Le phénomène maquis

« Le maquis ! Ce mot, on l’entendit d’abord chuchoté, répété à voix basse dans des villes comme Lyon, où les montagnes sont proches. Un mot clandestin comme la lutte elle-même du peuple français (…). Le maquis, ce fut le phénomène le plus neuf de la vitalité et de la volonté du peuple français. Loin au-dessus du village, le maquis veille, guette, se disperse, se reforme, disparaît, revient, attaque, (…) on parle d’eux avec fierté et tendresse. La vaste complicité de tout un peuple les entoure et les soutient. D’où viennent-ils, les gars du maquis ? L’Allemand et les immondes valets de Vichy les nomment brigands et terroristes. Je me souviens d’eux dans le Vercors, dans la Savoie.

Je revois leurs visages : des ouvriers, des étudiants, des paysans, des artisans, des employés, des officiers, de toutes classes et de toute condition, de toute croyance et de toute tendance. Des bandes ? Allons donc ! Une armée de guérilla, certes, mais avec sa discipline, sa fraternité d’armes, son honneur, son drapeau… ».

Cette longue citation1 est de la plume d’Yves Farge (1899-1953). Il fut journaliste au Progrès de Lyon, résistant dès 1941, président en juin 1943 du Comité d’Action contre la Déportation (CAD, chargé entre autres de combattre le STO et de ravitailler les maquis), commissaire de la République de la région Rhône-Alpes en avril 1944, président de la cérémonie de Restauration de la République en Vercors le 3 juillet 1944, libérateur des 800 prisonniers otages de la prison de Montluc, dont des maquisards. Bref, ce Compagnon de la Libération par décret du 17/11/1945 fut un acteur et un témoin averti du « phénomène maquis », dans son plein développement. Le lyrisme de son texte décrit avec force le phénomène du « maquis combattant », des années 1943 et surtout 1944 et pour le Vercors de la « montagne maquis ». Selon la terminologie de François Boulet2, il faut d’abord évoquer la « montagne refuge », à l’origine de nombreux maquis : elle recueille les réfractaires au STO, mais aussi des Français ou étrangers menacés dans leur sécurité. Elle développe – souvent près des villages – une « éthique de responsabilité et de « fraternité » avec ses « valeurs humanitaires ».

Le Vercors s’inscrit pleinement dans cette démarche de la « montagne refuge » - celle des camps – devenu progressivement la « montagne maquis » combattante – in fine celle des unités militaires reconstituées. Cependant, il est clair que ce cheminement ne sera pas « binaire », mais dans cette période chaotique, sera semé de nombreuses péripéties, tour à tour heureuses et dramatiques. Il faut noter par ailleurs qu’à travers le pays, le comportement de certains maquisards ne fut pas toujours exemplaire3.

Auteur(s): Philippe Huet et Alain Raffin
Source(s):

1- Jean-François Armorin, Le temps des terroristes, Paris, Editions Franc-Tireur, 1945, préface d'Yves Farge ;

2- François Boulet, Les Alpes Françaises, des Montagnes refuges aux Montagnes maquis, Paris, Editions les Presses Franciliennes, décembre 2008 (p. 356 et suivantes) ;

3- Jacques Canaud, Le temps des maquis, Sayat, éditions de Borée, octobre 2011, p. 185.

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Aux origines du maquis haut ▲

Au départ, les initiateurs de la Résistance imaginaient-ils avoir à créer des refuges pour les personnes menacées ou dans l’illégalité ? Selon les termes de l’historien Henri Michel, « Le maquis fut un cadeau que l’occupant fit à la Résistance », puisque c’est à la suite de la Relève et plus tard du Service du Travail Obligatoire (STO) qu’il devint nécessaire de prévoir la mise à l’abri des « réfractaires ». Ainsi, après 8 lois et 11 décrets promulgués par le chef de l’Etat français entre le 4 septembre 1942 et le 26 août 1943, et selon les statistiques allemandes, plus de 600 000 travailleurs français pour près de 850 000 réquisitionnés partirent dans les usines de guerre allemandes jusqu’au 30 septembre 1944.

Certes, tous les réfractaires ne rejoignirent pas les maquis, mais il y avait là une forte source de recrutement pour la Résistance. Il faut cependant souligner que la très grande majorité de ces réfractaires recherchaient un refuge plutôt qu’une base de combat. Ainsi, selon l’historien François Boulet, au printemps 1943, se constituèrent au Vercors 8 camps de 50 hommes.

Auteur(s) : Philippe Huet et Alain Raffin
Source(s) :

François Boulet, Les Alpes françaises 1940-1944 : des montagnes-refuges aux montagnes-maquis, Paris, Les Presses Franciliennes, 2008, pp. 360 et suivantes. 

Alain Guérin, Chronique de la Résistance, Paris, Omnibus, 2010, p. 1057 et suivantes.

Henri Michel, cité par Alain Guérin in Chronique de la Resistance, Paris, éditions Omnibus, 2007, p. 1058. 

Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, n° 49, janvier 1963.

Les camps, la vie quotidienne - Essai de synthèse haut ▲

Faire vivre, dans la durée et le plus souvent dans la clandestinité un groupe d’hommes en forêt, est un défi permanent que les camps eurent à résoudre : la sécurité, la santé, le ravitaillement, l’entraînement physique puis militaire, l’armement, les rapports avec la population, les loisirs, autant de questions à résoudre jour après jour.

Les différents aspects ont été étudiés dans divers ouvrages, notamment Le Temps des Maquis de Jacques Canaud – Edition de Borée,  2011), selon une grille similaire.

L’étude originale et spécifique au Vercors présentée ici met en évidence la complexité de la description d’une vie souvent nomade, en tout cas incertaine, qui doit souder des hommes de tous âges, de toute motivation, de toute conviction – les témoins qui ont été jusqu’au bout des combats parleront de fraternité née entre eux pour la vie.

Délibérément dans la présentation, le choix a été fait d’exploiter les témoignages « au plus près du terrain », pour tenter de saisir la réalité quotidienne de l’aventure des camps.

Auteur(s) : Philippe Huet et Alain Raffin
Source(s) :

Jacques Canaud, Le Temps des Maquis, Sayat, Edition de Borée,  2011.