« Hommage aux morts de la France combattante », Pierre Brossolette, Albert Hall, Londres, 18 juin 1943

Légende :

En rendant un hommage passionné aux morts de la France Combattante, le 18 juin 1943 à l’Albert Hall de Londres, Pierre Brossolette s’efforce de mobiliser les « Français de Grande- Bretagne » (c’est-à-dire, rappelons-le, un auditoire qui dépasse la seule France Combattante) au service de l’entreprise gaullienne et, plus largement, de la rénovation à venir de la France.

Type : Discours

Source : © Archives nationales, 72 AJ 2215 Droits réservés

Détails techniques :

Retranscription du discours de Pierre Brossolette

Date document : 18 juin 1943

Lieu : Angleterre - Londres

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Analyse média

Pierre Brossolette commence par inscrire la France Combattante dans la glorieuse histoire de France à la suite des « prodiges » de Jeanne d’Arc, des soldats de l’an II et des « héros de la Marne et de Verdun ». Volontaires du refus, les morts de la France Combattante incarnent à ses yeux « l’esprit de sacrifice ». Après avoir rappelé que ces femmes et ces hommes ont dû braver la mort pour « pouvoir la briguer », il énumère les voies et les moyens de leur ralliement à la bannière à croix de Lorraine. Ce faisant, l’ancien élève de la rue d’Ulm pétri de culture classique n’hésite pas à puiser aux sources de l’épopée de l’Antiquité grecque. Ses propos forment un lointain écho à ceux de Périclès évoquant, selon Thucydide, les héros athéniens morts contre Sparte. Au passage, Brossolette fait de l’entreprise française libre puis combattante le but ultime, depuis 1940, de toutes celles et de tous ceux qui n'ont pas accepté l'abdication, l'érigeant ainsi en coeur battant de la Résistance française. En 1933, dans les colonnes de Notre Temps, il lui était arrivé d’écrire à propos de la Grande Guerre : « Nous sommes entrés dans la vie à un moment où la mort seule avait de la grandeur, mais où elle était absurde ». Dix ans plus tard, il souligne le sens tout particulier que prend la mort des résistants et des Français libres, une mort qui commande à la vie des tenants du « non » et devient chez eux recherche d’un dépassement par accomplissement de soi.

L’orateur égrène ensuite la litanie des morts glorieux de la France Libre auxquels répondent les « morts du combat souterrain de la France », ces résistants de l’intérieur qu’il connaît bien pour avoir très tôt partagé leur lutte. Parmi ces « morts de la France Combattante », il choisit de nommer quelques uns des plus emblématiques à ses yeux : ceux tombés à la fin de janvier 1941 lors du raid effectué par les Français libres et les Britanniques sur l'oasis libyenne de Mourzouck ; les morts de Bir Hakeim et ceux de la Marine marchande disparus dans l’Atlantique Nord, ceux d’El Alamein et les soldats de la colonne Leclerc tombés lors du combat d'El Hamma à la fin de la campagne de Tunisie ; les marins des corvettes Alysse et Rennes et du chasseur Mimosa des FNFL, les aviateurs des FAFL, les sous-mariniers du bâtiment géant Surcouf qui sombra corps et biens le 19 février 1942 et ceux du Narval disparu au cours d'une patrouille le 16 décembre 1940 ; Honoré d’Estienne d’Orves et Gabriel Péri, l’ancien Dominicain Jacques Savey devenu capitaine dans les FFL et qui a été tué dans la nuit du 10 au 11 juin 1942, lors de la sortie de Bir Hakeim, ou encore le lieutenant de réserve Jean Dreyfus qui, après s’être assuré de la poste centrale d'Alger dans la nuit du 7 novembre 1942 à la tête d'un petit groupe d'hommes, a été abattu d’une rafale de fusil-mitrailleur dans le dos alors qu’il était sorti pour parlementer.

Cet appel aux morts, cette ode au courage et au sacrifice vient nourrir le légendaire résistant vital pour la survie de l’esprit du 18 Juin, c’est-à-dire, affirme Pierre Brossolette, pour la patrie renaissante. En énumérant des héros de confessions et d’engagements variés mais tous tombés pour la France et parmi lesquels, notons-le, plusieurs Compagnons de la Libération, il plaide à nouveau pour l’union. Liés par leur refus initial et forts du souvenir de leurs camarades disparus, les Français combattants sont ainsi appelés à se rassembler derrière le général de Gaulle afin de poursuivre la lutte. Et l’orateur de conclure en évoquant la renaissance future de la France libérée. En mourant pour elle, les héros ont lavé la patrie de son impuissance et de ses fautes d’avant-guerre. En lui sacrifiant leur jeunesse et leur enthousiasme, ils ont amorcé sa rénovation. La mission de leurs camarades survivants est de poursuivre le combat et de « les continuer ».

Ce texte est l’un plus beaux que Brossolette ait écrits. Prononcé par un homme qui, le 22 mars 1944, après avoir été capturé au terme de sa troisième mission clandestine (19 septembre 1943 – 3 février 1944), choisira de se suicider pour ne pas parler sous la torture, il prend une dimension toute particulière. Le chantre des « soutiers de la gloire » a en quelque sorte trempé sa plume dans son sang pour écrire son oraison funèbre.


Guillaume Piketty

Contexte historique

Organisée par l'association « Les Français de Grande-Bretagne » afin de célébrer le troisième anniversaire de l'appel du 18 juin 1940, la cérémonie du 18 juin 1943 se déroule à l'Albert Hall de Londres en l’absence du général de Gaulle. Depuis le 31 mai précédent, celui-ci est à Alger où il a entamé son bras de fer avec le général Giraud. Ce même 18 juin, le fondateur de la France Libre dépose une gerbe au monument aux morts de la Grande Guerre et prononce un discours radiodiffusé. Membre éminent de la France Combattante, très influent au BCRA et connu pour son talent oratoire qui fait que, depuis le 29 mai, il remplace Maurice Schumann au micro de la BBC, Pierre Brossolette est naturellement sollicité pour la cérémonie londonienne. Désigné comme premier orateur, il lui revient le redoutable honneur de mobiliser et de dynamiser son auditoire. Il choisit pour ce faire de prononcer un vibrant hommage aux morts de la France Combattante avant de demander une minute de silence pour saluer leur mémoire. À sa suite, prennent successivement la parole une jeune fille récemment arrivée de France et prénommée Lucienne, Pierre Bloch, Louis Jacquinot, Henri Queuille, Guy Baucheron de Boissoudy, le caporal Baranger, héros de la campagne de Tunisie, l’amiral Georges Thierry d’Argenlieu, René Cassin et enfin le général François d’Astier de la Vigerie. La cérémonie s’achève sur l’audition de « l’appel au peuple français » lancé le 22 juin 1940 par le général de Gaulle.


Guillaume Piketty