Le projet militaire
Le projet militaire, connu sous le nom de Projet Montagnards, a pris forme sur l’ensemble du Vercors à l’issue d’une lente évolution de la Résistance, de 1941 à 1944. Il convient de distinguer plusieurs temps.
La phase d'initiatives de résistance isolées et parallèles :
Les premiers groupes se réunissent spontanément sur le massif, notamment à Villard-de-Lans, à l'initiative des frères Huillier, d'Eugène Samuel et de Théodore Racouchot. À Méaudre, Georges Buisson « sait qu'il se trame quelque chose à Villard » et souhaite ainsi prendre contact. Dans le Royans, Benjamin Malossane, Jean et Louis Ferroul réunissent leurs proches pour évoquer les « événements » fustigeant le régime de Vichy et l'armistice. À la même période (mars 1941), Pierre Dalloz imagine en présence de Jean Prévost les possibilités d'utilisation du massif en ce temps de guerre.
La phase de la résistance organisée aux projets parallèles :
Dès le printemps 1942, à partir de Grenoble notamment grâce à Léon Martin et Aimé Pupin, le Mouvement Franc-Tireur va tisser sa toile en s'appuyant sur les groupes existants sur le massif. En décembre 1942, une « Note sur les possibilités militaires du Vercors » est rédigée par Pierre Dalloz. Elle comporte un « Programme d'action immédiate » et un « Programme d'action ultérieure ». Cette note, transmise fin janvier 1943, par l'intermédiaire d'Yves Farge, à Jean Moulin, qui donne son accord, devient le « Projet Montagnards ». Charles Delestraint, Vidal, chef de l'Armée Secrète (AS) à l'échelle nationale, valide ce projet et le porte à la connaissance de Londres. Le 25 février 1943, le message « Les Montagnards doivent continuer à gravir les cimes » indique qu'il est validé par la France libre.
La phase de fusion des projets :
À partir du mois de février 1943, en raison de l’afflux de réfractaires au STO, les fermes et les foyers accueillent ces derniers qui, trop nombreux, doivent être orientés vers d'autres lieux, donnant ainsi naissance aux premiers camps organisés par les civils du mouvement Franc-Tireur. Par ailleurs, au début de 1943 émerge l’idée stratégique de Pierre Dalloz consistant à faire du Vercors un espace d’accueil organisé de quelque 7 500 parachutistes alliés qui, guidés par les 400 à 450 combattants des camps, agiraient sur les communications allemandes en appui d’un débarquement en Provence. Alain Le Ray conçoit le plan militaire correspondant au projet. En mars 1943, une prospection du massif est menée par une première équipe constituée de Pierre Dalloz, Yves Farge, Remi Bayle de Jessé, Marcel Pourchier et Alain Le Ray, afin d'affiner le projet. Après des contacts étroits avec Aimé Pupin (Mathieu) du mouvement Franc-Tireur, d'abord pour des questions de ravitaillement des camps, les deux équipes fusionnent. Les camps de montagne isolés contribuent à apporter densité et concrétisation au projet de Pierre Dalloz.
Les premières épreuves :
Cette première équipe est rapidement démantelée par les arrestations effectuées par la police politique italienne, l’OVRA : Léon Martin le 24 avril 1943, Aimé Pupin le 27 mai 1943. Les liens avec la France Libre se brisent également car en juin 1943, Charles Delestraint et Jean Moulin sont arrêtés. De son côté, Pierre Dalloz gagne Paris, puis Alger en novembre 1943, où il rédige une nouvelle note, plus complète sur le projet d'utilisation du Vercors, se nourrissant de l'apport des camps créés par le mouvement Franc-Tireur.
Du refuge aux combats :
Un second comité de combat, animé par le capitaine Alain Le Ray (Rouvier), chef militaire, et Eugène Chavant (Clément), chef civil, avait pour objectif de transformer les réfractaires en combattants. En août 1943, lors de la réunion d'Arbounouze, la logique de dualité de commandement entre civils et militaires est actée. Alain Le Ray, suite à des reproches de Marcel Descour (Bayard) relatifs au manque d’organisation du parachutage de novembre 1943 à d'Arbounouze, démissionne et devient le chef des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) de l’Isère. Un autre personnage important quitte le Vercors : Pierre Dalloz, parti pour Londres et Alger pour défendre son plan, sans succès apparent, ne reviendra pas dans le Vercors. Eugène Chavant, excédé, part pour Alger pour obtenir confirmation de la prise en considération du Projet Montagnards. Le Bureau Central de Renseignement et d’Action (BCRA) lui promet oralement l’envoi de parachutistes français. Jacques Soustelle l’encourage par un texte écrit et par la remise d’une importante somme d’argent.
Au printemps 1944, le Vercors reçoit de nombreux parachutages d’armes et des équipes d’agents des services interalliés pour instruire les combattants dans le maniement de ces armes. L’une d’elles, arrivée début juillet, reçoit la mission d’aménager un terrain d’atterrissage à Vassieux-en-Vercors. Tout concourt donc pour que Marcel Descour décide de mobiliser les forces du Vercors après avoir reçu le message de la BBC, le 5 juin 1944, « Le chamois des Alpes bondit », malgré quelques réticences de François Huet, partisan d’attendre le déclenchement du débarquement en Provence, dont personne ne connaissait la date. Conformément aux dispositions du plan d'Alain Le Ray, le Vercors est verrouillé avec près de 3 500 à 4 000 combattants au lieu des 450 prévus initialement.
D'après "La Résistance en Vercors", article du général Le Ray in Bulletin Le Pionnier du Vercors n° 71, Grenoble, ANPCVV, juin 1990.