Vue d'ensemble

Ce premier chapitre propose une vue transversale de l’emploi en 1944-1945 de chars par des FFI ou des unités issues des FFI, à travers cinq entrées : 
• Le gisement de provenance des engins 
• Un bilan quantitatif des récupérations
• Leur répartition géographique 
• Les difficultés techniques rencontrées 
• Un bilan des engagements au combat avant le 8 mai 1945

Plan de l'expo

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Le gisement haut ▲

Durant l’automne 1944, pour s’équiper de chars et d’automitrailleuses, les groupes issus des Forces françaises de l’Intérieur n’ont disposé que d’une seule ressource : le gisement des engins abandonnés par les forces allemandes en retraite, qu’il s’agisse d’engins en panne (souvent sabordés par leurs anciens servants) ou des épaves d’engins détruits lors des combats avec les armées alliées. Il n’y a avait en effet plus de capacité de production d’engins blindés neufs en France en septembre 1944. De même, des livraisons d’engins blindés américains et britanniques, destinés aux régiments formés à partir des FFI, ne sont intervenues qu’à partir de février 1945 et dans des quantités limitées.

Au sein du gisement allemand, il convient de distinguer deux principales catégories : d’une part des engins de fabrication allemande, d’autre part des engins de fabrication française eux-mêmes déjà récupérés puis réemployés par les forces allemandes. Cette seconde catégorie a regroupé des engins capturés en mai-juin 1940 ou livrés durant l’automne 1940 dans le cadre des clauses de la convention d’armistice. Elle a constitué le principal gisement à portée des FFI et des nouvelles autorités françaises en 1944 : lors de leur repli, mettant la priorité de leurs efforts sur les matériels modernes, les forces allemandes ont davantage consenti à abandonner leurs engins d’origine française, souvent déjà déclassés, que les engins de fabrication allemande.

L'ampleur du phénomène haut ▲

Le bilan des chars et des automitrailleuses récupérés en France puis réemployés avant le 8 mai 1945 se monte à quelque 150 engins : environ 110 chars de fabrication française (une vingtaine de chars Somua, de l’ordre de 35 chars B1bis, autant de chars Renault R35 et au moins 17 chars Hotchkiss H39), de l'ordre de 25 chars et canons automoteurs allemands, ainsi qu'une quinzaine d'automitrailleuses françaises et au moins une automitrailleuse d’origine italienne.

Ce total reste peu important : les 110 chars français concernés ne représentent par exemple qu'à peine 6 % des 1 900 chars français modernes pris par les Allemands en 1940. La récupération de quelque 150 engins n’est pas pour autant négligeable. À titre de comparaison, ce nombre se situe dans l'ordre de grandeur du parc de blindés sauvegardés en Afrique avant novembre 1942 et du nombre de chars livrés à la France par la Grande-Bretagne en 1945. Il correspond au triple des 42 blindés américains livrés dans le cadre de l’éphémère programme de réarmement français de 1944-1945.

Ces quelque 150 engins se rangent en quatre principales catégories au regard de leurs conditions de récupération :
• Deux automitrailleuses dérobées puis employées dès la période maquisarde de l’été 1944
• Une trentaine d’engins peu ou prou fonctionnels récupérés par des groupes FFI durant la phase de retraite adverse en août et septembre 1944, puis aussitôt réemployés
• 23 engins récupérés à l’état d’épaves par des groupes FFI puis remis en état et réemployés à leur initiative, durant l’automne 1944 puis l’hiver 1944-1945
• Une centaine d’engins reconditionnés dans un cadre industriel à l’initiative du gouvernement puis affectés à de nouveaux régiments issus d’unités FFI

La répartition géographique haut ▲

Les récupérations puis réemplois de chars de l’automne 1944 puis de l’hiver suivant se sont concentrées dans deux bassins géographiques :
• la Normandie et ses confins, que les combats de l’été 1944 ont transformé en cimetière de matériel militaire allemand : une cinquantaine d’engins y a été récupérée ;
• la région parisienne et ses abords, qui concentraient les ateliers de réparations de chars d’origine française exploités par l’armée allemande (à Saint-Ouen, à Boulogne-Billancourt mais aussi à Gien dans le Loiret) : au moins 78 engins y sont récupérés.

En Normandie, les récupérations ont principalement porté sur des engins détruits ou sabordés, abandonnés en rase campagne et devant faire l’objet de réparations conséquentes avant un éventuel réemploi. Ce gisement a été exploité tant par certains FFI que par le gouvernement.

En région parisienne et à Gien, les récupérations ont à l’inverse principalement concerné des engins trouvés au sein de dépôts ou d’établissements industriels, où ils étaient en phase de réparation ou d’entretien. Ces sites abritaient également des stocks de pièces détachés et d’armes de bord, facilitant le reconditionnement des engins concernés et leur appropriation tant dans le cadre d’initiatives FFI que des projets gouvernementaux.

Les autres régions n’ont connu que des récupérations diffuses. Dans un large bassin Sud-ouest, entre la Loire et les abord du Rhône, il n’est guère question que d’engins isolés.
Dans le bassin Sud-est, les récupérations effectives apparaissent également peu nombreuses. La seule unité blindée adverse ayant transité durant l’été sur l’axe Rhône-Saône, la 11e Panzer Division, a retraité en bon ordre et n’a de ce fait guère laissé derrière elle que des épaves hors d’usage. La seule récupération majeure concerne quatre chars de fabrication allemande, signalés durant l’automne comme engins d’instruction au camp de la Valbonne, dans l’Ain. Ils ont vraisemblablement été récupérés sur le champ de bataille voisin de Meximieux, qui avait vu des affrontements entre chars allemands et américains aux premiers jours de septembre 1944.
Enfin le bassin Nord-est n’a connu que des récupérations et réemplois anecdotiques, tels un vieux char Renault FT17 que des résistants lillois ont tenté de remettre en marche le 2 septembre 1944, alors que les Allemands circulaient encore dans la ville. Le petit char a été neutralisé dans la foulée par un tir adverse.


Au sujet du char lillois : 

Roland Maurice, « La libération de Lille (2 et 3 septembre 1944) », Revue du Nord, tome 51, n°203, 1969, p. 757-769.

Les difficultés de réemploi des chars de prise haut ▲

Si récupérer un char abandonné est une chose, le réemployer en est une autre, requérant toute une chaîne logistique. Il s’agit tout d’abord de s’assurer de l’absence de dommages irrémédiables. Or, les Allemands ont généralement veillé à saborder les engins abandonnés : retrait des culasses des armes, destruction de pièces motrices… Outre la recherche hasardeuse de pièces détachées adaptées, réparer de tels dégâts a nécessité une large gamme de compétences techniques : au plan mécanique, électrique, hydraulique, balistique comme en matière de métallerie. La tâche a été décuplée pour les engins récupérés à l’état d’épaves sur les champs de bataille de l’été 1944.
Une fois un engin peu ou prou remis en état de marche, encore fallait-il pouvoir le mettre en œuvre : en trouvant du carburant (essence ou produit de substitution) malgré une pénurie chronique, en disposant de munitions adaptées pour les armes de bord et en réunissant des pilotes disposant d’un minimum d’expérience pour la conduite d’engins chenillés.
Chacune de ces étapes a fréquemment constitué un défi. Le moindre écueil (indisponibilité de pièces, de munitions...) a entraîné l'abandon d’engins de prise. Citons l’exemple d’un petit char, de type indéterminé, récupéré en état de marche à Castelnaudary le 26 août 1944 par le Bataillon de l’Armagnac (une formation gersoise). Convoyé à Villefranche-de-Lauragais par la route puis acheminé par train jusque dans la région bordelaise, en vue d’un potentiel emploi sur le front de Royan, il a été abandonné au bout de quelques semaines pour cause de pannes irrésolues.
Quant aux engins les plus désuets, ils ont été relégués au rang de trophées ou d’engins d’instruction. Tel a été le cas du char Renault FT17 photographié en avril 1945 lors d’une manœuvre menée en forêt de Saint-Germain-en-Laye par la 2e Division blindée : le vénérable FT17 y a servi aux côtés de chars M4 Sherman.


Au sujet du char du Bataillon de l’Armagnac : 
Stéphane Weiss, "Le Bataillon de L'Armagnac face aux blindés – 1944", Bulletin de la Société archéologique du Gers, n° 422, 2016, p. 452-466.

Bilan des emplois opérationnels haut ▲

Deux automitrailleuses ont connu un emploi précoce mais éphémère, durant la période maquisarde en Limousin et dans la Nièvre.

Parmi les chars et automitrailleuses récupérés par les FFI pendant et après la retraite allemande de l’été 1944, seuls deux groupes d’engins ont été engagés en opérations avant le 8 mai 1945 :
• Quatre engins sur le front de la Pointe de Grave, en Gironde : trois chars Renault durant l’automne 1944, ainsi qu’une automitrailleuse de novembre 1944 à avril 1945.
• Les engins français et allemands réunis au sud de la poche de Saint-Nazaire au sein de l’Escadron Besnier.

Parmi les engins reconditionnés puis affectés à des régiments issus de groupes FFI, seuls ceux du 13e Régiment de Dragons ont été engagés avant le 8 mai, dans le Médoc et en Charente-Maritime.
Trois autres régiments ont été équipés à l’aide d’engins de prise mais sans que ceux-ci n’aient été employés en opération avant le 8 mai 1945 :
• Le 12e Régiment de Dragons (14e Division d’infanterie), issu des FFI de la 1re Armée, doté de 17 chars Hotchkiss H39.
• Le 18e Régiment de Dragons (10e Division d’infanterie), levé en région parisienne, doté de 15 chars Renault R35 et 8 automitrailleuses Panhard.
• Le 19e Régiment de Dragons (19e Division d’infanterie), créé en Bretagne, doté de 18 chars Renault R35, qui sont entrés en action pour la première fois le 10 mai 1945, lors de l’entrée des forces françaises dans la poche de Lorient, après sa reddition.