Pierre Brossolette
Né le 25 juin 1903 à Paris, journaliste de gauche, antifasciste, Pierre Brossolette est membre de la SFIO. En 1940, il rejoint le réseau du Musée de l’Homme puis la Confrérie Notre-Dame. Il prend des contacts avec de multiples organisations (CAS, Libération-nord, OCM…). Ayant rejoint Londres, il devient l'adjoint de Passy au BCRA et effectue trois missions clandestines en France. Pierre Brossolette est l'un des principaux artisans de l'unification de la Résistance française. Arrêté le 3 février 1944, il se suicide le 22 mars 1944.
Une vocation politique haut ▲
Né à Paris le 25 juin 1903 dans une famille d'enseignants républicains, Pierre Brossolette entra premier à l'ENS de la rue d'Ulm en 1922 et fut reçu deuxième à l'agrégation d'histoire en juin 1925. Après son service militaire, ce militant de la SDN et du rapprochement franco-allemand choisit de devenir journaliste. En quelque treize années d'activité débordante, il s'imposa progressivement comme un analyste reconnu de la politique internationale, écrivant dans les colonnes, notamment, de Notre Temps, de L'Europe Nouvelle et du Populaire, et s'exprimant au micro de Radio-PTT, la radio d'État, de l'automne 1936 au mois de février 1939. Hostile au fascisme italien dès 1927, avertissant ses lecteurs contre le nazisme à partir de 1930, lucide sur la diplomatie soviétique, la duplicité germano-italienne en Espagne et la stratégie nazie en Europe centrale, il mit cependant près de dix années pour renoncer définitivement aux idéaux briandistes. De l'automne 1938 à la déclaration de guerre, cet antimunichois farouche fut en revanche au nombre des très fermes défenseurs de "l'esprit de Résistance".
Membre de la Grande Loge de France en 1927, de la Ligue des Droits de l'Homme et de la LICA, Brossolette se signala très tôt par ses engagements humanistes. Entre 1926 et 1930, il s'inscrivit au nombre des jeunes intellectuels proches du radicalisme qui s'efforçaient de réfléchir à la modernisation administrative, économique et sociale de la France. Toutefois, déçu par le manque d'ambition réformatrice du parti radical, il adhéra à la SFIO, fédération de la Seine, au printemps 1930. De 1932 à l'été 1939, et malgré ses échecs aux élections cantonales de 1934 et législatives de 1936, il milita activement à la tête de la fédération socialiste de l'Aube. Membre successivement du groupe planiste de Révolution constructive, de La Bataille socialiste, puis de la tendance "Agir" des antimunichois de la SFIO, il participa aux difficiles débats doctrinaux qui agitèrent son parti au long des années trente.
1939-1940 : la confrontation avec la guerre haut ▲
Officier de réserve, Pierre Brossolette fut mobilisé le 23 août 1939. Après avoir passé la Drôle de Guerre à ronger son frein, le capitaine Brossolette subit de plein fouet, comme tant d'autres, la débâcle des armées alliées. Du 13 au 25 juin cependant, il conduisit son unité dans une invraisemblable retraite de plus de cinq cents kilomètres au terme de laquelle près de la moitié de ses effectifs purent échapper à la captivité. Ce triste fait d'armes fut le premier acte de Résistance de Brossolette, et lui valut la Croix de Guerre.
Pionnier de la Résistance haut ▲
Patriote et conscient du caractère mondial de la lutte pour la liberté, convaincu dès l'été 1940 que la France se trouvait engagée dans une "guerre de trente ans" et qu'il lui fallait donc, d'une façon ou d'une autre, poursuivre le combat, désireux de lutter contre le nazisme et le régime de Vichy, Brossolette mit cependant six mois à se relever du traumatisme né de la débâcle et des renoncements politiques de juillet 1940 et à établir une première connexion avec un organisme résistant. En mars 1941, à Paris, il rejoignit le groupe dit "du Musée de l'Homme". Quelques semaines plus tard, il entra en contact avec les socialistes résistants de zone occupée (CAS) puis avec les premiers militants du mouvement Libération-Nord. Devenu "chef de la section presse et propagande" du réseau Confrérie Notre-Dame (CND) en novembre 1941 sous le pseudonyme de "Pedro", il transmit à la France libre, au cours de l'hiver 1941-1942, plusieurs rapports fort instructifs sur l'état de l'opinion et de la classe politique françaises, ainsi que sur la Résistance naissante en zone occupée. Simultanément, il donna la liaison avec Londres aux deux principaux mouvements de Résistance du Nord de la France, l'Organisation civile et militaire (OCM) et Libération-Nord, et eut, en zone libre, des contacts avec les mouvements Combat et Libération-sud, ainsi qu'avec le groupe Pierre Bertaux à Toulouse.
Au BCRA à Londres haut ▲
Parvenu à Londres au printemps 1942, fort de son expérience politique, de son incontestable patriotisme et de son statut de précurseur de la Résistance, riche de son excellente connaissance du combat de l'ombre et de la France occupée, cet intellectuel brillant et charismatique s'imposa rapidement parmi les décideurs de la France libre. Le 1er octobre 1942, il devint adjoint du colonel Passy, à la tête du Bureau central de renseignement et d'action (BCRA). Compagnon de la Libération et membre du Conseil de l'Ordre dès octobre 1942, Pierre Brossolette ("Bourgat") appartint au saint des saints des forces gaullistes, sans abdiquer pour autant sa lucidité sur l'homme du 18 juin, comme en témoigne notamment la lettre en forme de véritable volée de bois vert qu'il adressa à Charles de Gaulle le 2 novembre 1942.
De juin 1942 à mars 1944, Pierre Brossolette effectua trois missions clandestines en France. Du 3 juin au 13 septembre 1942, il travailla à convaincre des personnalités de divers horizons politique, philosophique ou religieux de rallier la France combattante. C'est ainsi qu'André Philip et Louis Vallon parvinrent à Londres en juillet 1942, le premier devenant presque immédiatement Commissaire à l'Intérieur au sein du Comité national français. L'arrivée dans la capitale anglaise de Charles Vallin, ancien leader du PSF, au mois de septembre suivant, ne fut en revanche pas couronnée du même succès.
La mission "Brumaire" haut ▲
Après avoir été durant l'automne 1942, de Londres, l'un des alliés de Moulin alors en mission en zone libre, Brossolette repartit pour la France le 27 janvier 1943 pour la mission "Brumaire". En deux mois et demi, avec le colonel Passy et l'agent anglais du Special Operations Executive (SOE) Forest Yeo-Thomas qui le rejoignirent fin février, il coordonna l'action civile et militaire des cinq plus importants mouvements de Résistance de la zone Nord (Ceux de la Libération, Ceux de la Résistance, Front national, Libération-Nord et OCM). Le 26 mars, Brossolette et Passy réunirent les chefs de ces mouvements en un Comité de coordination de zone Nord (CCZN). Dans la foulée, ils réunirent les responsables paramilitaires des mêmes mouvements en un Comité de coordination militaire. Après avoir présenté le CCZN à Jean Moulin le 3 avril, puis le Comité militaire à Moulin et Delestraint le 12 avril, ils repartirent pour l'Angleterre dans la nuit du 15 au 16 avril, en compagnie de Yeo-Thomas. Il ne fait pas de doute qu'en s'en tenant ainsi à son ordre de mission initial concernant la seule zone Nord, et en épousant l'hostilité des organisations résistantes à la prise en compte de partis politiques dans les instances dirigeantes de la Résistance française, Pierre Brossolette passa outre les "Nouvelles Instructions" du 21 février que le colonel Passy lui avait pourtant apportées en le rejoignant en France. Il n'en reste pas moins que la mission "Brumaire" fut un succès, et contribua à la formation, en mai 1943, du CNR et de l'état-major de l'Armée secrète (AS).
La dernière mission : l'opération "Marie-Claire" haut ▲
Candidat malheureux à la succession de Jean Moulin, Pierre Brossolette ("Briand", "Boutet", "Baron") revint en France en compagnie de Forest Yeo-Thomas dans la nuit du 18 au 19 septembre 1943 avec pour mission d'installer le nouveau Délégué général du CFLN, Émile Bollaert dans ses fonctions et de coopérer aux projets de réforme de la presse à la Libération. Fort de son impressionnante connaissance du milieu résistant de la zone Nord, profitant pleinement de l'imprécision d'un ordre de mission objectivement trop réduit pour une personnalité de son envergure, de la position centrale conférée à Bollaert ainsi que de l'étendue du champ d'action assigné à Yeo-Thomas, Brossolette déploya pendant près de trois mois une activité tous azimuts. Au passage, il reprit contact avec ses camarades de la fédération socialiste de l'Aube, en prévision de la Libération. Au final, si avec Forest Yeo-Thomas il fit incontestablement œuvre utile pour renforcer et améliorer l'organisation paramilitaire de la Résistance intérieure et préparer la Libération, Pierre Brossolette n'en prit pas moins quelques libertés avec les instructions reçues d'Alger, soutenant notamment le Comité central des mouvements de Résistance (CCMR) rival du CNR, et marquant son net scepticisme à l'égard de la création d'un Bureau réduit à cinq membres au sein de ce dernier. Ce faisant, il battit en brèche l'autorité de Georges Bidault, nouveau président du CNR, ainsi que de Claude Bouchinet-Serreulles et Jacques Bingen qui, durant l'été, avaient assumé conjointement l'intérim du Délégué général.
La mort de Brossolette haut ▲
Rappelé à Londres en même temps que Bouchinet-Serreulles, Brossolette argua de ce que sa mission n'était pas complètement achevée pour ne pas monter dans le Lysander qui, dans la nuit du 15 au 16 novembre 1943, emmena Yeo-Thomas en Angleterre. Après avoir échoué dans ses tentatives de départ de décembre 1943 puis de janvier 1944, Pierre Brossolette choisit avec Émile Bollaert de se rabattre sur une filière maritime. Embarqués le 2 février au soir avec une quinzaine de compagnons, les deux hommes s'échouèrent avec leur bateau "Le jouet des flots" à l'aube du 3 février à l'entrée de la baie d'Audierne. Recueillis par les résistants locaux, ils furent arrêtés le soir même au cours d'un contrôle de routine, alors qu'ils s'efforçaient de quitter la zone côtière. Incarcéré avec Bollaert à la prison de Quimper puis à celle de Rennes, Brossolette fut identifié par les nazis le 16 mars. Transféré à Paris avec Bollaert dans la nuit du 19 au 20 mars, torturé sans relâche pendant deux jours et demi, il se suicida le 22 mars sans avoir parlé.
Pierre Brossolette : propagandiste et homme politique haut ▲
Ce bref panorama du parcours de Pierre Brossolette en Résistance serait incomplet sans l'évocation de ses activités de propagandiste et d'homme politique. D'article en conférence publique, ainsi qu'au micro de la BBC, Brossolette se fit en effet l'ardent promoteur de l'entreprise gaullienne. Dénonçant régulièrement Vichy et la Collaboration, il milita en faveur de l'union des résistants derrière Charles de Gaulle, tout en évoquant une France nouvelle régénérée dans ce qu'il appelait "l'esprit de la Résistance". Plus encore peut-être, il fut le chantre inspiré de l'épopée française combattante et de l'action des "soutiers de la gloire", selon l'expression qu'il employa le 22 septembre 1942 pour désigner les résistants anonymes. Par ailleurs, persuadé qu'à la Libération la France renaîtrait naturellement aux libertés et à la démocratie partisane, il se signala par la constance de sa réflexion pour la rénovation politique, économique et sociale de son pays. Ecœuré par le renoncement du 10 juillet 1940, mais convaincu de l'importance que leur ralliement aurait aux yeux des Alliés, il finit par admettre la prise en compte des partis politiques qui avaient rejoint la dissidence au sein des instances dirigeantes de la Résistance française. À titre personnel, on l'a dit, cet homme qui se voulut, selon ses propres termes, "gaulliste le temps de la guerre et de la Libération" n'abjura jamais son engagement socialiste et consacra même une part de sa dernière mission à ranimer ses réseaux politiques dans la perspective de la libération prochaine.
Un destin posthume contrasté haut ▲
Pourtant exemplaire de l'infime minorité qui sut s'extraire du désastre de 1940 et s'opposer, puis devenu l'un des principaux artisans de l'unification de la Résistance française, Pierre Brossolette connut un destin posthume contrasté. Dès la fin de la guerre et pendant près de vingt années, il s'imposa dans les mémoires françaises comme l'une des grandes figures de la Résistance. L'entrée des cendres de Jean Moulin au Panthéon, le 19 décembre 1964, acheva de rejeter sa mémoire dans l'ombre. Depuis 1984, le renouvellement de l'historiographie de la Résistance et deux commémorations nationales ont rendu à son souvenir une place plus conforme à ce qu'avait été son oeuvre en Résistance.