Contexte historique

Apprenti chez un mécanicien agricole de Lagord, dont l'atelier est situé à quelques centaines de mètres des énormes bacs d'essence enflammés par l'armée française, je suis aux premières images pour vivre ces tragiques moments inoubliables.

Je vient de fêter mes quinze ans quelques jours plus tôt quand l'armée allemande pénétre le 23 juin 1940 dans ma ville natale.

Peu à peu, la vie reprend son cours, à La Rochelle comme ailleurs. Les Allemands et le gouvernement Pétain recherchent la collaboration.

En juin 1941, lorsque j'obtiens mon CAP d'électricité, des camarades un peu plus âgés, qui travaillent aux chantiers navals de La Pallice m'y font embaucher.
Le 21 du même mois, l'offensive allemande contre l'URSS est déclenchée sans déclaration de guerre.
En juillet, je reçois une lettre flatteuse du bureau allemand du travail, sis à l'hôtel du commerce, place de Verdun. Félicité pour l'obtention de mon CAP, je suis convoqué pour un engagement du travail en Allemagne à un salaire qui double le mien. Si ce n'est mon père, ancien de 1914-1918, qui n'aime ni Pétain, ni les boches, je me laisserais peut-être prendre au piège bien préparé par Radio Paris qui serine, à longueur d'antenne, que l'engagement de deux volontaires du travail fait libérer un prisonnier de guerre, père de famille.

Le 24 octobre 1941, Louis Durand, ancien secrétaire du syndicat des officiers de la Marine marchande, interné depuis plus d'un an au camp de Mérignac, à côté de Bordeaux est fusillé avec quarante autres otages. Cinquante autres le sont également à Nantes et Châteaubriant. Peu à peu, la rancoeur s'entasse et la colère monte en moi.
Le 15 novembre suivant, à Chef de Baie, l'un de mes camarades, Paul Guérit, est fusillé à son tour. C'en est trop! Mais que faire pour arrêter cette barbarie? Le soir lorsque les volets sont clos et les couvertures tirées pour calfeutrer la lumière et nous éviter l'amende de la défense passive, nous écoutons, mon père, ma mère, ma soeur et moi, l'émission sur Radio Londres, "Les Français parlent aux Français". C'est l'émission du général de Gaulle, dit-on, qui, le 18 juin 1940, lance un appel à la Résistance. Au fil des informations, ma colère se transforme en haine du nazisme.

1942 est une année noire. Si la Résistance commence à s'organiser, la répression s'accentue. Avec la base sous-marine, La Rochelle et sa côte sont devenues une véritable forteresse.
Chaque matin, pour pénétrer dans l'usine, il faut montrer son Ausweis. Les Allemands deviennent plus arrogants, même méchants. Sur la route qui conduit à la base, ils escortent des colonnes d'esclaves squelettiques qui y travaillent. J'en ai marre de La Pallice, de tous ces flics et de tous ces gardes chiourmes. Avec quelques camarades, nous rompons notre contrat avec les Chantiers navals (non sans tracasseries) et partons travailler à Laleu, un autre quartier de la ville, dans l'aviation, la Société aéro-maritime de l'Atlantique (SAMA).

1943 amène la victoire de Stalingrad. Pour la première fois la Wehrmacht plie et connait la défaite. Je ne suis pas insensible à cet événement. Aussi, lorsqu'à l'usine, un camarade, Emile Tixier, me propose d'adhérer aux Jeunesses communistes clandestines pour faire du sabotage contre les boches, j'accepte avec enthousiasme.

Emile a 22 ans. Ajusteur-mécanicien, il est responsable pour la zone nord de la Charente-Maritime, des Jeunesses communistes clandestines.
En mai 1943, le groupe FTP qui opère dans la zone Nord du département est décimé. L'Etat-major régional de Bordeaux nous demande d'assurer la relève. Nous acceptons, exaltés par les propos d'Emile qui devient chef départemental. Ainsi, je suis incorporé sous le matricule 503 dans une unité FTP qui porte le nom de détachement Liberté. Deux mois plus tard, je deviens chef-adjoint.
Pendant cinq mois, nous opérons de multiples sabotages à La Rochelle mais aussi dans le département : attaques des officines collaboratrices et allemandes, ruptures des lignes téléphoniques et voies ferrées, des dépôts de carburant et de matériels ferroviaires, le siège de la LVF à La Rochelle, etc.

Le 30 septembre 1943, alors que le triangle régional se réunit avenue Guiton à La Rochelle, les polices françaises et allemandes encerclent le pâté de maisons. Des coups de feu éclatent. Paul Manouthon, chef régional, est tué ainsi qu'un policier allemand et un policier français. Emile Tixier, blessé, parvient à s'enfuir mais est rattrapé deux heures plus tard. Il est fusillé à Biard, le 5 novembre 1943.
C'est à la suite de ces événements que je suis arrêté. Nous avons tenu cinq mois dans cette forteresse qui est devenue la zone côtière de la Charente-Maritime. Il paraît que ce n'est pas mal !

Après cinq jours de prison et d'interrogatoire à Lafond (La Rochelle), puis deux mois à La Pierre Levée (Poitiers), je suis condamné à cinq ans de réclusion par la section spéciale pour bris d'objets d'utilité publique et actions en vue de favoriser le terrorisme.
Quelques jours plus tard, le 18 décembre 1943, je suis, avec mes onze autres camarades, transféré à la centrale d'Eysses (Lot et Garonne) où je reçois le matricule 654.

Là, à nouveau, nous reprenons la Résistance en nous engageant dans le bataillon clandestin de la centrale qui comprend 1 200 hommes. Nous participons à la bataille des 19 et 20 février 1944, pour tenter de gagner le maquis de la région. Ce cuisant échec nous coûte cher. A quatre heures du matin, après négociations, nous devont déposer les armes. 52 otages sont prélevés, dont douze fusillés sur l'heure. Nous sommes alors transférés par une compagnie SS de la Das Reich (ce sont ceux-là qui font 99 pendus à Tulle et qui massacrent les 500 habitants d'Oradour-sur-Glane).
Le 18 juin 1944, jour de mes 19 ans, est le départ pour Dachau, et l'enfer que Dante lui-même n'a pas pu imaginer.

Avec beaucoup de chance, de solidarité et un jeu de volonté, j'en suis sorti ; ce qui me permet aujourd'hui d'apporter mon témoignage, sans fatuité mais avec beaucoup de fermeté et de crier encore : Attention !...Ne cédez surtout pas aux chants des sirènes car "le ventre de la bête immonde est encore fécond" dixit Bertolt Brecht (1898-1956), poète, auteur dramatique et théoricien du théâtre allemand.