Instructions reçues par Brossolette pour la mission "Brumaire"
Légende :
Ordre de mission définitif de Pierre Brossolette dactylographié le 24 janvier 1943 sur "un mouchoir de linon blanc".
Genre : Image
Type : Ordre de mission
Source : © Archives nationales, 72AJ 2215 Droits réservés
Détails techniques :
Mouchoir dactylographié
Date document : 24 janvier 1943
Lieu : Angleterre - Londres
Analyse média
Le 12 décembre 1942, le général de Gaulle signait l'ordre de mission de Pierre Brossolette au nom de Philippe Bernier. Ce même jour, Brossolette fut nommé chef de mission de 1ère classe, à compter du 20 janvier 1943. L'ordre de mission définitif de Pierre Brossolette fut dactylographié le 24 janvier 1943 sur "un mouchoir de linon blanc" que celui-ci allait emporter "dissimulé dans un talon de chaussure". Aussi précis qu'ambitieux, ce texte commandait :
"La mission BRUMAIRE a trois buts essentiels :
1° Procéder en Z.O. à la séparation la plus stricte possible entre tout ce qui concerne le renseignement d'une part, et l'action civile et militaire d'autre part.
2° Procéder à l'inventaire de toutes les forces qui, soit dans le cadre des groupements de résistance, soit dans le cadre de groupements spécifiques comme l'O.C.M., soit dans le cadre des organisations politiques, syndicales ou religieuses, peuvent jouer un rôle dans le soulèvement national en vue de la Libération. En prévoir la mise à la disposition de l'E.M.Z.O. soit à l'échelon de la Z.O. tout entière, soit préférablement à l'échelon régional.
3° Rechercher d'une part à la faveur de contacts directs et d'autre part en collaboration avec les organismes mentionnés plus haut les cadres d'une administration provisoire de la Z. O. au jour de la Libération.
Cette triple mission se traduira par les dispositions suivantes :
1° Pour la recherche directe des cadres administratifs de la Z.O. libérée, contacts avec Baudouin et Vinci. Baudouin est prévu comme chef civil provisoire de l'administration, Vinci comme préfet de la Seine. En cas d'échec de ces contacts, prospection et propositions au Comité National qui décidera les choix nouveaux.
2° C.N.D. Aucun contact, la C.N.D. devant en revenir à sa mission exclusive de renseignement.
3° Réseaux de renseignements Cohors et Couleuvre : réalisation de l'indépendance de leurs transmissions tant vis-à-vis de la C.N.D. que vis-à-vis des organismes d'action Z. O.
4° O.C.M. Séparation de la branche renseignements et de la branche action. Détermination des moyens de transmission immédiatement nécessaires pour l'une et l'autre de ces branches. Recensement des forces réellement mobilisables de l'O.C.M. Examen des contacts civils de l'O.C.M. et étude des éléments qui pourraient être fournis par l'O.C.M. à l'administration de la Z.O. libérée.
5° Communistes. Cloisonnement strict du service de renseignement FANA qui devra avoir l'indépendance de son courrier et de ses transmissions tant vis-à-vis de la C.N.D. que des organisations communistes d'action. Les modalités de la collaboration de ces dernières avec l'E.M.Z.O. seront établies par la mission ARQUIBUSE. Au cas où celle-ci ne pourrait être acheminée, des instructions nouvelles seraient envoyées à la mission Brumaire.
6° Groupements de résistance Z.O. Contact préparatoire avec M. en vue de rencensement de leurs forces réelles. Préparation pour la mission ARQUEBUSE des contacts avec les chefs de ces différents groupements. Communication à M. d'un résumé du projet de E.M.Z.O. Demande à M. d'un avant-projet à l'intention de la mission ARQUEBUSE sur la collaboration des groupes d'action de ces organisations de résistance, soit à l'échelon zone, soit à l'échelon région. Préparation de l'acheminement de leurs renseignements, grâce à une boîte aux lettres par un réseau indépendant des groupes d'action.
7° Syndicalistes et socialistes. Au point de vue syndicaliste, prospection dans les trois grandes organisations actuellement les moins contactées (instituteur, postier, cheminot), en vue de de (ci miner quelle pourrait être leur contribution au renseignement et à l'action soit directement, soit par apport aux organisations déjà existantes (notamment Libération). Au point de vue socialiste contact avec le Comité d'Action Z.O. en vue d'étudier la collaboration soit directe soit par l'entremise d'organisations déjà existante:. (notamment Libération).
8° Catholiques. Contacts avec la Jeunesse Catholique en vue de déterminer que pourrait être sa contribution à l'action libératrice."
Un autre texte, présenté au verso de cette notice, daté lui aussi du 24 janvier 1944, signé par le général d'Astier de la Vigerie et ANdré Philip, précisait l'étendue des pouvoirs du commandant Bourgat (Brossolette) en France.
"Au cas où les communiocations seraient coupées entre le général de Gaulle et la France au cours d'une période de plus d'un mois, ceux des chefs de missions Arquebuse, Brumaire, Rex et Pallas qui seront sur le territoire métropolotain et libres d'agir seront conjointement compétents pour :
1- exprimer et interpréter les directives du général de Gaulle et du Comité national français,
2- désigner dans chaque zone l'un d'entre eux pour prendre en commun avec les représentatnts de la Résistance au sein de chacun des deux comités de coordination les mesures jugées utiles à la libération du pays.
Ces pouvoirs prendront fin automatiquement au moment où, les communications étant rétablies, des ordres pourront à nouveau être transmis par les autorités compétentes de la France combattante".
Sur un pied d'égalité avec Jean Moulin et André Manuel, alors en France, ou avec le lieutenant-colonel Passy, en instance de départ, Pierre Brossolette était ainsi intronisé représentant du général de Gaulle et du Comité national français.
Guillaume Piketty, Pierre Brossolette, un héros de la Résistance, Paris, Odile Jacob, 1998.
Contexte historique
Après avoir été durant l'automne 1942, de Londres, l'un des alliés de Moulin alors en mission en zone libre, Brossolette repartit pour la France le 27 janvier 1943 pour la mission "Brumaire". En deux mois et demi, avec le colonel Passy et l'agent anglais du Special Operations Executive (SOE) Forest Yeo-Thomas qui le rejoignirent fin février, il coordonna l'action civile et militaire des cinq plus importants mouvements de Résistance de la zone Nord (Ceux de la Libération, Ceux de la Résistance, Front national, Libération-Nord et OCM). Le 26 mars, Brossolette et Passy réunirent les chefs de ces mouvements en un Comité de coordination de zone Nord (CCZN). Dans la foulée, ils réunirent les responsables paramilitaires des mêmes mouvements en un Comité de coordination militaire. Après avoir présenté le CCZN à Jean Moulin le 3 avril, puis le Comité militaire à Moulin et Delestraint le 12 avril, ils repartirent pour l'Angleterre dans la nuit du 15 au 16 avril, en compagnie de Yeo-Thomas. Il ne fait pas de doute qu'en s'en tenant ainsi à son ordre de mission initial concernant la seule zone Nord, et en épousant l'hostilité des organisations résistantes à la prise en compte de partis politiques dans les instances dirigeantes de la Résistance française, Pierre Brossolette passa outre les "Nouvelles Instructions" du 21 février que le colonel Passy lui avait pourtant apportées en le rejoignant en France. Il n'en reste pas moins que la mission "Brumaire" fut un succès, et contribua à la formation, en mai 1943, du CNR et de l'état-major de l'Armée secrète (AS).
Guillaume Piketty, "Pierre Brossolette" in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004