit-on, au risque de se faire tuer ? " Jean-Pierre Vernant n'avait pas l'âme d'un chef, il l'est devenu parce que les circonstances l'exigeaient. Mais " au fond, estime-t-il, je suis un utopiste, je rêve sans cesse de créer des groupes unis par l'amitié sur un plan d'égalité ". La Résistance lui a permis de créer ce type de groupe et ce type de rapports : parvenu au faîte des honneurs, il n'a jamais perdu de vue ses anciens camarades résistants et il a su garder avec eux des rapports de confiance et d'amitié exceptionnels. Il décède le 9 janvier 2007, alors qu'il venait juste de fêter ses 93 ans.
Jean-Pierre Vernant was born in 1914. His father died in World War I; an orphan, he became a ward of the state. He was a brilliant student which led him to take the university entrance exam in philosophy; he received the top scores for his class in 1937. As a university student, he was profoundly anti-fascist and joined the ranks of the Communist Party. In the 1930s, he participated in the clashes with the Royalist Camelots du Roi of the French Action group in the Latin Quarter. Just after completing his mandatory military service he was mobilized in 1939. In June 1940, he was demobilized in Narbonne; he waited there for his first professional assignment. He left the Communist Party after the signing of the German-Soviet non-aggression treaty.
He never accepted the armistice: « The war would continue, he thought, and we were going to win it; as long as England held on, it wasn't over ». His personal initiative led him and his brother to create and distribute leaflets which already called for action. He arrived in Toulouse in December 1940 under incredible circumstances that he himself described in the work of Georges-Marc Benamou. He became a professor of philosophy at a high school for boys, which would become the Pierre de Fermat High School. Very quickly, he began to lead a double life: on the one side the life of a rather conventional teacher, on the other the life of a Resistant. « We could not accept it », he said. « I quickly came to see that old field marshal, with his cap and blue eyes, as the symbol of everything I hated: xenophobia, anti-Semitism, desperately clinging to the past(...). It was my country, « my » France, which crumbled and fell with this man, who entered the Nazi German service under the guise of patriotism, who trumpeted military music, who sought the blessing of the Catholic Church in order to create anti-Semitic laws and remove all traces of democratic life. »
Initially, he participated in the gatherings of the Toulouse Society of Comparative Psychology, a center of critical reflection led by the psychologist (and Vernant's former professor at the Sorbonne) Ignace Meyerson, who had been forced out of the University of Toulouse because of the Vichy government's anti-Semitic laws. He surrounded himself with friends, old trusted ones like Jean Miailhe (« Garry ») et Victor Nechtschein (« Leduc ») or new ones such as Germain Carrère (« Besse ») et Mario Levi (« Antoine »). With the help of Toulousian Resistants like Jean Bartoli (« Delrieu »), Vernant integrated himself with the locals, in particular those who worked in aeronautics, where he recruited undercover volunteers. When the time came, he was ready for action.
In February 1942, after joining the Libération-sud movement, he was charged with the development of paramilitary groups because of his recent military training. He created armed groups which « attacked fuel depots, trains, munitions, blew up train tracks...recovered arms ». He encouraged the development of the Groupes-Francs (a specialized and highly trained group of armed Resistants). He organized acts of sabotage, an example being the Toulouse arsenal, and he did not hesitate to directly participate in risky operations. « We were brothers...he said. We were on the margins of society, outlaws ». He organized demonstrations on how to handle weapons, the use of explosives, sabotage techniques. His responsibilities grew as the Resistance consolidated its forces: he became the head of the department for the Armée secrète (Secret Army), then head of the Corps-Francs de la Libération (the military branch of the Resistance) and finally head of the French Interieur Forces. « I was split. During the day, I taught. At night, I traveled around the département by bike, under aliases ». His different pseudonyms: Jougla, Tixier, Thierry, Lacomme and finally Berthier.
In the spring of 1944 he was one of the principal aides to Serge Ravanel, the regional leader for the Corps-Francs de la Libération, later the French Interieur Forces; he participated in the military discussions of the Comité Déparemental de la Libération (the administrative branch of the Resistance movement). He took the precaution of placing his family in hiding, but at the beginning of June 1944, he continued to feel threatened and decided to spend several days hiding in the woods known as La Baraque, located in the village of Monteberaud near Saint-Christaud, in the confines of Haute-Garonne and Ariège. He returned to prepare and lead the liberation insurrection in the regional capital. After the German attack of the Saint-Lys band of Resistants, he decided to dissolve the most vulnerable bands of Resistance fighters. The morning of August 19, he left (« in a car that the Toulouse police had placed at my disposal with a fake police ID ») in order to directly contact many of the bands of fighters in the département with orders for them to immediately converge in Toulouse, where the Germans were harassing the populace whenever possible. But not everything went according to plan. « We were naive, we weren't thinking clearly », he would say later. The liberation accomplished, at the end of September 1944, he replaced Serge Ravanel as the regional head of the French Interieur Forces. He moved into the Niel Palace and took over as the head of the remaining active units. « I was a soldier by necessity » he swore.
When the circumstances permitted, Jean-Pierre Vernant returned to civilian life. In 1946 he became a professor at the Jacques Decour High School in Paris. But research called to him. In 1948 he entered the Centre national de la recherche scientifique (National Center for Scientific Research). He became one of the premier specialists on ancient Greece, her religion and myths. From 1958 to 1975 he taught at Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (the School of Higher Studies of Social Sciences) and from 1975 to 1984 he was a professor at the Collège de France, one of the most prestigious research and higher education institutions in France. A recipient of the Ordre de la Libération (the second-highest honor in France), Grand Officer of the Légion d'honneur, recipient of the Grand Croix de l'Ordre national de Mérite and holder of numerous other titles and distinctions, he is also the author of numerous books and scholarly works. He remained, however, a keen observer of his time. A renewed member of the Communist Party, he was an active critique often and was often on the fringe of the Party, to the point of progressively distancing himself from the Party and leaving it in 1970. He was the image of an engaged intellectual, always ready to defend the values of democracy to which he was so attached. The Resistance had a marked impact on him. Among other things, it taught him « that there are moments where there isn't a choice (...), there are also situations that are abnormal » and that there are moments where « life is only worth living if you have the chance to do something worthwhile ». Power did not have much appeal for him. « During the Resistance, there wasn't an institutionalized hierarchy, but there were men who were leaders. Why listen to them and risk dying because of their orders? » Jean-Pierre Vernant was not a born leader, he became one because the circumstances demanded it. But « deep down, he believed, I was an optimist, I always dreamed of creating groups united by friendship and equality ». The Resistance permitted him to create this type of group and these types of relationships: despite his honors, he never lost sight of his former comrades and he continued to maintain exceptional ties of friendship and trust with them. He died January 9 2007, after having just celebrated his 93rd birthday.
Traduction : Carolyn Burkett
Michel Goubet, "Jean-Pierre Vernant" in CD-ROM La Résistance en Haute-Garonne, AERI, 2008