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Daniel Decourdemanche dit "Jacques Decour"

Légende :

Au recto, photographie de Daniel Decourdemanche
Au verso, "Pages choisies de Jacques Decour" édité clandestinement par les éditions de Minuit en février 1944 (MRN, 85AJ1418)

Genre : Image

Type : Photographie

Source : © Musée de la Résistance nationale, Champigny-sur-Marne Droits réservés

Détails techniques :

Photographie analogique en noir et blanc

Date document : sans date

Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris

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Contexte historique

La vie de Daniel Decourdemanche/Jacques Decour fut courte, multiple, fourmillante d'activités intellectuelles et politiques. Il naît au sein d'une famille de la bourgeoisie parisienne ; son père dirige une maison d'agent de change. Il espère faire de ce fils cadet son successeur. Decourdemanche entame ses études secondaires au lycée Carnot en 1919 et les poursuit, à partir d'octobre 1922, au lycée Pasteur à Neuilly où il passe ses deux baccalauréats en 1926 et 1927. Il commence des études de droit, poussé par son père, mais renonce rapidement pour s'inscrire à la Sorbonne où il obtient une licence d'allemand en 1930. Deux ans plus tard, à 22 ans, il sort premier du concours de l'agrégation d'allemand. Sa précocité se remarque aussi dans sa vie privée, puisqu'il épouse, en 1929, à 19 ans, Jacqueline Bailly, la fille de son professeur de lettres à Pasteur, Auguste Bailly. Une fille, Brigitte, naît de cette union en août 1933. Sa production littéraire est, elle aussi, marquée par la précocité ; son premier ouvrage, Le sage et le caporal,est publié à la NRF en 1930, sous le pseudonyme de Jacques Decour. En 1932, il fait paraître Philisterburg récit des mois passés en 1930 à Magdebourg où il fut assistant dans le lycée de la ville. Ce récit décrit avec précision la montée de l'idéologie nazie outre-Rhin. En 1936, paraît chez Gallimard son troisième livre, un roman, Les Pères. Depuis 1930 également, Decour publie dans la NRF des critiques littéraires, réalise des traductions d'œuvres allemandes.

Toutefois, ces activités littéraires ne lui permettent pas de faire vivre sa famille ; il est, parallèlement, professeur de lycée. Sa première nomination le mène vers Reims, où il enseigne jusqu'en 1936. C'est alors qu'il sollicite sa mutation et obtient un poste au lycée Descartes de Tours, où il ne reste qu'un an. Mais cette année tourangelle est d'importance dans la vie et le parcours de Jacques Decour. Il y fait la connaissance de Léopold Sédar Senghor, son collègue au lycée ; il adhère au Parti communiste français, dans la cellule du Vieux Tours que dirige Paul Delanoue, un instituteur, qui jouera, quelques années plus tard, un rôle important dans la Résistance. Decour déploie à Tours une intense activité culturelle, rédige des articles pour le journal communiste local La Voix du peuple. Il ne reste toutefois qu'une année scolaire en Touraine ; nommé au lycée Rollin, il y prend ses fonctions à la rentrée d'octobre 1937. Il est alors l'un des plus jeunes professeurs agrégés des lycées de la capitale.

À partir de décembre 1938, Decour assume les fonctions de rédacteur en chef de la revue Commune, fondée en 1933 et dirigée par Louis Aragon ; en octobre 1939, il dirige le troisième, et dernier numéro paru avant les hostilités, de La Pensée, revue du rationalisme. Survient la déclaration de guerre, début septembre 1939. Jacques Decour se voit appelé sous les drapeaux au printemps 1940 ; il devient le chauffeur de De Lattre de Tassigny. Tous deux sont surpris par l'annonce de la demande d'armistice, le 17 juin, à Clermont-Ferrand. Decour regagne la capitale au cours du mois d'août. Dès l'automne, il reprend contact avec ses camarades communistes, Georges Politzer et Jacques Solomon, dont il avait fait la connaissance, avant-guerre, notamment au sein de l'Université ouvrière où tous trois donnaient des cours. L'activité résistante de Jacques Decour sera intense, marquée par la lutte contre l'idéologie nazie, contre le régime de Vichy et la collaboration grâce à de nombreuses publications. Il poursuit en même temps son enseignement à Rollin et parvient à maintenir une très stricte séparation entre son métier et son combat clandestin. Les témoignages de ses anciens élèves précisent qu'il leur était impossible de soupçonner la "double vie" menée par leur professeur Decourdemanche. En novembre 1940, après l'arrestation de Paul Langevin et la manifestation réprimée du 11, Decour, Politzer et Solomon font paraître le premier numéro de L'Université Libre, tiré à 1.000 exemplaires, dont Decour a probablement rédigé l'éditorial. L'une des originalités de cette publication, outre sa précocité, est la condamnation sans appel, dès le premier numéro, des mesures antisémites promulguées par le gouvernement de Vichy à l'automne 1940. Fin 1941, le journal compte plus de 40 numéros ; à la Libération, il dépassera la centaine. Les activités résistantes de Jacques Decour ne se résument pas à sa participation à L'Université Libre. Début 1941, le trio Decour – Politzer – Solomon publie le premier numéro de La Pensée Libre, véritable revue de près de 100 pages, héritière de La Pensée d'avant guerre. Quelques mois plus tard, en mai 1941, sur l'initiative du Parti communiste, est lancé un "Appel pour un Front national de l'indépendance de la France". Au cours de l'été, L'Université libre devient l'"organe de la section universitaire du Front national pour l'indépendance de la France" alors que Jacques Decour prend la tête du Comité national des écrivains et s'attelle à l'élaboration du premier numéro des Lettres françaises, aidé par son mentor en littérature, Jean Paulhan, et par un petit groupe d'intellectuels composé de Jean Blanzat, Jacques Debû-Bridel, Jean Guéhenno et Charles Vildrac. Ce premier numéro ne verra jamais le jour, les textes ont été détruits après l'arrestation de Decour. Le numéro 1 des Lettres Françaises ne paraît qu'en septembre 1942, plusieurs mois après l'exécution de Decour ; il contient le "Manifeste du Front national des écrivains", rédigé par son fondateur et prévu pour le numéro disparu.

Daniel Decourdemanche est arrêté par les brigades spéciales de la Préfecture de police de Paris, le 17 février 1942 alors qu'il se rend chez Georges et Maï Politzer pour les avertir qu'ils sont recherchés. Mais ceux-ci ont été appréhendés deux jours plus tôt et leur domicile a été placé sous surveillance. Ces arrestations ne sont pas isolées. Entre la mi-février et le début du mois de mars 1942, près d'une vingtaine de responsables et militants communistes tombent dans les filets de la police. Si le lien entre Daniel Decourdemanche et Jacques Decour n'est pas établi immédiatement, les forces de l'ordre ne retarderont pas à faire le rapprochement. Le 20 mars, Decour est transféré à la prison de la Santé et fusillé le 30 mai 1942 au Mont-Valérien, en représailles des attentats perpétrés au cours des semaines précédentes. Son corps est enterré dans le cimetière de Bois-Colombes. Sa famille est informée de sa mort le lendemain, alors qu'elle vient lui rendre visite à la prison. Elle ne recevra sa dernière lettre qu'au cours du mois de juillet.

Le 23 août 1944, alors que Paris n'est pas encore totalement libéré, une banderole est apposée, par des enseignants résistants, sur la façade du lycée Rollin Elle rebaptise l'établissement du nom de Decourdemanche. Au mois d'octobre, le ministre de l'Éducation nationale autorise, à titre provisoire, que Rollin soit appelé "Lycée Jacques Decour". Cette décision est entérinée par un arrêté ministériel paru au Journal officiel le 24 novembre 1945.


Cécile Hochard in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004

Sources et bibliographie :
Archives nationales, AJ16 8566 (dossier d'établissement, lycée Rollin) ; AJ16 7116 (Relations avec les autorités d'occupation, 1941-1944).
Fédération nationale des déportés internés résistants et patriotes, dossier Jacques Decour.
Notice du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, version CD Rom, 1997.
Pierre Favre, Jacques Decour. L'oublié des Lettres françaises, 1910-1942, Paris, Éditions Léo Scheer, 2002.
Gisèle Sapiro, La guerre des écrivains, 1940-1953, Paris, Fayard, 1999.
Nicole Racine, "L'Université Libre (novembre 1940-décembre 1941)" in J.-P. Rioux, A. Prost, J.-P. Azéma (dir.), Les communistes français de Munich à Châteaubriant (1938-1941), Paris, PFNSP, 1987.