"Le journal secret" de Jean Zay
Légende :
Philippe Henriot, « Le journal secret de Jean Zay », Gringoire, 3 avril 1941.
Genre : Image
Type : Presse
Source : © Archives nationales Droits réservés
Détails techniques :
Journal imprimé
Date document : 3 avril 1941
Lieu : France
Contexte historique
Pendant sa détention, Jean Zay reste une des cibles privilégiées des charges contre les « bellicistes » et un point de fixation des discours d'exclusion. La publication illégale de ses notes prises en conseil des ministres, de septembre 1938 à septembre 1939, intervient dans le contexte du procès de Riom. Ce procès des « responsables » de la défaite est l'aboutissement de celui des déserteurs du « Massilia ». Ces notes sont d'abord transcrites en feuilleton dans Je suis partout, du 28 février au 18 avril 1941, par Lucien Rebatet, pour lequel il s'agit d'un « document écrasant sur les origines de la guerre » (titre du 28 février sur 6 colonnes à la une), qui lui permet de donner libre cours à sa fureur antisémite, augmentée de sa rage de voir le procès de Riom infructueux. Il conclut son commentaire de manière caractéristique : « Les juges de Riom, incapables, enjuivés ou gaullisants, ont épargné ces misérables. Mais il est impossible que leur crime monstrueux et imbécile reste sans châtiment ». Puis c'est au tour de Philippe Henriot de s'en emparer dans un article de Gringoire, le 3 avril 1941, avant de les publier, en 1942, dans un ouvrage, Les carnets secrets de Jean Zay, qu'il présente ainsi :
"Ceux qui croient encore que la France a été jetée dans cette sombre aventure par un sursaut spontané de son patriotisme n'auront qu'à parcourir ces pages pour constater que ce patriotisme a simplement servi de paravent à des hommes politiques qui, pour des fins politiques ou raciales voulaient la guerre après avoir tout fait pour désarmer leur pays moralement, matériellement et militairement (...) écrites pour servir la carrière d'un futur ministre du Cabinet juif de la France victorieuse, ces notes accablent dans la défaite leur auteur et ceux qui, avec lui, en assumèrent d'un coeur si léger la responsabilité (...). Aucun réquisitoire ne pourra valoir ce Jean Zay par lui-même".
Se conjuguent à nouveau, afin de dénoncer les ennemis intérieurs et de prouver, a contrario, l'oeuvre d'unité nationale, les thèmes de l'antisémitisme et de l'anti-« bellicisme » car « la guerre des bellicistes c'est la défaite de la France ». "Réquisitoire" est le mot le plus employé par Henriot comme par Rebatet pour qualifier la nature et la portée de ces notes, accusant le fait que, dans leur esprit, il s'agit bien de conduire le procès, d'imposer un verdict, même par anticipation, si la justice officielle faisait défaut. Une telle condamnation offre le recours de l'élimination, pour l'instant symbolique, aux frustrations qui s'accumulent, pour les collaborationnistes, avec l'évolution défavorable de la guerre et de l'opinion.
Dans la même ambiance idéologique, le « drapeau » figure en bonne place lors de l'exposition « le juif et la France ». La Semaine du 21 septembre 1941, en publiant la photographie du panneau qui le reproduit, précise que « ce texte du juif Jean Zay, où notre drapeau est traîné dans la boue, exprime mieux que tous les commentaires sa haine pour notre pays ». Le « notre » d'appropriation est ici avant tout un marqueur d'exclusion du corps national. Ce climat d'élimination symbolique aboutit le 20 juin 1944 à l'assassinat par des miliciens. Intervenant avant l'assassinat d'Henriot, il n'est donc pas lié, comme celui de Mandel au mouvement de représailles qui s'ensuivit. Il correspond plutôt à l'exaspération contemporaine au débarquement, sans qu'on ait pu, jusqu'ici, remonter exactement la chaîne des responsabilités au sein de l'appareil milicien. Mais si l'élimination physique est bien l'oeuvre d'extrémistes, mus par les multiples appels au meurtre depuis l'avant-guerre, les conditions du « réquisitoire » étaient depuis longtemps normalisées, instrumentalisées par un pouvoir en quête de reconnaissance.
Olivier Loubes, "Jean Zay, Vichy et la Résistance : une mise en abîme de l'éclipse", Revue d'histoire moderne et contemporaine, tome 43, 1996.