Lettre de Pierre Brossolette au général de Gaulle, 2 novembre 1942
Légende :
Au début du mois de novembre 1942, Pierre Brossolette écrit une « lettre privée » au général de Gaulle. Par cette missive adressée hors de toute voie hiérarchique, de « conscience » à « conscience », il souhaite alerter l’homme du 18 Juin sur les défauts de sa personnalité. Il veut également le mettre en garde contre les conséquences fâcheuses que ses méthodes de travail et de décision peuvent avoir pour la France Combattante et, à terme, pour la France.
Genre : Image
Type : Lettre manuscrite
Source : © Archives nationales, 72 AJ 2215 Droits réservés
Détails techniques :
Lettre manuscrite de 7 pages
Date document : 2 novembre 1942
Lieu : Angleterre
Analyse média
Comme tous les Français Combattants, aussi expérimentés et lucides soient-ils, Pierre Brossolette a subi l'ascendant du général de Gaulle dès leur première rencontre au printemps 1942. Mais l’ancien patron de la fédération socialiste de l’Aube et proche de Léon Blum, l’ancien journaliste en vue spécialisé dans l’analyse de la politique internationale aussi bien à l’écrit qu’à la radio, le combattant de 1940 devenu un pionnier de la résistance sait ce qu’il vaut et ce qu’il apporte à la France Combattante. Il n’a rien abdiqué de sa lucidité et de son esprit critique. Il n’hésite donc pas écrire son fait au Général. Il hésite d’autant moins que, par ailleurs, il ne cesse de défendre les options gaulliennes devant tous les publics et par tous les moyens possibles.
En homme pétri d’histoire qui a eu l’occasion, depuis le milieu des années 1920, de fréquenter des leaders politiques, d’analyser leur action et de passer au crible le fonctionnement de leur entourage, en démocrate et républicain soucieux qu’en matière politique notamment, la France tire le meilleur du cataclysme qui l’a momentanément abattue, Brossolette estime devoir mettre en garde de Gaulle contre son tempérament autoritaire, contre son peu de goût pour le débat et contre les possibles dérives que de telles pratiques peuvent laisser craindre. Aussi conjure-t-il le Général, « pendant qu’il en est temps encore », de faire sur lui-même « l’effort nécessaire » et de davantage tenir compte des suggestions formulées par ceux qui l’ont rejoint, commissaires nationaux en tête, afin de ne pas ruiner, dès la Libération, le projet de rénovation politique, économique et sociale dont la France Combattante est porteuse.
Lorsqu’il rédige cette lettre, Pierre Brossolette se fonde sur son observation, depuis le printemps précédent, des attitudes, méthodes et pratiques gaulliennes. Aux premiers temps de la France Libre, bricolage des débuts obligent, ces dernières ont très clairement correspondu à une certaine forme d’« exercice solitaire du pouvoir » (Jean-Louis Crémieux-Brilhac). Mais, à l’automne 1942, l’homme du 18 Juin a déjà entrepris sa mue vers un style de gouvernement relativement moins « monarchique ». Il la poursuivra dans le cadre du Comité français de la Libération nationale et, plus encore, du Gouvernement provisoire de la République française, rendant caduques certaines des remarques formulées par Brossolette.
En tout état de cause, ce dernier s’inscrit avec ces lignes au petit nombre des hommes qui – tels par exemple Jacques Bingen ou André Philip – ont osé, à un moment ou à un autre de la guerre, pour une raison ou pour une autre, adresser une volée de bois vert au général de Gaulle. Force est de constater que cette missive du 2 novembre 1942 porta un rude coup à la position de son auteur. Elle fut vraisemblablement l'une des raisons qui poussèrent le Général à ne pas nommer Pierre Brossolette à la succession de Jean Moulin au cours de l'été 1943.
Voir la retranscription de la lettre
Guillaume Piketty
Contexte historique
À l’automne 1942, Pierre Brossolette occupe une position enviable au sein de la France Combattante dont il fait partie des décideurs. Intellectuel brillant et charismatique, fort de l’expérience acquise depuis la fin des années 1920 au sein du parti radical puis de la SFIO, il se sait porteur d’une compétence politique dont les services gaullistes sont encore largement dépourvus. Engagé en résistance dès la fin de l’hiver 1941 avec le groupe dit « du Musée de l’Homme », chef de la « Section presse et propagande » de la Confrérie Notre-Dame (CND) du colonel Rémy en novembre 1941, il bénéficie de l’aura des pionniers de l’armée des ombres et est convaincu de parler au nom des « soutiers de la gloire » de la zone occupée. D’une série d’entretiens avec le fondateur de la France Libre au mois de mai 1942, il a acquis la conviction que celui-ci est l’homme de la situation, que seul le mouvement gaulliste permettra la libération puis la rénovation de la France, et qu’il convient d’unifier la Résistance derrière le Général.
Après avoir persuadé de Gaulle de faire venir à Londres des personnalités françaises représentatives afin d’accroître sa légitimité aux yeux des Français émigrés et des Alliés, Brossolette vient d’effectuer une mission clandestine en France (3 juin – 13 septembre 1942) au cours de laquelle il a, notamment, favorisé le départ pour l’Angleterre des socialistes André Philip et Louis Vallon puis celui de Charles Vallin, l’ancien député du Parti social français (PSF). Le 1er octobre, sous le nom de Bourgat, il est devenu l’un des adjoints du colonel Passy à la tête du Bureau central de renseignement et d’action (BCRA). Le 17 octobre, avec Jean Moulin, il a été le premier responsable de la résistance intérieure élevé à la dignité de Compagnon de la Libération. Le 28 octobre, il a été nommé membre du Conseil de l’Ordre. De telles distinctions attestent la considération que de Gaulle lui porte. Par ailleurs, depuis son retour de mission, il a entrepris de développer une activité de propagandiste et d’homme politique contre Vichy et la Collaboration, pour la Résistance et la France Combattante, au service de la future rénovation de la France.
Mais, deux fois en une quinzaine de jours, Pierre Brossolette a éprouvé la rudesse de la férule gaullienne. Le 23 octobre, le chef de la France Combattante a signé l'ordre envoyant Charles Vallin en mission d'information et d'inspection au Levant, en Égypte et en Afrique française libre. Ce faisant, il a scellé l'échec de l'opération politique liée au ralliement de l'ancien bras droit du colonel de La Rocque. Par ailleurs, l’imminence d’une opération alliée en Afrique du Nord a fait naître l'idée d'envoyer une mission de la France Combattante à Alger. Pierre Brossolette a tout fait pour en être. En pure perte car la complexité de la situation a conduit de Gaulle à réserver sa décision – d’abord envisagée comme officieuse, la mission prendra finalement corps à la mi-décembre avec le voyage à Alger du général François d'Astier de la Vigerie.
Guillaume Piketty
Archives nationales, 72 AJ 2215, droits réservés
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