Jean Zay

Avocat et journaliste, élu en 1932 député radical socialiste de la première circonscription du Loiret dès sa première tentative, à 27 ans, Jean Zay sera le plus jeune ministre de la troisième République en 1936, à 31 ans. Il sera le titulaire jusqu'à la guerre durant quarante mois d'un très vaste portefeuille de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts, qui couvrit aussi les départements actuels de la recherche, de la jeunesse et des sports. Il lance de profondes réformes de l’enseignement scolaire et technique, de la recherche, du droit d’auteur. Il propose la création de l’École nationale d’administration. Figurent parmi les actions de Jean Zay pour la culture : une réforme des Archives nationales et de la Bibliothèque nationale, les bibliobus, le développement du théâtre populaire, l’exposition universelle de 1937, la création du premier Festival de Cannes prévu en 1939 pour contrer la Mostra fasciste de Venise. A la déclaration de la guerre, Jean Zay démissionne de son poste de ministre pour s'engager dans l'armée française, puis il rejoint l’Afrique du Nord à bord du Massilia. En 1940, après une parodie de procès militaire, véritable procès politique, la dictature de Vichy le condamne à la même peine que Dreyfus. Quatre ans plus tard, les miliciens viennent le chercher dans sa prison de Riom le 20 juin 1944, l'assassinent et dissimulent son corps qui ne sera retrouvé qu'en 1948.

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Un héritier de la République radicale et un enfant de la Grande guerre haut ▲

Né en 1904, Jean Zay est un enfant de la République radicale autant par sa mère, Alice Chartrain, dont la famille protestante s'illustre dans la défense de Dreyfus et la Ligue des droits de l'Homme, que par son père, Léon Zay, descendant de familles juives d'Alsace-Moselle ayant opté pour la France après la guerre de 1870, lui-même rédacteur en chef du Progrès du Loiret, l'organe quotidien des radicaux socialistes d'Orléans. Si on ajoute que la famille Chartrain est apparentée à des élus radicaux d'Orléans, et que Léon Zay est le bras droit au journal du maire Fernand Rabier, un des rédacteurs combistes de la Loi de Séparation de 1905, on mesure la force de ce terreau républicain, radical, de gauche, dans la lignée de Ferdinand Buisson.

La Grande Guerre va faire de Jean Zay un écolier profondément patriote comme le montrent sa copie du certificat d'études ainsi que ses remarquables journaux de 1916 à 1918, véritables quotidiens sur trois colonnnes, avec éditoriaux, cartes du Front, feuilletons, etc, réalisés à l'imitation de son père qui fit l'intégralité des 52 mois de guerre comme artilleur. Durant la Grande Guerre, le patriotisme de Jean Zay ira jusqu'à s'imprégner d'une culture de guerre qui n'hésite pas à dépeindre l'Allemand en “boche...lâche, fourbe” et à le représenter en soldat brutal capable de “couper les mains”, “enterrer vivants les prisonniers”.

La guerre terminée, le jeune Jean Zay répudie la violence de sa culture de guerre : il devient pacifiste comme la grande majorité de sa génération, mais sans jamais déroger à ses devoirs militaires. Ainsi, il effectue son service national en 1926-1928 comme simple soldat. A cette date, fidèle aux engagements de son père, il a déjà adhéré au Parti radical, dès sa majorité en 1925, mais aussi à la Ligue des droits de l'Homme (1926), et il a été initié à la Loge Etienne Dolet du Grand Orient de France (1926).

Avocat et député radical du Loiret haut ▲

La fabrique locale d'un homme politique national, précurseur du Front populaire.

A la fois journaliste à La France du Centre (le nouveau nom du Progrès du Loiret), et avocat au barreau d'Orléans (il plaidera jusqu'à son entrée au gouvernement en 1936), il entame une carrière politique à la fois locale et nationale en refondant la section orléanaise des Jeunesses laïques et républicaines en 1928. Dès 1930, il est élu vice-président de la fédération des JLR, c'est son premier mandat national, grâce auquel il part en tournée de conférences pour la promotion de la coopération internationale en Allemagne. Comme pour Pierre Mendès-France, son ami, les JLR qui réalisaient chez les jeunes l'union des gauches, constitueront son premier réseau personnel, au delà des cercles radicaux hérités de sa famille : une fabrique du front populaire. Une fois élu à la Chambre en 1932 – de justesse, mais avec quelle précocité ! - c'est ainsi, comme jeune radical favorable au rassemblement des gauches, qu'il se fait connaître. Ses interventions lors des congrès radicaux sont remarquées au point qu'il est chargé du rapport de politique générale au congrès de Wagram en 1935. Il est alors une étoile montante des radicaux, classé à la gauche du vieux parti, favorable à un antifascisme antihitlérien, votant tous les crédits de la défense face aux menaces des dictatures, membre du Front populaire dès sa création. Ce n'est donc pas une surprise si, malgré son jeune âge, Léon Blum en fait son ministre à 31 ans.

Ministre de l'Education nationale et des Beaux-arts haut ▲

Un homme d'Etat républicain, de Front populaire.

Jean Zay fut ministre du Front populaire de juin 1936 à ...septembre 1939, bien au delà de la fin des gouvernements Blum, car son action garda toute sa cohérence frontiste de progrès social par la démocratisation de la culture malgré les changements de majorité à la Chambre. En effet, à l'époque de Zay, la République change sa conception de la démocratisation. La République des Jules, celle des fondateurs de la Troisiéme, était conçue pour démocratiser politiquement la France. Sous Ferry, il s'agissait de fabriquer des petits républicains. Sous Jean Zay, à la suite des prises de conscience de Jaurès ou des radicaux comme Buisson et du choc démographique de la Grande Guerre, il s'agit de démocratiser socialement la France, afin de remplacer les générations disparues et de promouvoir la justice sociale.

Dans ce sens, l'oeuvre de Jean Zay, secondé par des collaborateurs remarquables comme Léo Lagrange (à partir de 1937), Jean Cassou, Georges Huisman, Julien Cain, Cécile Brunschvicg, Jean Perrin, Gustave Monod..., est considérable. Certes, elle est souvent plus pionnière qu'immédiate car ses projets peuvent être bloqués par les conservatismes du Parlement ou les urgences de la politique internationale.

Concrétement, cela se traduisit par le lancement de la réforme de structure de l'enseignement qui devait conduire de l'école unique au collège unique, la mise en route des réformes construisant un théâtre populaire autour de Jouvet ou Pitoëff, la création du CNRS, celle des bibliobus, celle du CSOS, l'ancêtre du CROUS, la mise en oeuvre du brevet sportif populaire et la création de l'USEP, le projet de l'ENA et celui d'un statut du cinéma, l'invention des prix ancêtres des Césars ainsi que du premier Festival de Cannes.

A première et rapide vue, l'ensemble peut paraître décousu, mais c'est pourtant tout le contraire, car c'est notre conception de la démocratisation de la société initiée par l'Etat qui se refonde autour de la “popularisation de la culture” (Pascal Ory). D'ailleurs, cette action de réforme sera reprise à la Libération jusqu'à nos jours, et les questions qu'elle posaient restent les nôtres : comment démocratiser la culture dans un creuset commun d'éducation pour tous ?

“Je vous zay” (Céline) haut ▲

La cible des haines antisémites, antimaçonniques, antifrontistes

La haine qui environna Jean Zay fut aussi précoce que sa carrière. Elle dure parfois jusqu'à nos jours. Dès sa première campagne en 1932, il est en butte aux attaques de l'extrême droite tant il incarnait tout ce que les Maurrassiens détestaient sous le nom des “quatre états confédérés de l'antiFrance : le juif, le protestant, le franc-maçon et le métèque”. En effet, d'origine juive par son père, baptisé, marié (puis enterré) au temple protestant d'Orléans, franc-maçon, il ne pouvait qu'être “météque” puisque pour l'essentialisme maurrassien un juif, protestant, franc-maçon, ne peut être Français. Pour le dire comme Le journal du Loiret en 1937 : “Un juif baptisé devient peut-être un chrétien, mais il ne devient pas un Français”. De plus, ses engagements politiques à gauche, stimulaient les fureurs “antibolcheviques” des ennemis de la République, sans compter la nature de son poste à l'Education nationale qui le fit accuser de “corrupteur de la jeunesse” dans la longue lignée qui remonte à Socrate.

Dès lors, on ne s'étonne pas de voir les ténors d'Action française, instrumentaliser jusqu'à la nausée, un pastiche de jeunesse intitulé Le drapeau. Alors que ce texte de 1924 exprime – sous une forme empruntée à un vocabulaire étranger à tous les autres écrits de Zay, même à cette époque - un humanisme outré, qui traine dans les boues des massacres de la Grande Guerre le drapeau du nationalisme destructeur de l'humanité, l'extrême-droite en fait, jusqu'à nos jours parfois, la preuve de l'antipatriotisme présumé de Jean Zay et de “tous ceux de sa race”. Peuvent alors se déchainer toutes les plumes des ennemis de la patrie républicaine, celle de Jouhandeau et de Daudet, celle de Céline aussi qui va jusqu'à transformer dans L'école des cadavres en 1938, le nom propre de Zay en verbe sale : “Je vous Zay”.

A Orléans, cette haine antisémite, antimaçonnique, antifrontiste, sera même reprise durant la campagne législative de 1936 par l'adversaire modéré de Jean Zay, Maurice Berger qui utilisa Le drapeau alors qu'il s'en était abstenu en 1932, marquant ainsi un glissement de la droite républicaine locale vers les thèses ultra, signe d'une crise d'identité politique profonde à la fin des années 1930.

Face à cet essentialisme qui finit par l'assassiner le 20 juin 1944 sous les balles de miliciens allant jusqu'à faire disparaitre son corps (qui ne sera retrouvé que quatre ans plus tard !), Jean Zay donnera du fond de sa prison une leçon de républicanisme en formulant ainsi sa position face à la haine : “cible notoire de la campagne antisémite (bien que protestant, comme le fut toute mon ascendance maternelle, j'ai toujours tenu à honneur de ne rien démentir sur un pareil sujet)”

Un combattant patriote antifasciste, résistant haut ▲

Jean Zay fut un patriote républicain constant. Il le manifesta dès ses années d'écolier de guerre, on l'a vu, mais aussi durant ses années d'étudiant pacifiste car, comme pour Jaurès, son pacifisme ne s'opposait pas au patriotisme défensiste cher aux républicains. Ainsi, il effectua son service militaire avec sa classe, on l'a dit. Dans les années 1930, ce patriotisme républicain se reforgea dans les combats antifascistes. Bien plus tôt que d'autres à gauche comme à droite, il comprit, dès 1934, que s'opposer à l'extrême droite française devait se doubler d'une résistance aux avancées des puissances fascistes et nazie. De façon précoce et lucide, il ne sépara pas la lutte contre le danger intérieur de celle contre le péril extérieur. Cela le conduisit à voter tous les budgets de défense en tant que député. Cela le conduisit en tant que ministre à soutenir avec force les positions antimunichoises dans le gouvernement, s'opposant ainsi aux leaders du syndicalisme des instituteurs, à qui il signalait en 1937 “le tragique et invraisemblable paradoxe” de combattre les Ligues mais pas Hitler.

En septembre 1939, il devait présider le premier Festival de Cannes, afin de contrer la Mostra fasciste de Venise. La guerre ayant éclaté, il démissionne de son ministère et s'engage dans l'armée française. En juin 1940, resté député selon la tradition républicaine instaurée pendant la Grande Guerre, il rejoint le Parlement en repli à Bordeaux. De là, il embarque sur Le Massilia, légalement, afin de poursuivre le combat à partir de l'Afrique du Nord avec les parlementaires et le Gouvernement comme cela était alors prévu. De fait, le piège du Massilia permit d'éloigner les oppposants à la logique de l'armistice, premiers résistants à la Collaboration que celui-ci installait. Jean Zay continuera d'ailleurs dans sa prison à participer à la résistance.

L'instauration de la dictature de Vichy se structurant autour de l'idéologie maurrassiennne contre les patriotes républicains, spécialement ceux du Front populaire, on comprend que Jean Zay soit en octobre 1940 le premier condamné politique effectif du régime à la suite d'une parodie de procès militaire – par le même tribunal qui condamna le général de Gaulle - pour une prétendue “désertion en présence de l'ennemi” (l'unité de Zay se trouvait à plus de cent kilomètres des Allemands). Sa peine, déportation et dégradation, était la même que celle de Dreyfus, réinventée par esprit de revanche. On comprend aussi que les miliciens s'acharnèrent si lâchement à faire disparaitre son corps, devenu le corps de la France républicaine qu'ils haïssaient, sous des pierres après l'avoir assassiné le 20 juin 1944. Le corps de Jean Zay ne fut retrouvé que quatre ans après cette élimination qui se voulait totale.

L'après Jean Zay haut ▲

Dans les cycles antifasciste puis antitotalitaire de la mémoire nationale de la République et de la France

A la fois Dreyfus de Vichy et Ferry du Front populaire, Jean Zay est pourtant peu connu des Français. On peut s'étonner que sa mémoire soit restée si partielle. Ce n'est pas parce qu'il fut oublié aux lendemains immédiats de la guerre où se sont succédés les hommages nationaux. Mais ils n'ont pas duré car la mémoire de la République et celle de la France placérent durablement Zay dans un oubli relatif.

Vu de la République, Jean Zay était un brillant homme politique de la Troisième. Mais son action était plus pionnière et expérimentale que repérable par de grandes lois comme celles de Ferry. De plus, sa république parlementariste n'incarnait plus la modernité politique après la Libération. Et son parti, le parti radical, n'était pas porteur d'une mémoire politique dominante au contraire des communistes ou des gaullistes. Seul le camp laïque le garda en mémoire. En revanche, le souhait de voir notre république du XXIe siècle devenir moins présidentialiste réintégre Jean Zay à la modernité d'une future VIe République plus parlementaire, et réévalue sa mémoire de façon consensuelle. Son action de grand réformateur social par la culture est désormais saluée.

Vue de la France, l'histoire de la mémoire de Vichy explique aussi l'enfouissement national de Jean Zay. Victime de la guerre civile franco-française, révélateur jusqu'au martyre du caractère dictatorial et collaborationniste de Vichy dès 1940, le ministre de Léon Blum s'intégrait mal à la geste positive de la reconstruction de l'identité nationale. A contrario, à partir de la fin des années 1980, dans le contexte des combats contre le Front national, dans les réévaluations des victimes par l'antitolitarisme, dans les redéfinitions de la Résistance qui intégre désormais les actions civiles, Jean Zay redevient un héros national potentiel.

Ainsi s'explique le changement des textes des plaques mémorielles : au cycle antifasciste des années 1940/1950 dénonçant ses assassins comme des “complices de l'ennemi”, fourriers de “la barbarie nazie” ou des “ennemis de la France”, a succédé notre cycle antitotalitaire depuis les années 1990 identifiant “la dictature de Vichy” et “la milice” comme les responsables, français, de son élimination. De surcroit, son action, en particulier en tant que ministre des Beaux-Arts, est de plus en plus honorée. Au total, dans la mémoire, Jean Zay redevient national, cesse d'être une victime passive pour incarner un modèle de républicain patriote et résistant, réformateur et persécuté, c'est-à-dire à la fois pour ce qu'il fit et ce qu'on lui fit.

Jean Zay et l'esprit de résistance haut ▲

Lors de la présentation de son choix au Mont Valérien en février 2014, le Président de la République a déclaré : “Jean Zay, c'est la République. L'école de la République”. Depuis les événements de janvier 2015, on insiste sur la “laïcité” comme valeur républicaine associée à Jean Zay. Quid de la Résistance ?

Comme pour les réévaluations de son action dans la mémoire, Jean Zay incarne nos redéfinitions de la Résistance, les nouvelles acceptions de l'esprit de résistance. Dès juin 1940, il fut un des acteurs précurseurs de la résistance à la logique de l'armistice, c'est-à-dire à la logique de la collaboration, en tentant de continuer le combat en Afrique du nord. Il fut d'ailleurs empéché par les instigateurs de la dictature de se rendre à Vichy pour la réunion des Chambres le 10 juillet, car on savait qu'il s'opposerait aux pleins pouvoirs pour Pétain. Pour la même raison, politique, de résistant aux logiques du nouveau pouvoir il fut jugé par le même Tribunal militaire que le général de Gaulle, maintenu en prison durant quatre ans. Grâce à Benoît Verny et à Léon Blum, nous savons qu'il participa du fond de sa cellule à la résistance intellectuelle en contribuant par des projets de réforme aux journaux de réseaux comme ceux de l'OCM et en rédigeant des compte-rendus synthétiques du procès de Riom imprimés sur les presses clandestines de La montagne. Du fond de sa cellule, par l'entremise souvent de sa femme Madeleine, il gardait en effet le contact avec ses amis engagés dans le combat résistant comme Marcel Abraham ou Jean Cassou. Ce sont eux deux qui le parrainèrent en 1949, après que l'on eut enfin identifié son corps, pour que lui soit attribué un certificat de Résistant. Au regard de son action de lutte contre l'esprit de Vichy c'était justice, il incarna bien l'esprit de résistance.

Auteur(s) : Olivier Loubes